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Full text of "Les Dernières années de Mme de Warens : sa succession à Chambéry, sa tombe : d'après les documents inédits trouvés aux Archives d'Etat, à Turin, aux Archives départementales de la Savoie et à l'ancien Tabellion de Chambéry"

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ALBERT  METZGER 


UM   L'ACAOiÎMIII   DM  •CIBMCSa,  »KLLU-LrrrMni  BT  Am  DB  •AVOIH 


^^S  \«HMKRK,S  AAiV^.^ 


DE 


M    DE  WARENS 


SA    SUCCESSION    A    CHAAIBEKY 


SA  TOMBE 


d'après   les   documents   inédits   trouves 

aux  Archives  d'Etat,  à  Turin, 

aux  Archives  départementales  de  la  Savoie 

et  à  l'ancien  Tabellion  de  Chambéry 


AVEC     UN     EXTRAIT     DE     LA     MAPPE      DU     CADASTRE     DE      17  2' 

traduit  selon  le  Thcétrum  Sabaudi:e 
et  le  fac-similc  de  sa  lettre  du  3  avril  1756. 


Ij^X^OIT 


Henri    GE 


dVof  OTTAWA 

iiiiiir 


39003001205755 


V 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lesderniresannOOmetz 


a  vv*^  i- 


Edite  à  îîOîs  cents  exemplaires 
le  27  août  iSgi. 


DU    MKME : 

La  llépuhlique  de  [Mulhouse,  son  histoire,  ses  anciennes 
familles  bourgeoises  et  admises  à  résidence,  depuis  les 
origines  jusqu'à  1798.  Un  beau  volume,  elzévir,  sur 
hollande,  avec  une  gravure 5  fr. 

Le  'Budget  de  l'Instruction  publique,  en  France,  pour  1879- 
1880,    brochure  in-8" I    fr. 

Le  'Budget  municipal  de  Lyon  en  188 1,  dépenses,  recettes, 
octroi  de  la  ville,  brochure  in-8" I   fr. 

Lyon  sous  la  Révolution,  le  Consulat  et  l'Empire,  notes  et 
documents  publiés,  de  1882  à  1887,  par  Albert  Metzger  et 
révisés  par  Joseph  Vaesen,  10  beaux  volumes  in- 12,  tirés 
à    300  exemplaires,  sur  hollande 50  fr. 

A  la  Veille  de  la  Révolution  :  Lyon  de  1778  à  1788,  notes  et 
documents  publiés,  à  l'occasion  du  Centenaire  de  I789, 
par  Albert  Metzger  et  révisés  pa»  Joseph  Vaesen  ;  un  beau 
volume  in-12,  tiré  à  300  exemplaires,  sur  papier  de  hol- 
lande, avec  gravures 5  fr. 

La  Conversion  de  [Madame  de  Warens,  d'après  des  lettres 
inédites  et  les  documents  de  l'époque,  in-i6  .     .         3  fr. 

Les  Pensées  de  Madame  de  Warens  ;  son  séjour  aux  Gharmcttes, 
son  bail  au  Reclus,  ses  relations  avec  Wintzenried  jusqu'en 
janvier  1754,  d'après  les  documents  inédits  des  Archives 
départementales  de  la  Savoie.  Avec  un  portrait  inédit, 
gravé  d'après  Largillière,  par  Goupil,  in-i6.    .    .         5  fr. 

Une  poignée  de  documents  inédits  concernant  Madame  de 
Warens,  1 726-1 754,  trouvés  à  Londres,  aux  Archives 
d'Etat  à  Turin,  et  à  l'ancien  Tabellion  de  Chambéry. 
Avec  la  photographie  du  portrait  de  la  baronne,  conservé 
au  Musée  Arlaud  de  Lausanne,  et  le  fac-similé  de  son 
billet  du  10  février  1754,  in-i6 5  fr. 

EN     PREPARATION    : 

VERS      DE     JEUNESSE 

ROUSSEAU      A      L'ILE      SAINT-PIERRE 

(Lac  de  Bienne) 

1765 


ALBERT  METZGER 

DB   L'ACADAmIB  DB«  ICIBNOM,  BSLLSa-LKTTMK*  KT   ARTt  DB  lAVOIB 


^^;è  UEUMKKKS  A.VA'% 


ni: 


M"  DE  WARENS 

SA    SUCCESSION    A    CIIAMBÉRY 

SA  tombl: 

d'après    les    documents    inédits    trouves 

aux  Archives  d'Etat,  à  Turin, 

aux  Archives  départementales  de  la  Savoie 

et  à  l'ancien  Tabellion  de  Chambéry 


AVEC     UN    EXTRAIT     DE     LA     MAPPE     DU     CADASTRE     DE     17  29 

triXduit  selon  le  ThcAtrum  Sabaudi.v 
et  le  fac-similé  de  sa  lettre  du  3  avril  1756. 


Henri    GEORG,    Editeur 

Passage    de  l'Hôtel-Dieu. 

BIBLIOTHECA 


(Madame  Louis  LACOLK 
Née  îMaric-z.\nnc  de  'RISTOh'l 


lioin)ita^i;c  respectueux 
cl.  Î\I. 


LES    DERNIERES    ANNEES 


DE 


MADAME  DE  WARENS 


LES    DERNIERES    ANNEES 


DE 

MADAME 

DE  \\'ARENS 

I 

1754-1756 

Après  avoir  écrit  sa  lettre  du  25  janvier 
1754  à  Wintzenried,  Madame  de  Warens 
entretient,  pendant  quelques  jours,  une 
correspondance  assez  mystérieuse,  témoin 
la  minute  suivante  d'une  missive  quelque 
peu  enigmatique,  extraite  des  titres  dépo- 
sés aux  Archives  départementales  de  la 
Savoie. 

Monsieur 

Je  suis  infiniment  sensible  aux  expres- 
sion obligente  et  plaine  de  bonté  dont 
vous  monoré  par  votre  réponce,  II  ne  dé- 


LES  DERNIERES  ANNEES 


pendrat  pas  de  moy,  Monsieur,  d'en  mé- 
riter la  continuation.  Je  metray  tous  mes 
soins  à  vous  prouver  mon  respectueux 
dévouement. 

J'ay  l'honneur  de  vous  donner  avis  que 
la  persone  que  vous  cherché  est  à  présent 
à  Chambéry.  Je  liiy  ay  parlés  senluy  faire 
aucune  mension  devons.  Je  luy  ay  dit  qu'une 
persone  qui  venoit  du  coté  (Ces  lignes  sont 
effacées  dans  l'original),  Cy  vous  avez 
quelque  chose  à  luy  demendé  ou  à  luy 
faire  savoir  vous  pouvez  contés  sur  mon 
secret  et  sur  ma  fidellité.  Il  ne  deppend 
que  de  vous  Monsieur  de  la  mètre  à  le- 
preuve  lorsque  vous  le  jugerez  à  propos. 
Je  n'ay  point  fait  vos  compliments  à  M. 
de  Lens  luy  lessent  ygnorer  de  même 
qu'a  tout  autre  que  j'ay  l'honeur  de  votre 
corespondence...  La  prudence  et  le  secret 
est  lame  de  tout  ce  qu'il  y  at  de  plus 
grand  dans  la  nature,  comme  dens  la  grâ- 
ce. Qui  ne  say  pas  opserver  et  à  plaindre 
(Au  lieu  de  ces  3  derniers  mots  il  y  avait 
primitivement  ceux-ci,  qui  sont  biffés 
«n'est  pas  digne,  est  a  mépriser»)  Comme 


DE   MADAME    DE  WARENS  5 

le  pauvre  M'  de  Lens  et  dcns  ce  cas,  je 
ne  puis  luy  dire  ny  ce  que  je  fait  ny  ce  que 
je  voudrois  faire  par  des  raison  que  j'es- 
peire  que  vous  aprouverez.  J'auray  Tho- 
neur  de  vous  les  dire  un  jour  (ce  dernier 
membre  de  phrase  est  biffé,  dans  l original). 
Je  vous  avertis  que  ce  vieux  petit  homme 
que  vous  cherché  ne  me  parois  pas  dis- 
posé à  rester  longtens  à  Chambéry.  Il 
y  at  des  persone  du  côté  de  Paris  quy  Ion 
fait  chercher  icy  pour  le  fer  travalier  en 
chimie.  Il  m'a  dit  qu'il  avoit  envie  d'y  al- 
ler. Jatent  vos  hordre  à  son  sujet,  et  à 
toutes  autres  chose  qui  poura  dépendre 
de  moy.  Et  j'ay  Thoneur  d'être  avec  le 
plus  parfait  dévouement  et  un  respect  in- 
finy 

Monsieur, 
Ce  2  février  1754 —  Chambéry 

Ce  document  inédit,  dont  le  destinatai- 
re n'est  pas  indiqué,  se  rapporte,  sans 
doute,  à  la  pièce  suivante,  puisée  au  même 
fonds,  dont  la  teneur  nous  est  fournie  par 
le  dernier  feuillet  d'une  minute  de  lettre, 


LES  DERNIERES  ANNEES 


sans  adresse,  attribuée  à  M""*^  de  Warens 
et  datée  du  lendemain  : 

Soie  persuadé  M*"  du  plaisir  que  j'orois 
à  vous  obliger  cy  vous  aviés  la  bonté  de 
prier  ce  M""  dont  vous  me  parlés  de  ce 
donner  la  peine  de  faire  seulement  un  pe- 
tit mémoire  signé  de  sa  main  que  vous 
m'adreceriez  au  premier  courier,  et  qu'il 
indique  dens  son  mémoire  toutes  les 
sience  qui  ce  propose  de  pouvoir  mètre 
en  usage  Des  que  je  loray  reseu  je  le 
remetray  à  une  persone  de  distinqtion  et 
de  mérite  qui  vat  à  Turin  et  quy  et  en 
état  de  présenter  ce  mémoire  là  où  il  con- 
viendra le  mieu  pour  l'avantage  de  ce  M*", 
et  comme  cette  persone  part  dans  le  cou- 
rand  de  ce  moy  il  faud  me  l'envoyé  au 
plus  tôt.  —  Je  souhaiterois  trouver  des 
aucasions  plus  essensielle  que  je  put  vous 
convaincre  de  Tatachement  et  sincère  es- 
time avec  laquelle  j'ay  l'honneur  d'être, 
M"" —  ce  3  février  1754 

Les  Archives  départementales  de  la  Sa- 


DE   MADAME    DE  WAREN8 


voie  livrent  ensuite,  à  la  critique  une 
troisième  minute  de  lettre  inédite,  adres- 
sée par  la  baronne  au  cure  de  Gruffy,  qui 
avait  été  en  visite  chez  elle,  à  Chambér>', 
au  mois  de  novembre  précédent.  Cette 
pièce,  excessivement  curieuse,  est  relative 
à  un  filon  de  fer,  existant  près  de  Gruffy. 
M'"*^  de  Warens  recommande  au  curé,  son 
ami,  de  ne  pas  manquer  de  faire  l'éloge 
do  cette  mine  ;  elle  laisse  espérer  que  la 
chapelle  de  la  Ste-Vierge,  à  Gruffy,  où  se 
trouvait  un  tableau  de  N.-D.  des  Ermites, 
bénéficierait  de  quelque  don,  et,  finale- 
ment, la  baronne  se  plaint  de  Messieurs 
les  Français  «  qui  savent  plumer  la  poule 
et  qui  l'ont  toujours  trompée.  » 

Ce  4  février  1754 

Monsieur  et  très  cher  frère 
Je  vous  done  avis  que  dens  peu  de 
jours  vous  vairez  M  Simon  avec  une  letre 
de  ma  part  pour  aler  découvrir  le  filon  de 
fert  que  Ion  m'a  indiqué  et  que  vous  sa- 
ves  proche  de  Gruffy  —  Je  vous  prie  de  ne 
pas  menquer  de  luy  faire  l'éloge  de  cette 


LES  DERNIERES  ANNEES 


mine,  et  comme  vous  savez  qu'on  en  a 
fait  du  fert  autrefoy  mais  que  le  maitre 
ouvrier  qui  avoit  étably  étant  mort,  que  la 
chose  en  a  demeuré  la  et  quenfin  je  pençois 
à  rétablir  la  chose  pour  moy  même  mais 
comme  mais  prossès  non  pas  Tair  de  finir 
cy  tôt  je  remet  ma  découverte  à  la  Com- 
pagnie de  M  Simon  qui  m'a  promis  qu'il 
y  auroit  égard  et  que  notre  dame  des 
Ermitte  ne  seroit  pas  oubliées.  Voila 
ce  que  vous  aurez  la  bontés  de  luy  dire  en 
y  ajoutant  ce  que  la  prudence  et  votre 
bontés  pour  moy  vous  poura  dicter  pour 
me  faire  un  peu  valoir  dans  l'indication 
que  je  donne  et  dont  je  renonce  en  leur 
faveur,  car  vous  savez  que  M" les  François 
savent  plumer  la  poule  et  qu'il  veulent 
tout  pour  eux. 

C'est  la  mes  reserve.  De  même  que  je 
luy  ait  fort  recomendé  daler  au  devant  de 
tout  ce  quy  pouroit  vous  faire  plaisir  lors 
qu'on  tireras  la  mines  quon  ce  propose  de 
faire  seulement  griller  sur  les  lieux  et  em- 
portés ensuitte  plus  loins,  pour  la  fondre, 
cependant  j'ay  lieu  de  croire  quun  four- 


DK  MAUAMi:   I)i:  WAKENS 


neau  conviciulroii  très  bien  à  Gruffy  alcn- 
du  que  les  boi\  iiy  mcnquc  pas. 

Je  vous  seray  très  obligés  de  me  marquer 
votre  sentiment  sur  tout  cela  par  premier 
Courier  sens  y  menquer  et  surtout  de  m'en 
garder  le  secret  à  l'égard  tout  le  monde 
comme  aucy  de  M  Symon  ou  de  tous  autres 
quy  pourois  y  aler  de  ma  part  ou  de  la 
siene  dens  la  suitte  ne  voulant  pas  dire 
tout  ce  que  je  pence  à  M"  les  François 
parcequ'il  m'ont  toujours  trompe  et  je 
crain  qu'il  ne  continue  toujour  de  même, 
incy  la  défience  et  mère  de  la  sûretés. 

Je  me  recommende  à  vos  chère  amitié  et 
bontés  hordinaire  et  jespaire  que  vos  s^* 
prière  m'optiendron  les  grâces  et  les  se- 
cour  dont  jay  un  cy  grand  besoin  pour 
soutenir  ma  misérable  vie  et  mes  pénibles 
afaires. 

Jay  l'honneur  d'être  avec  le  plus  parfait 
atachement  et  le  plus  profond  respect 

En  froid  avec  de  Courtilles,  brouillée 
avec  Jean-Jacques,  la  baronne  n'en  conti- 
nuait pas   moins    de  s'occuper  d'affaires, 


10  LES  DERNIERES  ANNEES 

témoin  la  lettre  suivante,  inédite,  que  l'un 
de  ses  correspondants  de  Carouge  lui 
adressait,  par  la  poste,  à  la  même  épo- 
que : 

A  MADAME 

ïMadame  la  baronne  de  Vuarens 

de  La  Tour 

faubourg  du  Reclus  —  c/1  Chambéry 


Madame 
Dans  l'inquiétude  ou  je  suis  de  scavoir 
si  vous  avez  été  satisfaite  du  mémoire  que 
j'ay  obtenu  de  M""  de  La  Croix  ce  grand 
ingénieur  en  mécanique  et  si  vous  avez  eu 
la  bonté  d'en  donner  avis  à  la  Cour,  pour 
que  je  le  puisse  entretenir  jusqu'à  la  ré- 
ponse des  vôtres.  Il  y  a  plusieurs  Messieurs 
qui  désirent  avec  empressement  le  pro- 
duire à  la  Cour  Prussienne  ;  pour  le  dé- 
tourner, je  luy  représente  qu'il  lui  seroit 
difficile  de  se  laire  à  la  langue  allemande  ; 
que  par  là  il  n'auroit  aucune  satisfaction 
d'être  dans  un  pays  où  il  ne  pourroît 
s*énoncer. 


DK    MADAMF.  DE  WARENS  I  I 

J'espère,  Madame,  que  par  voire  grand 
crédit,  et  vos  soins,  vous  parviendrez  à  la 
gloire  de  produire  au  Roy  un  excellent 
sujet,  et  à  moy  un  grand  service,  et  l'hon- 
neur d'être,  avec  un  profond  respect, 
Madame, 

Votre  trcs-humblc  et  trcs-obeissant  ser- 
viteur. 

signé  Dencrv^aux. 
Carrouge  le  27  février  1754 
Mon  adresse  :  A  M''  Carbonel 
au  bas  de  la  Cité.  Pour  la  remettre  à  Dc- 
nervaux  —  A  Carrouge 

Cette  pièce  est  extraite  des  titres  dépo- 
sés aux  Archives  départementales  de  la 
Savoie  et  fait  réponse  aux  lettres  des  2  et 
3  février,  dont  les  minutes  commencent  le 
présent  chapitre.  Un  autre  document  figu- 
re, quelques  jours  après,  au  premier 
volume  de  1754,  folio  422,  des  registres 
du  Tabellion  de  Chambéry,  et  nous  donne 
la  teneur  d'un  acte  par  lequel  le  fameux 
Mathieu  Casse, —  dont  j'ai  indiqué,  dans 
mon  précédent  volume,  le  rôle  équivoque, 


12  LES  DERNIERES  ANNEES 

—  retirait  à  M'"*'  de  Warens  la  procura- 
tion qu'il  lui  avait  donnée  le  i"  février 
1752. 

ACTE  DE  RÉVOCATION 

de  procureur 

671  faveur  du  sieur  (Mathieu  Casse 

par  la  dame  baronne  Warens  de  La  Tour 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  quatre  et 
le  troisième  mars,  à  Chambéry,  sur  une 
heure  après  midi,  dans  la  maison  où  ha- 
bite la  dame  baronne  de  Warens,  située 
au  feaubourg  du  Reclu  de  la  présente  ville, 
pardevant  moi  notaire  Royal  collégié, 
soussigné,  en  présense  des  témoins  ci 
après  nommés,  s'est  personnellement  éta- 
bli et  constitué  le  sieur  Mathieu,  fils  de  feu 
sieur  Thomas  Casse,  natif  et  habitant  de 
la  paroisse  d'Aurelle  en  Maurienne,  de 
présent  audit  Chambéry,  lequel,  de  gré, 
néanmoins  du  consentement  de  dame 
Françoise  Louise  Eléonore  de  La  Tour, 
fille  de  feu  noble  Jean  Baptiste  de  La 
Tour,  baron  d'Empire,  épouse  de  noble 
Isaac    Sébastien   de   Warens,    native    de 


DE   MADAME    DE  WAREN8  I3 


Vcvay,  pais  de  Veaux  en  Suisse,  habiiaïUc 
dez  longues  années  en  la  présente  ville, 
m'a  déclare,  en  présence  des  témoins  cy 
après,  vouloir  cesser,  annuller,  révoquer 
la  procuration  généralle  qu'il  a  faite  à  la- 
ditle  dame  baronne  de  Warens,  sous  la 
datte  du  premier  février  mille  sept  cent  cin. 
quantc  deux,  rcccu  par  moi  dit  notaire 
soubsigné,  ainsi  que  par  le  présent  acte 
ledit  Casse  annuUe  et  révoque  la  procura- 
tion ci-dessus  désignée,  avec  promesse 
que  fait  laditte  dame  baronne  Warens  de 
La  Tour,  de  ne  vouloir  jamais  se  servir 
dudit  acte  ci  dessus  désigné,  pour  quelle 
cause  que  ce  soit  concernant  la  teneur  d'i- 
celui,  ni  de  quels  autres  actes  de  procu- 
ration qu'auroit  pu  lui  passer  ledit  sieuJ 
Mathieu  Casse,  pour  agir  à  son  nom,  et  à 
cet  effet  laditte  dame  baronne  de  Warens  de 
La  Tour  s'est  soumise  aux  peines  de  tous 
dépens,  dommages,  intérêts  à  l'obligation 
de  tous  et  un  chacun  ses  biens  présents  ci 
avenirs,  sous  la  clause  de  constitut,  Et 
de  tout  ce  que  dessus,  ledit  Mathieu  Casse 
m'a  requis,   je    dis     nottaire    soubsigné. 


14  LES  DERNIERES  ANNEES 

acte,  et  du  consentement  donné  par  ladite 
dame  à  la  révocation  de  la  procure  ci  des- 
sus ténorisée,  que  je  lui  ai  accordé,  pour 
lui  servir  et  valloir  en  tant  que  de  raison. 
Fait  et  prononcé  audit  lieu,  les  an,  jour  et 
heure  que  dessus,  en  présence  du  sieur 
Claude  Pierre  fils  d'himitier  Simon  Du- 
mesier,  de  la  province  de  Franche  Comté, 
habitant  dèz  quelques  années  en  la  pré- 
sente ville,  et  de  honorable  Thomas,  fils 
à  feu  Maurice  Albiex,  natif  de  la  même 
paroisse  d'Aurelle  en  Maurienne,  aussi 
résident  dudit  Chambéry,  témoins  requis. 
Droit  de  tabellion  trois  livres.  Signé  à  la 
minutte  de  je  dis  notaire  soubsigné,  de  ce 
recevant  requis,  par  les  dittes  parties,  par 
ledit  Simon  Dumesier,  l'un  des  témoins  et 
non  par  l'autre,  pour  être  illittéré,  de  ce 
enquis.  Contenant  le  présent,  et  par  moi 
écrit,  y  compris  mon  verbal  et  signature, 
presque  deux  pages  que  j'ai  levé  pour  le 
tabellion  après  due  collation.  — Ainsi  est. 
Signé  Cagnon,  notaire 

Le  madré  compère  sentait  que  la  ba- 


DE  MADAME    DE    WARKN8  I5 


ronnc  était  perdue  ;  il  lirait  son  cpiiiglc  du 
jeu,  à  temps.  La  pauvre  femme  en  était 
réduite  aux  derniers  expédients.  Vous  qui 
savez  lire,  méditez  ces  quatre  lettres,  dont 
chaque  ligne  est  soulignée  d'un  sanglot  : 

A  S\/  de  Carolis  —  Ju  ^  77iars  ly^^^. 

Pour  Tamour  de  Dieu  M*"  ayés  pitié  de 
moy  je  suis  sans  pain  et  sans  credy  par  la 
malice  de  ceuxqui  cherchent  a  me  détruire, 
que  votre  charité  me  procure  un  secour 
de  sa  M^*-',  et  que  sa  protection  deigne  me 
faire  ressentir  les  effets  de  ses  grâces  en 
chargeant  M*"  lintendant  gênerai  M' le  pre- 
mier et  M""  le  second  président  et  de  sin- 
former  de  moy  quelles  sont  mes  raisons 
de  plainte,  pour  que  sa  M^'^  sache  du 
moins  si  j'ay  tort  ou  non  de  me  plaindre 
d'une  compagnie  pour  qui  j'ay  tant  pris 
de  peine  et  après  avoir  si  bien  reussy  soit 
dans  les  traveaux  des  riches  mines  que 
jay  découvert  et  que  je  fais  travailler  par 
les  compagnies  que  jay  établis  en  mau- 
rienne,  soit  dans  l'établissement  d'une 
fabrique  de  Chambery  feaubourg  du  reclus 


l6  LES   DERNIÈRES  ANNÉES 

pour  toutes  sortes  de  poterie  et  autres  ou- 
vrages en  fer  coulé.  Soit  aussy  dans  plu- 
sieurs belles  découvertes  de  charbon  de 
pierre  et  de  terre,  dont  jay  fais  en  reigle 
l'établissement  de  plusieurs  fauses  en 
divers  endroits  du  duché  de  Savoye  après 
avoir  tant  eu  de  peines  et  avoir  eu  les 
grâces  du  Ciel,  pour  la  réussite  de  mes 
entreprises  faudra  il  que  mes  adversaires 
me  fassent  mourir  de  misère,  et  seray-je 
privée  de  la  juste  récompence  de  mes 
traveaux  par  surprise  ou  longeur  des  pro- 
cédures menque  de  force  et  d'apuis  pour 
me  deffendre  je  vous  conjure  M""  d'avoir 
pitié  de  moy,  votre  bon  esprit  et  les  gran- 
des charités  que  vous  pratiqués  chaque 
jours  me  font  espérer  que  vous  accorderés 
vos  soins  charitables  a  une  pauvre  femme 
étrangère  qui  n'a  rien  a  se  reprocher  dans 
sa  conduitte  que  d'avoir  agit  avec  trop 
d'honneur  et  de  franchise  a  légard  de  ses 
associés  ou  ceux  qui  agissent  en  leur  nom, 
qui  l'on  tous  trompés  et  sacrifiés  pour 
assouvir  leur  ambition  et  leur  avarice, 
honnorés  moy  M""  je  vous  en  prie  d'un  mot 


DR  MADAME  DE  WARfCNS  I7 

de  rcponcc  cl  de  votre  puissante  protection 
que  je  réclame  avec  une  entière  confiance, 
vous  priant  M'  de  vouloir  af^^reer  les  assu- 
rances de  ma  plus  parfaitte  reconnoissance 
et  du  très  soumis  et  très  pn^fond  respect 
avec  lequel  jay  Ihonneur  dctrc  etc. 
Monsieur  au  cas  M"*  que  vous  jugiés  que 
S.  M^*^  ne  maccorde  pas  un  don  gratuit 
implorés  du  moins  je  vous  prie  la  clé- 
mence du  ro}^  pour  que  sa  charité  dcignc 
permetrc  que  la  trésorerie  me  fasse  une 
avance  de  cent  louis  ce  qui  pourv^oira  aux 
besoins  que  jay  du  pain  quotidien  pendant 
que  ma  pension  est  engagée  pour  une  an- 
née a  mes  créanciers  et  cela  me  donnera 
en  même  tems  des  forces  pour  pouvoir 
soutenir  avec  houneur  la  suite  de  mes 
opérations  et  de  mes  traveaux.  Etc. 

^Monsieur  le  comte  de  Giégory,  général  des 

finances 

du    7    mars    1754 

Je  su  plie  votre  Exe.  de  vouloir  me  favo- 
riser de  sa  puissante  protection  et  me 
mettre  aux  pieds  du  roy  pour  recevoir  une 


l8  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

de  SCS  grâces  particuliers  dans  mon  pres- 
sent besoin,  je  crois  lavoir  mérite  par 
mon  zèle  et  par  tout  le  travail  que  jay  fais, 
si  jay  bien  reusci  a  la  découverte  des  ri- 
ches mines  dont  jay  formé  les  compag"  de 
mauriennequi  les  travaillent  aujourd'huy, 
je  nay  pas  moins  bien  reusci  à  ma  fabri- 
que de  potterie,  et  a  la  découverte  des 
charbons  soit  de  terre  soit  en  pierre,  jay 
plusieurs  traveaux  de  charbon  établis  en 
règle  et  une  compag^  pour  continuer  mes 
traveaux,  jay  fais  a  mes  frais  particuliers 
toutes  les  premières  avances  pour  les  de- 
couvertes  ces  depences  particulières  etoient 
devenues  indispensables  pour  que  je  pu 
parvenir  a  une  reuscite  et  il  n'est  pas  sur- 
prenant que  je  me  trouve  aujourdhuy  dans 
un  si  pressent  besoin,  n'ayant  encore  rien 
pu  tirer  du  produit  de  mes  traveaux  ce  qui 
m'  oblige  a  recourir  pour  quil  plaise  a 
S  M  ^^  ou  a  ses  finances  de  m'accorder  le 
secour  dune  avance  de  cent  Louis  pour 
me  soutenir  la  vie  en  me  procurant  le  pain 
quotidien  qui  me  manque  aujourdhuy 
pour  avoir  été  forcée  par  mes  créanciers 


IJK    MADAMM  DK  WARKNS  I9 

clc  Itnir  rcinclrc  p<»iirunc  aiincc  les  pen- 
sions que  la  chaiiic  du  i<»y  m'accorde  en 
tresoicric,  cl  par  le  nioycnt  de  ce  secour 
je  pouiay  nralimcntcr  et  soutenir  en  mê- 
me tcms  avec  honneur  mes  entreprises  et 
traveaux  qui  par  la  fj^racc  de  Dieu  sont 
aujourdhuy  dans  leur  point  de  solidité 
V.  Exe.  poura  s'informer  de  la  vérité  de 
ce  que  jay  l'honneur  de  luy  avancer  si  elle 
le  jui;e  a  propos  a  M*"  Lintendant  gérai  a 
qui  je  suis  toujours  prcUc  de  rendre 
compte  de  mes  opérations  lorsque  V.  Exe. 
le  jugera  à  propos  le  secour  que  jose  atten- 
dre par  la  protection  et  charité  de  V.  Exe. 
rentrera  dans  très  peu  de  tems  dans  les 
coffres  du  roy  et  occasionnera  un  très 
grand  avantage  a  l'état  si  je  suis  soute- 
nue, jattend  avec  une  entière  confiance 
l'effet  de  la  généreuse  et  puissante  protec- 
tion de  votre  Exe.  et  jay  l'honneur  de  l'as- 
surer de  ma  plus  parfaitte  reconnoissance 
et  du  très  soumis  et  du  très  profond  respect 
avec  lequel  jay  l'honneur  detre  Eté 

Le  brouillon  de  ces  deux  lettres,  ainsi 


20  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

que  les  deux  suivantes,  appartiennent  au- 
jourd'hui aux  Archives  départementales 
de  la  Savoie. 

cA  cM.   le    chevalier   de   Robilant 
du  ^  mars  17^4- 

Je  prend  La  Liberté  Monsieur  de  profi- 
ter de  cette  occasion  favorable  pour  me 
recommander  a  l'honneur  de  votre  protec- 
tion j'en  ay  très  grand  besoin  pour  maider 
a  suporter  toutes  les  contradictions  que 
l'on  me  sucitte  chaque  jours  pour  retarder 
autant  qu'on  peut  l'avancement  et  l'utilité 
de  mes  travaux  il  est  très  douloureux  pour 
moy  d'avoir  a  combatre  tout  a  la  fois  la 
mauvaise  foy  et  Lignorence  de  ceux  qui 
devroyent  être  les  plus  engagés  a  me  sou- 
tenir ;  j'espère  que  Mr.  Wallin  aura  bien 
eu  la  bonté  de  vous  parler  de  moy  et  de 
me  rendre  justice.  Sil  veut  se  donner  la 
peine  de  se  ressouvenir  de  ce  que  j'ay  eu 
l'honneur  de  luy  dire  a  son  départ  il  m'o- 
bligera infiniment  de  vous  l'expliquer  La 
triste  situation  ou  je  me  trouve,  sans  qu'il 
y  ait  en  rien  de  ma  faute,  il  y  a  plus  de 


DE   MADAME  DE    WARENS  31 


vingt  anncfcs  que  je  Iravaillois  avec  beau- 
coup de  succcz  a  la  dccouvcrle  des  mines 
de  Savoye  de  même  que  pour  les  charbons, 
que  jay  également  découvert  avec  tout  le 
succez  possible  commil  se  voit  aujourdhuy 
par  nos  traveaux  des  fosses  a  charbon  que 
jay  fais  établir  cl  mètre  en  bonne  règle, 
avec  toute  la  diligence  qui  m'a  été  possible, 
cependant  maigre/  tous  les  avantages  que 
mes  traveaux  et  mes  découvertes  minérales 
procureront  a  l'clat  j'cntand  dire  chaque 
jour  que  je  m'occupe  a  des  chimères  que 
je  ferois  beaucoup  mieux  de  ne  rien  faire 
du  tout  que  de  mopignatrer  a  des  recher- 
ches curieuses  qui  produisent  des  traveaux 
si  peinibles  et  si  dispendieux  Si  je  ne  me 
flattois  pas  Mr  de  la  dousse  esperancQ^que 
vos  lumières  supérieures  sur  les  traveaux 
des  mines  vous  engageront  d'approuver 
ma  conduitte,  je  serais  entièrement  rebutée 
et  inconsolable  prette  a  tout  abandonner, 
j'ose   vous    suplier  Mr   de  vouloir  m'ac- 
corder  votre  apuis  pour  me  soutenir   et 
m'aider  a  rétablir  ma  fabrique  de  potterie 
qu'on  vient  de  me  détruire  malicieusement 


22  LES  DERNIERES  ANNEES 

SOUS  prétexte  disent  ils  qu'ils  veulent  aller 
letablir  en  mauricnne  ce  qui  leurs  est  im- 
possible pour  des  raisons  que  j'offre  a 
dcmontrcrTon  ne  peut  faire  en  maurienne 
qu'un  grand  fourneau  a  couler  la  mine  qui 
ne  seaurait  même  y  subsister  que  très  peu 
de  tems,  accause  de  la  difficulté  des  bois 
quil  conviendroit  infiniment  de  conserver 
très  presieusement  pour  faire  couler  les 
mines  des  qualités  supérieures  au  fer  qui 
se  trouvent  être  de  très  bonne  qualité  et 
abondantes  dans  la  province  de  maurien- 
ne, je  suis  bien  a  pleindre  Mr  d'avoir 
afairc  a  des  gens  entêtés  orgeuilleuses  et 
ignorents  qui  font  toujours  presisement 
tout  le  rebour  de  ce  qu'il  devroit,  pour 
que  les  cbxoses  allassent  commil  faut  hon- 
norés  moy  Mr  je  vous  prie  d'un  mot  de 
reponce  je  seray  consolée  et  suporteray 
mes  chagrins  et  ma  misère  avec  patience 
dez  que  j'auray  le  bonheur  D'apprendre 
que  vous  este  content  de  ce  que  je  fais  et 
je  me  ferai  toujours  une  gloire  et  un  devoir 
de  vous  rendre  un  compte  fidèle  des  rai- 
sons de  ma  conduitte  toutes  Les  fois  que 


DE  MADAME  DE   WARENS  2^ 

VOUS  le  jup-crés  apropos  soyés  Mr  je  vous 
prie  bien  persuadé  que  je  conservcray  une 
clerncllc  reconnaissance  des  bontés  dont 
il  v(nis  plaira  de  m'hf)nnorcr  et  je  seray 
toute  ma  vie  avec  le  plus  parfait  dévoue- 
ment et  le  plus  profond  respect 

La  Lettre  cy  jointe  vous  fera  aisément 
comprandrc  que  je  suis  contredittes  en 
tout  et  que  l'intercst  du  roy  en  souffre 
beaucoup.  — 

<(  cA  [M.  Je  S^-Laiircjît,  du  7  UKirs  ij^i-   » 

Quil  plaise  a  V.  Exe  d'avoir  pitié  de 
moy  et  quelle  deigne  aprouver  que  j'ose 
continuer  de  la  suplier  de  me  mètre  aux 
pieds  du  roy  pour  recevoir  une  de  ses 
grâces  particulier  dans  mon  pressent  be- 
soin, je  crois  les  avoir  mérité  par  ma 
bonne  volonté,  par  mon  zèle  par  le  travail 
que  j'ay  fais,  si  j'ay  bien  reuscy  a  la  de- 
couverte  des  riches  mines  dont  j'ay  forme 
les  compag*'''  de  morienne  qui  les  traînail- 
lent aujourdhuy  je  nay  pas  moins  bien 
reuscy  a  ma  fabrique  de  potterie  et  a  la 
découverte  des  charbons  soit  en  terre  soit 


24  LES  DERNIERES  ANNEES 

établis  en  règle  et  une  compagnie  mesd. 
traveaux  jay  fais  a  mes  frais  particuliers 
toutes  les  premières  avances  pour  les  de- 
couvertes,  ces  depences  particulières  etoient 
devenues  indispensables  pour  que  je  pu 
parvenir  a  une  reuscite  il  n'est  pas  surpre- 
nant que  je  me  trouve  aujourd'huy  dans 
un  si  pressent  besoin  n'ayant  encor  rien 
pu  recevoir  du  bénéfice  de  mes  traveaux 
je  demande  très  humblement  a  S.  Mté  ou 
a  ses  finances  le  secour  d'une  avance  de 
cent  Louis,  pour  me  soutenir  la  vie  en  me 
procurant  Le  pain  quotidien  qui  me  man- 
que aujourd'huy  pour  avoir  été  forcé  par 
mes  créanciers  de  leur  remetre  pour  une 
année  les  pensions  que  la  charité  du  roy 
m'accorde  en  trésorerie  et  par  secour  je 
seray  en  état  de  soutenir  avec  honneur 
mes  entreprises  et  traveaux  qui  par  la  grâce 
de  dieu  son  aujourd'huy  dans  leur  points 
de  solidité. 

V.  Exe  poura  sinformer  de  la  vérité  de 
ce  que  ja^^  L'honneur  de  luy  avancer  si 
elle  le  juge  apropos  a  Mr  Lintendant  gérai 
et  Mrs  le  premier  et  second  président  a 


DE    MADA.MI     h!      WAHLNS  2^ 


en  pierre  jay  plusieurs  traveaux  de  charbon 
qui  je  suis  prettc  de  rendre  compte  de 
mes  opérations  Lorsque  V.  Exe  le  jugera 
apropos  le  sccr)ur  que  j'ose  attendre  de 
Idquitc  et  de  la  charité  de  V.  Exe  rentre- 
ront dans  très  peu  de  tcms  dans  le  coffre 
du  roy  et  occasionnera  un  très  grand 
avantage  a  Létal  Lœil  attentif  de  V.  Exe 
p(Uir  le  bien  et  l'avantage  des  finances  de 
de  sa  xM'^  est  trop  pénétrant  pour  ne  pas 
pencer  au  delà  de  ma  foible  expression  et 
pour  ne  pas  sentir  et  voir  a  découvert  que 
jexpose  la  vérité  toute  unie  et  sansfard  si 
je  suis  soutenue  il  n'en  peut  arriver  qu'un 
très  grand  bénéfice  au  pays  icy  au  lieu  que 
ma  disgrâce  fera  peut  être  faire  de  tristes 
reflections  aux  étrangers  que  j'avois  jnvité 
a  faire  passer  encor  de  nouveau  fonds  en 
Savoye  pour  la  continuation  des  minières 
metalique  et  des  charbons  j attend  avec 
une  entière  confiance  les  effets  de  la  géné- 
reuse et  très  puissante  protection  de  V.  Exe 
et  jay  L'honneur  de  L'assurer  de  ma  plus 
parfaitte  reconnais  sance  et  dutres  soumis 
et  très  profond  respect  aveclequel  je  suis 


20  Li:S  DERNIÈRES  ANNEES 

Au  lendemain  même  de  ces  appels  dé- 
sespérés, un  autre  acolyte  de  la  baronne, 
Jean-Charles  Perrin,  passait  un  acte,  par 
lequel  il  se  retirait  de  la  société  que  M°** 
de  Warens  avait  formée,  en  1752,  pour 
l'exploitation  des  mines  de  houille  de  la 
Savoie,  dont  le  Roi  de  Sardaigne  lui  avait 
concédé  le  privilège.  Voici  la  teneur  de 
ce  document,  très  curieux  dans  ses  détails, 
inséré  au  i*""  volume  de  1754,  folio  422, 
des  registres  du  Tabellion  de  Chambéry. 

DÉPARTEMENT 

en  faveur  de  la  dame  baronne  de  Warens 
de  La  Tour,  par  spectable  Jean  Charte 
Perrin,  bourgeois  et  habitant  de  Chafn- 
béry  portant  en  capital  L.  1000. 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  quatre  et 
le  huictième  mars,  à  Chambéry,  au  feau- 
bourg  du  Reclu  de  la  présente  ville,  sur 
les  trois  heures  après  midi,  dans  la  mai- 
son où  habite  la  dame  baronne  de  Warens 
de  La  Tour,  pardevant  moi  notaire  royal 
coUigié  soubsigné,  et  présents  les  témoins 
bas  nommés.  Il  est  ainsi  que,  parcontract 


DE   MADAME    DE  WAREN3  2^ 


du  premier  aousl  mille  sepl  cent  ciiuiuanlc 
deux,  rcccu  par  moi  dit  nollairc  sDubsi- 
gneS  passé  entre  ladiUc  dame  baronne  de 
Warens  de  La  Tour,  noble  Jean  Samuel 
Rodolphe  Wintcenricd  de  Courtilles, 
spectable  Jean  Charles  Perrin  et  le  sieur 
Prudent  Rcveyron,  auroient  contracté  so- 
ciété entre  eux,  concernant  la  recherche 
des  charbons  de  pierre,  de  terre,  soit 
houllie,  dans  toute  Tétcnduc  du  duché  de 
Savoye,  et  de  faire  laditte  recherche  à 
commun  fraix,  tout  comme  de  faire  cha- 
cun leurs  fonds,  et  partager  les  profits  par 
quart,  et  autres  articles  contenuts  audit 
acte,  auquel  on  se  rapporte,  que  consé- 
quemment  à  icelui,  sur  la  demande  et 
prière  faitte  à  sa  Majesté,  par  la  supplique 
présentée  à  la  part  de  laditte  dame  de 
Warens,  et  de  celle  dudit  noble  de  Cour- 
tilles,  Elle  auroit  bien  voulu,  par  un  ef- 
fet de  ses  grâces,  leur  en  accorder  le  pri- 
villège  ainsi  que  par  lettres  patentes 
émané  de  sa  Majesté  en  leur  faveur,  en 
datte  du  trentième  octobre  suivant.  Tous 
les  susnommés  auroient  encore  passé  une 


28  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

transaction  entre  eux  pour  le  même  fait  et 
dessein,  portant  une  cimentation  de  société 
etéclercissement  d'icelle,  ainsi  que  par  con- 
tract  du  dix-huict  décembre  deladitte  année 
receu  et  signé  par  M^  Reveyron  nottaire, 
et  par  acte  de  main  privée  fait  à  double, 
du  second  mai  année  dernière,  ledit  sieur 
Prudent  Reveyron  se  seroit  départi,  cédé 
et  transporté  à  ses  dits  associés,  tout  le 
bénéfice  qu'il  pouvoit  prétendre  en  vertu 
des  susdésignés  contracts,  avec  promesse 
qu'il  lui  firent  de  le  libérer  jusqu'à  la  dat- 
te dudit  acte  de  main  privé,  de  tous  les 
fraix  qui  avoient  étés  faits  jusqu'al'ors 
pour  la  recherche  desdits  charbons,  et 
comme  cette  portion  étoit  tombé  com- 
mune, tant  à  laditte  dame  baronne  de 
Warens,  audit  noble  de  Curtilles  qu'audit 
sieur  Perrin,  ces  premiers  au  nom  de  ce 
dernier,  par  contract  du  vint  huict  juin 
année  dernière,  aussi  receu  par  moi  dit 
notaire,  associèrent  et  mirent  au  lieu  et 
place  dudit  sieur  Prudent  Reveyron  le 
sieur  Alexandre  fils  de  Pierre  Bérard, 
icelui  agissant  tant  à  son  nom  qu'au  nom 


^  i)i:  A\Ai)AMi:  i)i:  warkns  29 

cliiclit  son  pcrc,  et  de  Simon  Dc5rard  son 
frùrc,  de  la  ville  de  Genève,  pour  jrjuir, 
ledit  Alexandre  l)érard,  et  au  nom  de 
ceux  pour  qui  il  parut  des  mêmes  privil- 
lèges  rappelles  dans  les  contracts  ci  des- 
sus, et  de  la  teneur  d'iceux,  sous  promesse 
qu'il  fit  d'en  remplir  t(^us  les  engagements, 
et  de  contribuer  pour  sa  cotte  part  dans 
la  dépence  à  faire  de  même  que  d'entrer 
dans  le  gain  et  perte  ;  et  par  autre  con- 
tract  du  vint  neuf  dudit  juin  de  la  même 
année,  aussi  receu  par  je  dit  nottaire,  la- 
ditte  dame  baronne  de  Warens,  ledit  noble 
de  Curtilles  et  ledit  sieur  Alexandre 
Bérard,  aussi  tant  à  son  nom  que  celui  de 
ses  père  et  frère,  lesdits  associés  agissants 
aussi  tant  à  leur  nom  qu'à  celui  dudit 
spectable  Perrin,  par  lequel  ils  promirent 
de  faire  ratifier  lesdits  deux  actes,  admi- 
rent encore  pour  un  autre  associé,  le  sieur 
François  de  La  Corbière,  ancien  citoyen 
de  Genève,  pour  une  cinquième  portion 
concernant  la  recherche  des  dittes  mines, 
et  lesquels  dits  deux  contracts,  ledit  spec- 
table Perrin  approuva,  confirma  et  ratifia 


30  LES  DERNIERES  ANNEES 

aussi  par  celui  da  second  septembre  sui- 
vant, receu  de  même  par  je  dit  nottaire, 
et  du  depuis  ledit  sieur  Perrin  n'auroit 
plus  voulu  entretenir  la  ditte  société,  ladit- 
te  dame  baronne  de  Warens  de  La  Tour 
lui  auroit  pioposé  s'il  vouloit  se  départir 
de  leur  dite  société  et  de  la  teneur  des 
contracts  ci  dessus  ténorisés  en  sa  faveur, 
qu'  s'obligeroit  de  lui  rembourcer  soit  lui 
payer  la  somme  de  mille  livres  monoye  de 
Savoye,  dans  une  année  prochaine,  datte 
du  présent,  néanmoins  sans  intérêts  pen- 
dant ledit  terme,  et  passé  icelui,  avec  in- 
térest  stipulé  au  cinq  pour  cent,  et  de  lui 
donner  encor  bonne  et  suffisante  caution 
pour  la  seureté  de  laditte  somme,  de  mô- 
me que  de  le  relever  de  tous  les  engage- 
ments par  lui  pris  par  les  contracts 
énoncés  ci  dessus,  ce  qui  auroit  été  accepté 
par  ledit  sieur  Perrin.  Pour  ce  est  il  que 
les  an,  jour,  lieu  et  heure  que  dessus,  par 
devant  moi  nottaire  et  témoins,  s'est 
personnellement  établis  et  constitué  ledit 
spectable  Jean  Charle,  fils  à  feu  sieur 
Maxime  Perrin,  avocat  au    sénat,   natif, 


DE  MAD\Mt:    DE  WARENS  3I 

bourgeois  cl  liahilaiU  duclil  Chambcry, 
lequel,  de  ^r<5,  poin  lui  cl  les  siens  s'est 
departy,  ainsi  que  par  le  présent  acte  il  se 
départ,  purement,  simplement  et  irrévoca- 
blement, de  la  meilleure  manière  que  dé- 
partement se  peut  faire  de  droit  en  faveur 
de  laditte  dame  françoise  Louise  Eléonore, 
fille  feu  noble  Jean  Baptiste  de  La  Tour, 
baron  d'Empire,  épouse  de  noble  Isaac 
Sébastien  de  Warens,  native  de  Vevey, 
païs  de  Veaux  en  Suisse,  canton  de  Berne, 
habitante  de  la  présente  ville  ici  présente 
et  acceptante,  pour  elle  et  les  siens,  à 
sçavoir  de  la  cinquième  portion  qu'il  at 
dans  la  recherche  des  mines  de  pierre,  de 
terre,  soit  houllie,  conformément  aux  con- 
tracts  ci  dessus  ténorisés,  auxquels  ont  se 
rapporte  pour  le  tout,  lui  transférant  et 
cédant  tous  les  droits,  bénéfices  et  privillè- 
ges  d'iceux,  la  constituant  pour  sa  procu- 
ratrice générale,  avec  pouvoir  de  consti- 
tuer et  substituer  sous  due  élection  de 
domicile,  et  ledit  département  fait  par  le- 
dit spectable  Perrin,  pour  et  moienant  le 
prix  et  somme  de   mille  livres  monoye  de 


32  LES  DERNIE:RES  ANNEES 

Savoye,  que  ladite  dame  baronne  de 
Warens  promet  lui  payer  ou  es  siens,  dans 
cet  année  prochaine,  datte  du  présent  sans 
intérest  pendant  ledit  terme,  et  passé  ice- 
lui,  avec  intérest  stipulé  au  cinq  pour 
cent,  promettant  encore  laditte  dame  de 
le  relever  et  faire  relever  dez  à  présent  en- 
vers ses  dits  associés,  de  ses  engagements 
qu'il  avoit  pris  par  les  contracts  ci  dessus 
désignés,  et  pour  l'observation  de  tout 
quoi,  laditte  dame  baronne  de  AVarens 
s'est  soumise  aux  peines  de  tous  dépens, 
dommages,  intérêts,  et  à  l'obligation  de 
tous  et  un  chacun  ses  biens  présents  et 
avenirs  qu'elle  se  constitue  à  ces  fins  tenir, 
et  c'est  laditte  somme  de  mille  livres  en 
remboursement  des  fonds  qu'il  at  remis  au 
sieur  Vidal,  caissier  établi  par  la  Compa- 
gnie ;  et  pour  plus  grande  seureté  de  la 
somme  ci  dessus  promise  par  laditte  dame 
baronne  de  Warens,  à  sa  prière  et  réquisi- 
tion s'est  de  même  ici  personnellement 
établis  et  constitué  noble  François  fils  de 
feu  noble  Joseph  Davied,  seigneur  de  Fon- 
tenex  et  de  Gy,  natif  delà  ville  de  Thonon, 


l)K    MAlJAMI-:  DE  WAHENS  33 

dcpix^scnl  aiidil  Chamhcry.  lequel,  de  gré, 
pour  lui  et  les  siens,  néanmoins  après 
avoir  icnoïK'c  au  bénéfice  de  division, 
d'ordre  cl  de  disent iou,  s'est  rendu  plaige 
et  caution  pour  laditlc  dame  baronne  de 
Warens  de  La  Tour,  principal  payeur  et 
observateur  du  contenu  au  présent,  et  pour 
reffct  de  ce  que  dessus  s'est  aussi  soumis 
aux  peines  de  tous  dépens,  dommages, 
intérêts,  à  l'obligation  de  tous  et  un 
chacun  ses  biens  présents  et  avenirs,  sous 
clause  de  constitut,  avec  promesse  avec 
promesse  que  fait  ladittc  dame  baronne  de 
Warens  de  relever  saditte  caution  de  tout 
ce  qu'il  pourroit  souffrir,  occasion  dudit 
cautionnement,  tant  en  principal,  domma- 
ges intérêts  que  dépens,  aux  mesme  peines 
c]ue  dessus,  hypothéquant  spécialement 
pour  ce  fait  laditte  dame  de  Warens,  tou- 
tes les  prétentions  et  bénéfices  qu'elle  at 
pourroit  avoir  et  retirer  de  laditte  société, 
étant  expressément  convenu  entre  laditte 
dame  baronne  de  Warens  de  La  Tour  et 
ledit  seigneur  Davied,  qu'au  cas  que  ce 
dernier  fut  obligé  à  payer  audit  sieur  Per- 


34  I  ES  DERNIERES  ANNEES 

rin  la  susditte  somme  de  mille  livres,  au- 
dit cas,  il  sera  dez  à  présent  mis  et  subro- 
gé au  même  lieu  et  place  de  laditte  dame 
baronne  de  Warens,  comme  représentant 
ledit  spectable  Perrin,  en  vertu  du  présent 
département,  qui  en  vrai  signe  d'icelui,  a 
manuellement  remis  à  laditte  dame,  au 
vu  de  moi  dit  nottaire  et  témoins,  toutes 
les  expéditions  des  actes  et  privillèges  qui 
lui  avoit  été  remis  concernant  laditte  so- 
ciété, et  sans  entendre,  ledit  seigneur  s'as- 
traindre  à  aucune  autre  chose  concernant 
la  susditte  société,  que  cautionner  laditte 
dame  de  Warens  pour  laditte  somme  de 
mille  livres,  et  c'est  en  tant  que  le  présent 
serat  approuvé  et  ratifié  par  les  autres 
associés  de  Genève  et  par  ledit  noble  de 
Curtilles,  Et  ce  ont  fait  lesdittes  parties, 
par  mutuelle  et  réciproque  stipulation  et 
acceptation,  et  ont  promis  et  promettent 
observer  tout  le  contenut  au  présent  cha- 
cune en  ce  qui  la  concerne,  aux  peines 
respectives  de  tous  dépens,  dommages,  in- 
térêts, à  l'obligation  et  constitution  réci- 
proque de  tous  et  un   chacun  leurs  biens 


DE  MADAME  DL  WARF.NS  35 


priisciUs  cl  avenirs,  sous  clauses  de  cons- 
titut,  entendant  icelle  parties,  que  la  nar- 
rative du  présent  ne  fasse  qu'une  seule  et 
même  substance,  et  comme  corp  individu 
avec  la  présente  dispositive,  sous  toutes 
dues  promesses,  soumission, renonciation, 
stipulation  acception,  et  autres  requises 
de  droit.  l\iit  et  pron(^ncc  audit  les  lieu, 
an,  jour  et  heure  que  dessus,  en  présence 
du  sieur  Claude  Vidal,  marchand  et  habi- 
tant de  la  présente  ville,  et  de  Pierre  Mi- 
chal,  aussi  habitant  de  la  présente  ville, 
témoins  requis.  Tabellion  trente  sols,  les- 
quels témoins,  de  môme  que  les  parties, 
ont  signés  sur  la  minutte  de  je  dis  nottaire 
soubsigné,  de  ce  recevant  requis,  conte- 
nant le  présent  et  par  moi  écrit,  y  compris 
mon  verbal  et  signature,  presque  cinq  pa- 
ges, et  levé  pour  le  tabellion,  après  due 
collation  faitte  sur  ma  ditte  minutte,  quoi- 
que le  présent  minutaire  soit  par  d'autre 
écrit.  —  Ainsi  est. 

Signé  :  Cagnon,  notaire. 
Enfin,  la  baronne  parvenait,  cependant, 


36  LES   DERNIÈRES  ANNÉES 

à  contracter  un  emprunt  ;  la  preuve  en  est 
dans  un  brouillon  de  reçu,  non  signé,  at- 
tribué à  M'"''  de  Warens,  conservé  aux 
Archives  départementales  de  la  Savoie, 
ainsi  conçu  : 

Nous  soubsigné  prométon  paier  a  Mon- 
sieur Tomas  mètre  fondeur  saxon  ;  ou  a 
son  hordre  dens  le  terme  d'une  année 
quinze  louys  dor  neuf  de  france  de  vint 
une  livre  pièce  ;  qu'il  nous  a  prêtes  en 
même  espèce,  en  foy  de  quoy  nous  avont 
signé  le  présent  a  chambery  ce  20  mars 

1754- 

Ce  reçu  eut  immédiatement  une  seconde 
rédaction  ;  voici  la  teneur  du  deuxième 
brouillon  : 

Nous  soubsigné  en  considération  et  par 
Reconoissance  du  service  que  M*"  Tomas 
maître  fondeur  saxon  vient  de  nous  Rendre 
en  nous  prêtant  quinze  louys  neufs  pour 
nos  traveaux  de  la  Colombière  nous  luy 
prometons    de  bonne  foy    de    luy  doner 


DE  MADAMK  DE    WAIIENS  37 


mille  livre  de  Gratifications;  cy  tôt  que 
nous  auront  dccombrc  notre  filons,  du 
soubtcrrin  de  la  Cijlombiere  et  que  nous 
cnvoirons  la  mines  ce  que  esperont  avec 
l'aide  du  seip:ncur  quy  ccras  dens  le  cou- 
rcnds  de  celle  année,  en  foy  de  quoy  nous 
avont  signé  le  présent  a  Chambery  ce  20 
mars  1754. 

Outre  le  précédent  document,  les  Ar- 
chives départementales  de  la  Savoie  pos- 
sèdent encore,  de  la  môme  date,  une  mi- 
nute de  lettre,  dont  la  dernière  phrase, 
seulement,  et  quelques  corrections  sont 
de  la  main  de  M"""  de  Warens  ;  la  missive 
paraît  avoir  été  adressée  au  directeur  des 
travaux  que  la  baronne  faisait  exécuter  au 
Bourget-en-Huille. 

Monsieur,  j'ay  l'honneur  de  vous  don- 
ner avis  que  Monsieur  Perrin  Langlay 
s'étant  départy  par  contract,  de  sa  part  et 
prétantion  dans  la  Compagnie  des  Char- 
bonnier, je  me  trouve  dans  le  cas  d'estre 
chargée  de  nos  affaires  pour  les  traveaux 


38  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

des  huilles  et  du  Bourget,  Comme  étant  la 
seulle  à  portée  de  cette  partie,  les  autres 
associés  de  Genève  et  de  Tarantaise  étant 
trop  éloigné.  încy  je  vous  prie,  Monsieur 
d'avoir  la  bonté  de  vouloir  agir  en  bonne 
inteligence  avec  moy  suivant  la  coutume 
allemande,  et  de  prendre  la  paine  défaire 
pezer  tout  le  charbon  qui  et  dans  les  fau- 
ccs  que  je  vient  de  vandre  aux  sieur  Jo- 
seph Tournier.  //  m  en  offre  un  douzon  le 
quintal,  pour  celuy  qu'on  tireras  à  l'avenir  ; 
sur  qiioy  nous  vairons  entre  vous  et  jnoy  ce 
qu'il  conviendras  de  faire.  — Je  luy  fait  un 
rabay  sur  celuy  qu'on  at  tiré  jusqu'à  à 
présent  à  cause  qu'il  est  encore  un  peux 
mellé  de  servelle.  Il  ne  vous  en  payera 
que  dix  sols  le  quintal.  Vous  auré  la  bonté 
dens  retirez  l'argent  pour  payer  ce  quy 
est  encore  deu  aux  ouvrier,  et  pour  avoir 
quelques  choses  pour  recommencer  les 
traveaux,  l'orque  le  beautems  le  permettra. 
De  zirant  d'avoir  l'honneur  d'une  confé- 
rance  particulière  avec  vous,  je  vous  en 
prie  avant  que  de  recommencer  les  tra- 
veaux, vous  priant  aux  surplus  que  vous 
ayez  la  bonté  de 


DE    MADAMi:    hi:    WAKMNS  39 


(Toute  cette  première  partie  de  la  lettre 
est  d'une  écriture  autre  que  celle  de  M"** 
de  Warens,  sauf  les  quelques  mots  et  correc- 
tions en  italique,  qui  sont  de  sa  main,  aiîîsi 
que  la  fin  de  la  lettre) 

faiie  ataïUions  que  nos  houtils  et  équipa- 
ge du  liions  ne  se  perde  pas,  M^ nous 

ayant  donner  un  comte  de  cinq  li\res  de 
dépencc  tcnt  en  outils  que  autres  équipa- 
ge et  frais  de  mineurs.  —  Recomendent 
le  tout  à  vos  bontés  hordinaires  j'ay 
l'honeur  d'êLres  avec  bien  de  la  reconois- 
sance  et  la  plus  parfaite  considération  etc. 
A  Chambcry  ce  20^  mars  1754. 

Quelques  mois  après,  M"""^  deWarens  pa- 
raît cesser  de  faire  partie  de  la  Compagnie 
des  mines  de  la  haute  Maurienne,  dont 
elle  avait  été  la  fondatrice.  Certainement, 
à  cette  époque,  elle  ne  possédait  plus  d'ac- 
tions de  la  société.  Le  fait  est  démontré 
par  une  collection  de  pièces  de  compta- 
tabilité,  du  commis  des  mines  des  Four- 
neaux en  Maurienne,  existant  aux  Archives 
départementales  de  la  Savoie.  En   effet. 


40  LES   DERNIERES  ANNEES 

jusqu'au  22  juillet  1754,  le  régisseur  cer- 
tifie ses  états  de  la  manière  suivante  : 

«  Je  soussigné  Etienne  Durand,  commis 
«  régisseur  des  minières  de  la  haute 
((  Maurienne  et  fabriques  des  Fourneaux, 
«  dépendente  de  M""*"  la  baronne  de  Wa- 
((  rens,  M'"  Mansord  et  C'%  certifie,  etc.  » 

A  partir  de  cette  date,  Durand  change 
sa  formule  et  se  dit  :  ((  Régisseur  des 
Mines  de  la  haute  Maurienne  et  fabriques 
des  Fourneaux,  dépendente  de  MM.  Man- 
sord,  Perrichon  et  Compagnie.  » 

L'histoire  possède,  ainsi,  la  date  exacte 
de  l'époque  à  laquelle  la  baronne  fut 
évincée,  de  fait  sinon  en  droit,  de  la  fa- 
meuse compagnie  qu'elle  avait  créée. 

Quelques  semaines  auparavant.  M'"''  de 
Warens  avait  revu  Jean-Jacques,  qui 
datait  de  Chambéry  la  dédicace  de  son 
Discours  sur  l'origine  et  les  fondejnents  de 
r inégalité  parmi  les  hommes.  Rousseau 
dit,  au  Livre  VIII  des  Confessions  : 

((  A  Lyon,  je  quittai  Gauffecourt,  pour 
prendre  ma  route  par  la  Savoie,   ne  pou- 


DE  MAbAAU:    DL  WAKENS  4I 

vaut  nie  rcsoudrc  à  passer  derechef  si 
près  de  maman  sans  la  revoir.  Je  la  re- 
vis.... Dans  quel  état,  mon  Dieu  !  quel 
avilissement  !  Que  lui  restoii-il  de  sa  ver- 
tu première  >  Etoii-ce  la  même  M™*=  de 
Warens,  jadis  si  brillante,  à  qui  le  cure 
Pontverre  m'avoit  adressé  ?  Que  mon 
cœur  fut  navre  !  Je  ne  vis  plus  pour  elle 
d'autre  ressource  que  de  se  dépayser.  Je 
lui  réitérai  vivement  et  vainement  les  ins- 
tances que  je  lui  avois  faites  plusieurs  fois 
dans  mes  lettres,  de  venir  vivre  paisible- 
ment avec  moi,  qui  voulois  consacrer  mes 
jours  et  ceux  de  Thérèse  à  rendre  les  siens 
heureux.  Attachée  à  sa  pension,  dont  ce- 
pendant, quoique  exactement  payée,  elle 
ne  tiroit  plus  rien  depuis  longtemps,  elle 
ne  m'écouta  pas.  Je  lui  fis  encore  quelque 
légère  part  de  ma  bourse,  bien  moins  que 
je  n'aurois  dû,  bien  moins  que  je  n'aurois 
fait,  si  je  n'eusse  été  parfaitement  sûr 
qu'elle  n'en  profiteroit  pas  d'un  sou.  Du- 
rant mon  séjour  à  Genève,  elle  fît  un  vo- 
yage en  Chablais,  et  vint  me  voir  à  Gran- 
ge-Canal.  Elle  manquoit    d'argent   pour 


42  LES   DERNIERES  ANNEES 

achever  son  voyage  :  je  n'avois  pas  sur 
moi  ce  qu'il  falloit  pour  cela  ;  je  le  lui 
envoyai  une  heure  après  par  Thérèse.  Pau- 
vre maman  !  Que  je  dise  encore  ce  trait 
de  son  cœur  .  Il  ne  lui  restoit  pour  dernier 
bijou  qu'une  petite  bague  ;  elle  Tôta  de 
son  doigt  pour  la  mettre  à  celui  de  Thé- 
rèse, qui  la  remit  à  Tinstant  au  sien,  en 
baisant  cette  noble  main  qu'elle  arrosa  de 
ses  pleurs.  » 

Accompagné  de  Thérèse,  Rousseau  avait 
fait  route,  de  Paris  à  Lyon,  avec  Gauffe- 
court,  l'un  de  ses  premiers  amis.  Or,  les 
Archives  départementales  de  la  Savoie 
possèdent  la  copie  d'une  lettre  adressée 
à  M.  de  Goffecour  à  Genève.  Ces  quatre 
derniers  mots,  qui  terminent  la  suscrip- 
tion  de  la  pièce,  sont  seuls  de  l'écriture  de 
M™^  de  Warens.  Le  document  nous  initie 
aux  démêlés  de  la  baronne  avec  son  asso- 
cié Perrichon,  et  dévoile  le  projet,  qu'elle 
caressait  alors,  de  quitter  Chambéry  : 

Monsieur  je  me  suis  trouvée  Cy  inco- 
modée  que  je  n'ay  pas  étés  En  Etat  de 


bb  MADAME    DE  WAUENS  43 

de  vous  Rendre  plus  tôt  mes  jd-Mu  .icîi«»ii-) 
de  grâces  sur  les  soins  généreux  que  vous 
venez  encore  de  vous  donnera  mon  auca- 
sions  ;  je  plain  la  veuglement  de  Mr.  P. 
mais  comme  C'est  aux  jcnird'huy  un  mal 
son  rcnicdc  il  Tau  cl  que  cette  fièvre  fasse 
crize  ;  pour  moy  que  nay  rien  à  me  Re- 
prochée, que  davoir  a«^nl  avec  trop  de 
zelle  et  de  Bonne  foy  pour  bien  Etablir,  je 
me  trouve  Consolce  de  toutes  les  injustices 
que  Ion  Exerce  a  mon  Egards  par  le  Bon- 
heur que  j'ay  Eu  de  Bien  Reussy,  le  temps, 
fera  assé  connoistre  La  consequance  de 
mon  ouvrage  sans  que  je  fasse  mes  Eloges, 
jendoit  Rendre  a  dieu  deternellc  actions 
de  grâce  ;  je  me  Retireray  dens  peu  de 
jours  dans  le  petit  hermitage  que  j'ay 
choisy  ;  ce  qui  me  mestras  portée  davoir 
Lavantage  de  vivre  dans  votre  voisinage 
ce  qui  me  flatte  infiniment,  sur  tout  Cy 
josoit  espérer  que  vous  voulussié  prendre 
la  peine  de  venir  visiter  la  peauvre  her- 
mitte  ;  je  vous  prie  Cy  vous  voiée  Mr. 
Rousseaux  de  luy  faire  mes  amitiés,  Cy 
vous   monorés    de  vos    chère   nouvelles, 


44  LES  DERNIERES  ANNEES 

passé  la  quinzaine  je  seray  dans  Lermitage 
dont  vous  savez  la  dresse,  j'ay  l'honneur 
destre  avec  la  plus  parfaitte  Reconnais- 
sance, et  la  Considération  la  plus  Respec- 
tueuse Mr  etc 

a  chambery  ce  2^  août  1754. 
ce  2  août  1754. 

Peut-être,  M""^  de  Warens  fait-elle  al- 
lusion, dans  cette  lettre,  à  la  maison  d'un 
M.  Lejeune,  qu'elle  avait  louée  avec  son 
jardin,  à  Evian,  ou  à  l'immeuble  qu'elle 
achètera,  le  19  juin  1755,  dans  la  même 
ville,  et  dont  elle  devra  résilier  l'acquisi- 
tion, le  27  septembre  1757,  moyennant 
dommages-intérêts,  faute  de  pouvoir  en 
payer  le  prix.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  mi- 
sère réelle  de  la  baronne  était  notoire, 
à  Chambery  ;  l'histoire  en  a  l'indication 
exacte  dans  un  acte  du  21  août  1754, 
par  lequel  M™^  de  Warens,  que  le  no- 
taire appelle  pauvre  dame  baronne,  donne 
sa  procuration  à  Wintzenried,  afin  de 
poursuivre  le  procès  qu'elle  avait  intenté 
aux  héritiers   de    Mgr    de    Rossillon    de 


UL   MAUAML    DL  WAIŒN8  45 

Bcrncx,  cvcciuc  de  Gcncvc,  qui  lui  avait 
Ic5guc5  une  pension  de  150  '.  par  an,  dont 
elle  n'avait  jamais  pu  être  payc^e.  M"**  de 
Warcns  veut  que,  sur  les  premiers  arré- 
rages, qu'il  touchera,  Wint/enried  com- 
mence par  se  rembourser  d'une  somme  de 
705  '.,  qu'il  avait  prctce,  en  1753,  à  l'infor- 
tunée baronne,  et  qu'il  paie,  ensuite,  dans 
Tannée,  200  '.  à  un  boulanger,  auquel 
M"'*=  de  Warens  les  devait,  pour  fourni- 
turc  de  pain.  Le  document  figure,  en  ces 
termes,  au  2"  volume  de  1754,  folio  903, 
des  registres  du  Tabellion  de  Chambéry  : 

^Procuration  passée  au   sieur  de  Courtilles 
par  pauvre  dame  baronne  de  Warens, 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  quatre  et 
le  vingt-unième  jour  du  mois  d'aoust,  à 
Chambéry,  à  deux  heures  après  midy, 
dans  la  maison  d'habitation  de  la  dame 
constituante,  cy  après  nommé,  pardevant 
moy  notaire  royal  soussigné,  et  présents 
les  témoins  cy  après  nommés,  s'est  per- 
sonnellement établie  et  constituée  pauvre 


46  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

dame  Françoise-Louise  Eléonorc,  fille  de 
feu  noble  Jean-Baptiste  de  La  Tour, 
baronne  dcWarens,  natifve  de  Neveu  (sic) 
en  Suisse,  résident  en  cette  ville,  laquelle, 
de  gré  constitue  pour  son  procureur  géné- 
ral, sous  élection  de  domicile,  noble  Jean 
Samuel  Rodolphe  Wintzinried,  fils  de 
noble  Samuel  Rodolphe  de  Courtilles,  na- 
tif de  Courtilles,  pays  de  Veaux,  canton 
de  Berne,  résident  en  cette  ville,  icy  pré- 
sent et  ladite  charge  acceptant,  et  c'est 
pour  et  au  nom  de  la  dame  constituante, 
faire  touttes  les  poursuittes  nécessaires 
pour  se  procurer  le  payement  de  la  censé 
annuelle  et  viagère  de  cent  cinquante  li- 
vres de  Savoye  qui  luy  ont  été  léguées 
par  Monseigneur  de  Rossillon  de  Bernex, 
évêque  et  prince  de  Grenoble  (sic)  affectée 
sur  la  terre  de  Sallonges,  possédée  par  M. 
le  doyen  de  Mont  St  Jean,  demander  et 
faire  rendre  compte  de  ladite  censé  dez  le 
décès  dudit  Révérendissime  Evêque  jus- 
ques  à  cejourdhuy,  et  encore  à  Tavenir, 
pendant  qu'elle  devra  avoir  lieu,  et  pour 
ce,   intenter  tous  procès,  tant    en  action 


UK   MADAAU:  UL    WAKLNS  4^ 

• 

réelle,  personnelle,  que  mixte,  soit  par 
nouvelle  instance,  soit  par  continuation 
de  celle  cl<ijà  commencée,  et  en  iceux  dire, 
déduire,  produire,  communiquer  et  contre- 
dire, tous  titres  fournir,  et  sauver  touttcs 
exceptions,  et  généralement  poursuivre 
lesdits  procès  jusqu'à  sentence  et  arrêt 
définitifs,  pleine  et  entière  exécution  d'i- 
ceux,  s'il  y  échoit,  avec  pouvoir  de  transi- 
ger, accepter  ou  révoquer  tous  offres,  exi- 
ger et  passer  quittance,  le  tout  quoy  elle 
aprouve  et  rattifie  dcz  à  présent  comme 
pour  lors,  luy  donnant  encore  pouvoir  de 
poursuivre  en  instance  sommaire  ou  ré- 
glée le  nommé  Pierre  Sandre,  de  la  pa- 
roisse de  Chanaz,  pour  le  payement  de  la 
somme  de  cent  soixante  deux  livres  dont  il 
luy  est  débiteur,  pour  des  causes  connues 
audit  sieur  de  Courtilles ,  révoquant , 
pour  le  fait  de  ces  deux  demandes,  tous 
autres  procureurs,  cy  devant  constitués, 
auquels  ledit  sieur  de  Courtilles  pourra  et 
devra  demander  compte  de  leur  adminis- 
tration et  exaction,  retirer  et  exiger  le 
reliqua,  en  passer  dû  acquittement,  et  re- 


48  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

tirer  d'entre  les  mains  de  M'^  Morel,  pro- 
cureur, les  titres  et  procédures  qu'il  at  à 
ce  sujet,  et  d'en  faire  chargé,  si  besoin  est, 
et  en  cas  de  plaid,  de  constituer  et  substi- 
tuer M'"''  Vernier,  procureur  au  sénat,  et 
des  exactions  que  ledit  sieur  de  Courtil- 
les  faira  et  devra  faire,  il  commencera  à 
s'en  retenir  la  somme  de  sept  cent  et  cinq 
livres  qu'elle  confesse  et  déclare  luy  de- 
voir pour  cause  de  prêt,  dont  même  elle 
luy  a  passé  deux  billets,  le  premier,  sous 
la  datte  du  six  mars,  et  le  second,  du 
vingt-trois  décembre  mille  sept  cent  cin- 
quante trois,  qui  après  ladite  rétention, 
seront  remis  à  ladite  dame  constituante, 
sur  lesquels  billets  sera  la  présente  anot- 
té,  pour  avoir  été  convenu  qu'ils  ne  seront 
payés  qu'au  moyen  de  l'exaction  desdites 
censés,  de  plus  elle  l'oblige  et  assigne  de 
payer,  dans  une  année  la  somme  de  deux 
cent  et  quelques  livres  au  boulanger  Gi- 
ron et  sa  femme,  demeurant  sous  le  châ- 
teau, qu'elle  déclare  leur  devoir  pour  du 
pain  fourni  à  sa  famille,  et  du  surplus  de 
ses  exactions,  il  devra  en  rendre  compte  à 


DE  M  ADAM  L   l)ï.   WAKLNS  49 

la  dame  constituante,  en  prc5levant  ndant- 
moins  les  frais  qu'il  aura  suportés,  occa- 
sion de  la  présente  procuration.  Ce  que 
l'un  et  l'autre  ont  promis  observer,  aux 
peines  de  tous  dépens,  domages  intérêts, 
sous  l'obligation  de  tous  leurs  biens  pré- 
sents et  avenir,  qu'ils  se  constituent  res- 
pectivement tenir.  Viûi  prononcé  en  pré- 
sence de  noble  François  Daviet,  seigneur 
de  Foncenex  et  de  Gy,  et  de  noble  Pierre 
François  La  Branche,  habitant  à  Bramans, 
en  Mauriennc,  et  ce  premier  en  cette  ville, 
témoins  requis.  Les  parties  et  témoins 
ont  signé  à  la  minutte  de  moy  notaire  re- 
cevant qui  ay  levé  le  présent,  pour  l'office 
du  tabellion,  contenant  sur  icelle,  deux 
pages  et  un  quart. 

Signé  Petroz,  notaire. 

Le  même  registre  du  Tabellion  contient, 
au  même  folio,  à  la  même  date,  une  pro- 
curation, donnée  p^r  paicvre  dame  baronne 
de  Warens,  pour  gérer,  en  son  absence, 
les  affaires  de  sa  société  des  mines  de  la 
haute  Maurienne  et  poursuivre  le  procès, 


50  LES    DERNIERES    ANNEES 

que  la  Compagnie  avait  par-devant  le 
sénat  —  cela  devait  finir  ainsi  —  contre 
le  sieur  iVlathieu  Casse. 

PROCURATION 

passée  par  pauvre  dame  baronne  de  Wareîis 
au  sieur  Joseph  Thorin. 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  quatre  et 
le  vingt  unième  jour  du  mois  d'aoust,  à 
Chambéry,  à  deux  heures  et  un  quart  après 
midy,  dans  la  maison  d'habitation  de  la 
dame  constituante  cy  après  nommé,  par 
devant  moy  notaire  royal  soussigné,  pré- 
sents les  témoins  cy  après  nommés,  s'est 
personnellement  établie  et  constituée  pau- 
vre dame  Françoise  Louise  Eléonore,  fille 
de  feu  noble  Jean-Baptiste  de  La  Tour, 
baronne  de  Warens,  natifve  de  Neveu 
(sic)  en  Suisse,  résident  en  cette  ville,  la- 
quelle étant  obligée  de  s'absenter  pour  ses 
intérêts  particuliers,  de  gré  a  constitué  et 
constitue  pour  son  procureur  spécial  le 
sieur  Joseph  Thorin  d'icy  absent,  moy  dit 


DL  madaml:  de  warens  51 

notaire  pour  luy  présent  et  acceptant, 
c'est  pour  et  à  son  nom  régir  et  adminis- 
trer les  mines  et  travaux  dépendant  de  la 
Compagnie  formée  entre  la  dame  consti- 
tuante, le  seigneur  Camille  Périchon  et  le 
seigneur  François  Mansord,  en  conformité 
du  règlement  de  ladite  Compagnie,  et 
sans  préjudicier  au  procès  noué  au  sénat 
entre  lesdits  associés  et  le  sieur  xMathieu 
Casse,  avec  pouvoir  qu'elle  lui  donne  d'é- 
tablir ou  révoquer  les  cmplo^^és,  faire 
rendre  compte  par  les  régisseurs  et  gardes 
magasins,  vendre  les  mattières  provenan- 
tes desdites  mines  et  fabriques  au  plus 
grand  avantage  de  la  Compagnie,  et  pour- 
suivre les  débiteurs  d'icelle,  leur  donner 
touttes  quittances  et  décharges,  en  un  mot 
administrer  tout  ce  qui  peut  dépendre  de 
sa  charge  de  directeur  et  caissier,  à  la 
charge  qu'il  rendra  compte  à  ladite  dame 
constituante,  de  son  administration  et  luy 
fournira  tous  les  trois  mois,  ou  touttes  les 
fois  que  ladite  dame  le  requerra,  les  états 
de  la  sittuation  de  la  caisse  et  des  mattières 
qui  seront  par  luy  vendues,   de  celles  qui 


52  LES    DERNIÈRES    ANNEES 

seront  dans  le  magasin  et  de  celles  qui 
seront  tirées  dans  les  fosses,  Et  en  cas  de 
plaid,  il  pourra  constituer  ou  substituer 
tel  procureur  qu'il  jugera  à  propos,  le  tout 
avec  élection  de  domicile  Le  tout  quoy  la- 
dite dame  constituante  approuve  et  rattif- 
fie  dèz  à  présent  comme  pour  lors,  pro- 
mettant néantmoins  de  le  relever  de  tout 
ce  qu'il  pourroit  souffrir,  occasion  de  la 
présente  procuration,  aux  peines  de  tous 
dépens,  domages  intérest,  sous  l'obliga- 
tion de  tous  ses  biens  présents  et  avenirs, 
qu'elle  se  constitue  tenir.  Fait  et  prononcé 
en  présence  de  noble  françois  Davied,  sei- 
gneui  de  Foncenex  et  de  Gy,  habitant  en 
cette  ville,  et  de  noble  Pierre  françois 
La  Branche,  habitant  à  Bramand  en 
Maurienne,  témoins  requis  qui  ont  si- 
gné, de  même  que  ladite  dame  consti- 
tuante sur  la  minutte  de  moy  notaire 
recevant  qui  ay  levé  le  présent,  pour  l'of- 
fice du  tabellion  contenant  sur  icelle  une 
page  et  demy. 

Signé  Petroz  notaire. 


DE  mada^ml:  dl   vvaklns  53 


Voici,  concernant  les  mines  de  plomb 
situées  au-dessus  de  Modane  et  exploitées 
par  la  société  de  Mme  de  Warens,  un 
très  curieux  extrait  d'un  rapport  sur  les 
mines  du  duché  de  Savoie,  adressé,  le  27 
août  1754,  par  l'intendant  général  de 
Chambéry,  au  commandeur  Richa,  direc- 
teur général  du  service  des  Mines,  à  Turin. 
Ce  document  est  extrait  des  Archives  dé- 
partementales de  la  Savoie,  Série  C, 
N^^  126  : 

£\/^  le  commendcur  Tyicha 

Du  27  aoust  1754 

Je  suis  bien  fâché  de  ne  pouvoir  répon- 
dre d'une  manière  plus  satisfaisante  à  la 
lettre  dont  vous  m'aves  honoré,  Mr,  le  3™^ 
du  courant  ;  les  minières  qu'on  exploite 
en  Savoye  n'étant  ny  en  nombre  ni  si 
abondantes  en  plomp  pour  pouvoir  vous 
en  procurer.  Outre  celles  de  Pesey  qui 
doivent  fournir  à  l'arcenal  tout  leur  pro- 
duit en  plomp  nous  n'avons  d'autres  mi- 
nières en  activ^ité  dans  ce  duché  que  celles 


54  LES    DERNIERES    ANNEES 

des huilles  et  celles  de  Maurienne  au  dessus 
de  Modane.  Ceux  qui  exploitent  les  mi- 
nières des  huilles  ou  M.  le  comte  de  Mont- 
joye  est  intéressé  sont  déjà  astraints  par 
un  contract  de  remettre  tout  leur  plomp  à 
Tarscenal,  et  doivent  avoir  passé  cette 
soumission   à  votre  bureau  et  soit  faute 

d'argent etc. . .  ils  profitent  plus 

tôt  d'un  filon  de  cuivre  qui  leur  est  de  quel- 
que plus  grande  utilité. 

A  l'égard  des  minières  de  Maurienne  au 
dessus  de  Modane  qui  sont  exploitées  par 
la  société  de  M""^  la  baronne  de  Varrens, 
les  travaux  se  continuent  toujours,  mais 
la  difficulté  de  la  descente  de  la  mine  des 
plus  hautes  montagnes  leur  cause  beaucoup 
de  fraix  et  à  peine  cette  société  peut  elle 
suffire  aux  engagement  qu'elle  a  avec  la 
Direction  des  gabelles  puisqu'elle  a  été 
obligée  de  diminuer  la  quantité  promise 
aux  gabelles  de  Savoye  pour  pouvoir 
fournir  la  plus  grande  portion  à  la  direction 
générale  des  gabelles  de  Piedmont  à  la- 
quelle elle  addresse  à  Tur/n  depuis  quel- 
que tems  ses  plomps.  » 


DE    MADAME    DE    WARENS  55 


Cependant  la  baronne,  après  avoir  donne 
sa  procuration  à  Joseph  Thr)rin,  dtait  par- 
tie pour  Evian.  La  preuve  en  existe  dans 
la  lettre  suivante,  que  lui  adressait, de  Tho- 
non,  un  de  ses  amis,  françois  Daviet, 
lequel  figure,  comme  témoin,  dans  les 
deux  actes  que  M"'*'  de  Warens  avait  fait 
passer,  le  21  août  précédent. 

Madame 

J'auray  l'honneur  de  vous  voir  le  plus 
tôt  possible  M*"  Fabre  me  presse  de  vous 
dire  quil  mat  parlé  plusieurs  fois  pour 
m'engager  a  ce  voyage,  l'empressement 
que  iay  pourra  vous  marquer  ma  iuste 
reconnoissance  nat  point  diminué  ;  mais, 
Madame,  iay  eu  des  contretems  qui  mont 
privés  de  ce  plaisir,  Soyés  en  bien  persua- 
dée, car  ie  vous  puis  assurer  que  person- 
ne nest  avec  plus  de  justice  ny  avec  plus 
de  respect 

Madame 
Votre  très  humble  et  très  obeiss*  serviteur 
Daviet  de  foncenex 
Thonon  ce  13  y^re  ij^^ 


56  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

J'ay  bien  remis  vos  lettres  de  Suisse 
avec  les  instructions  que  iy  ay  joint  ;  M"* 
votre  parent  etoit  a  notre  passage  a  quel- 
ques lieues  de  La  tour 

Madame 
Madame  la  Baronne  de  Warens  Baron- 
ne de  Latour  et  présentement 

a  Evian 

En  mentionnant  ce  document,  qu'il  avait 
sous  les  yeux,  Jacques  Replat  dit  dans  sa 
Note  sur  Madajne  de  Warens,  à  propos 
du  post-scriptum  :  «  Ceci  nous  fait  pré- 
sumer que,  dans  sa  détresse,  elle  était 
venue  en  Chablais  pour  jeter  du  rivage 
un  regard  suppliant  au  pays  natal,  et  pour 
faire  appel  au  toit  de  famille  qu'elle  avait 
déserté.  »  Replat  ajoute  :  Etait  «  inclus 
dans  cette  missive  le  billet  d'un  sieur 
Fabre  :  il  prie  madame  de  Warens  d'écrire 
à  Genève  à  MM.Bérard  et  associés  :  à  telle 
fin  que  cette  maison  fournisse  de  la  pelu- 
che destinée  à  pourvoir  de  veste  et  de  surtout 
un  sieur  Joseph  Piston,  aux  frais  de  la 
dame,  bien  entendu.   »   Or,  la  lettre   de 


DE    MADAME  DE     WAKEN3  57 


David  existe  encore  aux  Archives  de  la 
Socit5té  riorimonlane,  où  Eloi  Serand  Ta 
collationnée,  exactement,  pour  le  présent 
volume  ;  mais  le  billet  de  T'abre  a  disparu. 

Madame  de  Warens  était  encore  absen- 
te lorsque  Wintzenricd  lui  adressa  de 
Chambcry,  le  8  octobre  1754,  la  lettre  ex- 
trêmement curieuse,  appartenant  aux  Ar- 
chives départementales  de  la  Savoie,  dont 
voici  la  teneur  inédite  pleine  de  révéla- 
tions : 

Jay  reçut  l'honneur  de  la  votre  par  le  s^ 
Michot  quil  vous  dira  notre  situations  ma 
femme  malade  et  moy  qui  ay  la  fièvre  de- 
puis dix  jours,  vous  voyé  par  la  sy  ma 
situations  est  tranquille  et  gracieuse  sans 
ma  rester  plus  long  tems  sur  ma  situations 
je  vient  par  celle  cy  vous  donner  le  dernier 
avis  que  je  crois  que  l'honneur  et  la  pro- 
bitté  dont  j'ay  toujours  faits  profeitions 
mon  dicter  de  même  qu'un  Etre  suprême 
m'ont  inspirer,  le  récit  du  s""  Michot  m'a 
fait  entrée  dans  des  idées  afreuses  de  létat 


58  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

présent  ou  vous  vous  trouvé  cependant 
nétant  pas  instruit  afonds  de  vos  ydées  ny 
de  vos  affaires,  la  façon  de  vivre  que  vous 
avés  prit  jusqua  présent  vous  ont  otté  tous 
vos  amis,  vous  voulé  entretenir  bien  des 
geans  a  de  gros  frais  ce  que  le  seig''le  plus 
opulent  ne  pouroit  pas  faire  voyé  Mad*"  a 
quoy  vous  sert  défaire  courir  les  monta- 
gnes à  fabre  a  600  I.  par  année  et  cy  M. 
Daviet  qui  vous  a  trompé  en  tout  et  par- 
tout meritte  davantage  votre  confience  le 
s""  Merkel  qui  a  600  1.  de  la  Compagnie 
outre  cela  vous  lentretené  luy  et  sa  famille 
comment  voulé  vous  que  cela  cepuisse 
faire  cela  est  impossible  avec  le  revenu 
que  vous  avés  et  l'état  présent  de  vos 
afaire  demande  un  menagem*  tout  con- 
traire vous  avés  mangé  par  avence  vos 
Cartier  et  je  ne  voit  point  quelle  peut  être 
votre  idées,  le  s*"  Vidot  comme  jevousTay 
marqué  a  conjedier  les  ouvriers  du  Bour- 
get  faute  d'argent  a  ce  qu'il  dit  ;  M''  le 
marquis  de  Chaumont  veut  être  payé  par 
moy  des  56  1.  que  Ion  lui  doit  pour  les 
charbonniers    et    ne    veut    sans   prendre 


DE    MADAME  I)F.  WAREN8  59 

qiK\  moy  vous  sente  par  la  ciu'il  faudra 
maigre  moi  que  je  me  retourne  contre  ma 
Comp"'^  et  vous  êtes  du  nombre  le  s""  Da- 
vict  et  Vidot  qui  ont  eut  vos  clés  cela  a 
mis  une  mcficncc  dans  la  ville  entre  vous 
et  moi  qui  est  touttes  à  sa  place,  le  s** 
Vernier  votre  procureur  ma  fait  la  grâce  de 
me  dire  que  si  vous  lui  avies  donne  ou  en- 
voyé vos  papier  qui  seroit  party  pour  Lyon 
cependent  a  vos  frais  à  fairies,  mais  qu'a 
l'entrée  il  ne  le  pouvoit  faire  ;  la  dessus  je 
vous  ai  donnés  avis  de  larivée  des  s""' 
Mensort  et  Denervos  qui  on  déjà  procédé 
a  un  invantaire  en  morienne  en  l'assistence 
du  s*"  Dupuis  et  le  montant  des  fonds  ou 
valeur  de  la  Compagnie  suivant  leur  conte 
ne  monte  qua  46  mil  livres  je  crois  avoir 
trouvé  un  Espédient  qui  est  le  dernier 
partir  que  vous  avés  aprendre  est  que  vous 
me  passiez  une  procure  Générale  pour 
toutte  vos  afaires  tant  de  fabriques  qu'au- 
tre et  alors  je  me  rendray  a  Lyon  auprès 
de  M""  Perichon  en  lui  Espliquant  pateti- 
quem*  et  sans  témoins  votre  situations  et 
labandont  que   vous  faites  de  touttes  vos 


60  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

prétentions  en  sa  faveur  fera  que  vous  en 
pouriez  tirer  quelque  choses  pour  vous 
remettre  dans  votre  courant  et  vivre  tran- 
quiiem^  dans  l'endroit  quil  vous  plaira  de 
choisir  ou  dans  un  couvent  si  mieux  l'ai- 
mé pour  quelque  tems  et  aportée  de  Cham- 
bery  sans  en  Etre  Eloigné  et  cela  ramai- 
nera  tous  les  cœurs  droit  en  votre  faveur, 
et  laissé  pour  lavenir  touttes  sortes  d'en- 
treprises puis  quelle  ne  sauroit  tourné 
qua  votre  desavantage  voila  mon  senti- 
ment en  honnette  homme  et  que  je  vous 
prie  de  pardonné  la  liberté  que  je  prend 
de  vous  les  donnés  mais  par  le  vouem' 
que  j'ay  et  que  j'auray  toutte  ma  vie  pour 
vous  qui  fait  qu'aujourd'huy  je  vous 
ouvre  mon  cœur  en  entier  cependent 
ilfaudroit  que  jut  tout  les  papiers  pour 
cela  faire  et  tout  seroit  finit  sans  que  per- 
sonne le  sut  je  vous  diray  qu'après  la 
rentrée  il  veule  vous  demander  au  sénat 
les  3  mille  et  quelque  livres  que  vous  de- 
vés  avoir  reçu  du  s'^Majan  et  qu'il  a  vendu 
a  M*"  Perrichon,  j'oubliay  de  vous  dire 
que  j'ay  donné  avis  a  M'  Bérard  de  même 


DE  MADAME  DE  WAREN8  6f 

qua  VOUS  Icn  du  s""  Vidot  de  sa  conduillc 
que  de  la  demande  de  M'  de  Chaumont 
sans  avoir  aucune  responce  puis  que  mes 
contes  ne  sont  pas  signés  je  vous  prie  de 
me  les  renvoyé  par  voye  sure  et  comme 
mon  conseil  porte  de  demander  a  ma 
Compat^nic  les  5  1.  que  le  contrat  porte 
pour  un  assosiés  en  route  pour  les  afaires 
de  sa  Compagnie  outre  les  faux  frais  il 
me  les  payeront  puisquil  font  tcn  de  ditlî- 
culter  a  me  signe  mes  conte  et  moya  mon 
tour  je  demanderay  une  vérifications  des 
leurs  quoy  que  je  Tais  ay  signé  Erreur  ne 
fait  pas  conte,  je  vous  ay  aussy  marqué 
que  Vidot  n'avoit  pas  remplir  tous  les 
mémoires  que  vous  m'avés  remis  signé  de 
votre  main  puis  que  je  n'ay  point  eut  de- 
vin ainsy  il  me  reste  15  1.  10  du  dernier 
argent  quand  il  vous  plaira  de  mccriresoit 
au  s'"  Vidot  ou  Morel  pour  me  remettre  vos 
papier  de  même  qu'aux  s*"  Vernier  La 
procure  vous  m'obligerer  je  vous  ay  mar- 
qué ce  que  m'avoit  dit  le  s'  Vidot  ainsy 
vous  ne  m'en  parlé  point  que  voulé  vous 
que  je  pense  ci  cen'  est  que  vous  ne  voulé 


02  LES  DERNIÈRES    ANNÉES 

pas  que  je  retire  cest  argent  par  Tordre 
que  l'on  a  mis  sur  mes  billets  ainsy  je 
vous  prie  Mad^  prouvé  moy  le  contraire 
dans  la  situations  présentes  ou  le  besoins 
est  très  violent  chés  moy  n'ayant  point 
d'autre  resource  vous  le  sçavé  et  point 
d'amploy  jatent  avec  beaucoup  d'impa- 
tience l'exécutions  de  vos  promesses  a  mon 
Egard  pour  Etre  employé  au  nom  de  Dieu 
ne  mabandonné  pas  ny  ma  femme  nom 
plus,  qui  prend  la  liberté  de  vous  présen- 
ter ces  profonds  respect  et  fait  chaque 
jours  de  même  que  moy  des  vœux  au  Ciel 
pour  votre  conservations  et  prosperitter. 
j'ay  l'honneur  d'Etre  avec  le  plus  profonds 
respect 

Madame 

Votre  très-humble  et  très- 
obeissant  serviteur 

De  Courtilles 

au  nom  de  Dieu  Madame  ne  nous  laissé 
pas  sy  long  tems  sans  nous  donner  de  vos 
chère  nouvelle  et  de  létat  de  vos  afaire 

Chambéry  ce  8"  S^re  1754. 


DL  MADAAIL  Uli  WAKLNS  6) 

Madame  de  Warcns  conliiiuail  de  rési- 
der à  Evian  lorsque  Wintzcnricd  lui  écri- 
vil,  de  nouveau,  le  7  mars  1755,  ^*^  lettre 
suivante,  qui  complète  celle  du  8  octobre 
précédent  et  initie  l'histoire  aux  embar- 
ras, sans  nombre,  qui  assaillaient,  alors, 
la  pauvre  baronne  : 

Madame 

Personne  au  monde  ne  prend  plus  de 
part  à  votre  indispossitions  que  ma  femme 
et  moy  Dieu  vieuUe  vous  redonner  la  sen- 
te et  vous  faire  surmonté  toutte  vos  pênes 
et  inquiettude.  pour  repondre  a  tous  les 
articles  de  Votre  Lettre  quoy  que  vous  ne 
mavez  jamais  L'honneur  de  me  répondre 
au  mienne  que  par  détour  et  non  a  mes 
artilles  primo  —  sy  vous  m'aviez  fait 
l'honneur  de  me  repondre  en  son  tens  sur 
L'articles  quy  me  conserne  par  M*"  Nuert 
Le  C^  de  S'  Laurent  pour  Lors  cela  au- 
roit  pu  se  faire  apresent  il  ny  faut  plus 
pensé  qua  Noël  prochain  voila  mad*" 
L'obligations  que  je  vous  ay,  il  ne  fau- 
droit    plus    donc    qu'aussy    manqué    au 


64  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

payem^  du  mandat  de  M'De  Choiry  pour  la 
S^  Jean  pour  me  mettre  dans  le  plus  grand 
embarat  du  monde  Dieu  vieulle  que  vous 
ne  le  fassiez  pas  et  quil  soyent  payé,  il  y  a 
7  mois  et  plus  que  je  vous  ay  Ecrit  pour 
L'artille  de  M'  De  Chaumont  vous  n'avez 
pas  d'aigné  jamais  rien  parlé  ny  a  ces  M" 
de  Genève  cest  artille  me  regarde  et  non 
pas  M'^Merkel  ou  fabre  car  vousL'aurié  fait 
pourquoy  m'empeché  de  faire  mes  affaires 
en  me  nonent  d'un  quelcun  qui  devoit 
passé  icy  au  commencement  de  février 
pour  achetter  ma  portions  dittes  vous  et 
s'arranger  avec  moy.  Aujourd'huy  vous 
me  faittes  une  propossittions  dont  je  ne 
puis  pensé  que  ce  soit  La  votre  idée  de 
vouloir  motter  jusques  au  seul  moyen  qui 
peut  me  rester  pour  pouvoir  me  tirer  d'af- 
faire. Vous  savez  que  j'ay  besoin  D'argent 
et  non  de  Chimère  car  il  faut  vivre  Mes'"  de 
Genève  peuvent  avoir  mis  en  fond  environt 
Liv.  4500 

M'  Perrin  1000 

)     7157 
Moi  1000  1.  d'un  cotté  ^ 

et   657    d'autre    Fait     1657 


DL   MADAME  DE  WARENS  65 


Hors  la  cinquicnic  de  7157  I.  scroit 
pour  mon  conlc  \.\^i  1.  ^  Je  scrois  en 
avance  de  plus  de  200  1.  par  ainsy  je  ne 
crains  point  ces  messieurs  il  scn  faut  de 
beaucoup  car  je  vous  prie  de  joindre  ce 
petit  billet  a  mon  conte  et  de  ne  le  leurs 
point  faire  si<i:né  mais  de  me  le  renvoyé 
tel  autrement  je  seray  obligé  de  protester 
contre  tous  d'allieur  il  y  a  bien  des  frais 
ou  je  n'entreray  jamais  c'est  ce  que  je  puis 
vous  assuré  tel  est  aussi  le  projet  que  je 
fait  des  charbons  de  tirer  dans  toutte  nos 
fausse  qui  monte  comme  cy  après 

a  La  Sarra 2000 

Nova  Laisse 1000 

La  Rochette  soit  Les 

Ilulie 300     . 

>    Ti/r  ^  }  16300 

a  Montagny  en    1  a-  ' 

rentaise 6000 

a   Harache  en  Faus- 

signy 7000 

et  quand  nous  ne  retirerions  que  dix^  sols 

le  quintal  de   tous   nos   charbons  les  uns 

dans  les  autre  nous  retirerions  au  de  la  de 

notre  déboursé  ainsy  Mad^  je  ne  puis  ac- 


66  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

cepter  Toffrc  que  vous  me  faittes  sans  un 
content  car  il  faut  que  je  vive  vous  le  sca- 
vé  tout  comme  moj  quelle  sont  mes  facul- 
ter  je  nay  donc  a  cause  de  votre  silence  a 
me  repondre  aud  articles  de  mes  Lettres 
perdu   pour  cette  année   toutte   ressource 
du   cotté    de    la    Cour   ten   pour  subside 
qu'enploy  et  pour  la  vente  de  ma  portions 
il  me  faut  du  Contant  Je   ne  crain  nj  ne 
redoute  ces  M'"^  de  Genève  quoyque  vous 
et  eux  maye  promis  les  600   1.    de  Mer- 
kel  à  son  absence  je  vois  a  quoy  je  doit 
me   tenir  qui  est  a  rien    aussi   je  ne  me 
donneray    pas  beaucoup   de     mouvemen 
pour  la  Comp^^  car  je    ne  verray  rien  que 
lors  que  Ton  verra  par  vois  juridique  Tem- 
ploy   de    l'argent  dans    toutte  les   fausse 
pour  savoir   sy   le    travail    est    fait  dans 
les   règles   et   sy    le   travail   en    meritoit 
la  penne  Je  vous  diray  que  je  n'ay  pas  put 
encore  avoir  les  papier  de  M'"  le  procureui 
Morel  il  me  dit  que  vous  Luj  devez  beau- 
coup et  qu'il  veut  être  pajé  vous  voyé  par 
la  que  je  suis  dans  Tembaras  outre  cela  la 
procédure    qua    intenté    contre    moy    le 


i)i:  aiadaml:  de  vvarens  67 

S'  l'cla  de  MoiUa^nolc  pour  les  billons 
de  sapin  est  dehors  et  en  inlancc  J'ay  eut 
dcja  trois  ajournement  personnel  ehé  le 
ju^e  L'on  est  après  Sandre  auosy  et  ne 
scay  pas  trop  comme  tout  cecy  ira, 
M'  Mcnsord  de  La  ferrendierre  pour  qui 
vous  avez  paye  500  1.  à  M*"  De  Carpincl  a 
été  icy  il  est  a  Grenoble  sy  vous  souhaité 
m'envoye  son  billet  avec  la  lettre  et  le 
mettre  a  mon  (Mxlre  je  me  charge  devant 
qu'il  soit  peut  que  vous  en  serez  payée  voyé 
sy  vous  souhaité  me  L'envoyé.  Nous  ve- 
nons d'aprendre  a  présent  la  mort  de  M.  le 
Conte  de  Bellegarde  a  Paris  du  26  dernier 
et  celle  du  Chevalier  Didier  Dindatrie  a 
Argentine  le  4  courant  ayant  fait  les  pau- 
vres de  la  Charité  de  Chambery  ses  héri- 
tiers il  doit  20  Livres  à  ]\L  Dunoiret  qui 
est  fort  en  pêne  Dieu  vieulle  que  vous 
finissiez  avec  M*"  Perrichon  et  ne  craignié 
jamais  que  je  dise  votre  situations  bien 
loin  de  la  car  j'ay  prouvé  a  Charbonnel  et 
a  tous  le  monde  que  vous  viendrié  icy 
dans  le  courant  de  may  et  que  vous  feriez 
honneur   a   toutte   chose   M'"  Thorin  cest 


68  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

tout  ce  que  vous  faittes  a  Evian  car  cest 
luy  qui  madit  que  vous  aviez  asencé  la 
maison  de  M.  Lejeune  et  son  jardin  Je 
vous  prie  de  me  dire  votre  sentiment  j'au- 
roit  envie  décrire  à  M.  Perrichon  pour  le 
prie  de  me  protéger  et  de  me  faire  avoir 
un  employ  en  france  de  même  qu'a 
M.  Rousseau  car  il  faut  absolument  pensé 
a  faire  quelque  choses  ou  aller  mendier 
nôtre  pain  ma  femme  et  moy  sy  vous 
scaviez  ma  triste  situations  vous  auriez 
pitier  de  moy,  ma  femme  prend  la  liberté 
de  vous  offrir  ces  profond  respect  et  se 
recommende  a  vos  bontés  pour  que  vous 
ne  nous  abandonnié  pas.  J'ay  l'honneur 
d'Etre  avec  respect  Madame 

Votre   très   humble    et    très    obéissant 
serviteur 

De  Courtilles 

Chambéry  ce  7®  mars  1755 

Ce  document,  conservé  aux  Archives  de 
la  Société  florimontane  d'Annecy,  est, 
avec  le  précédent,  d'une  importance  capi- 
tale. Communiqué  à  Replat,  en  1855,  par 


1)1     MAOAMK  Di:  WARENS  69 

Jules  Vcrnaz,  procureur  du  roi  à  Cham- 
béry,  son  existence  n'était  connue,  jusqu'à 
présent,  que  par  une  analyse  succincte  et 
la  citation  de  huit  lignes  de  la  A^^)/c'  sur 
tMjJjnic  de  \]\irc}is. 

Cependant  Madame  de  Warens  con- 
tinuait de  s'endetter,  sans  trêve  ni  cesse. 
Sur  sa  demande,  M.  de  Lambert,  baron 
d'Angeville,  avait,  en  1754  et  en  1755, 
fourni,  durant  onze  mois,  la  pension  à  un 
sieur  François  Fabre,  maître  fondeur  en 
fer  coulé. 

Ce  dernier  avait  donné,  à  ce  sujet,  le 
21  mars  1755,  au  château  d'AUonzier, 
une  déclaration  écrite  à  Aimé-Louis  de 
Lambert  d'Angeville,  publiée  par  Jules 
Vuy  dans  son  excellent  opuscule  intitulé  : 
Lettres  inédites  de  Madame  de  Warens, 
Voici  le  texte  de  ce  billet,  dont  les  parties 
déchirées  de  l'original  sont  entre  paren- 
thèses : 

«  Je  soubsigné  françois  fabre,  maître 
«  fondeur  du  fer  coulé,  certifie  avoir  de- 


70  LES  DERNIERES  ANNEES 

«  meure  en  pantion,  Tespasce  de  onse 
((  moy,  ches  monsieur  noble  de  Lambert 
«  baron  Dangeville  par  ordre  de  madame 
((  la  baronne  de  Warens  de  La  tour.  An 
«  foy  de  quoy,  jayfaitet  signie  Le  présant 
((  certifica  pour  que  La  dit  (te  dame  b) 
((  aronne  de  Warens  peye  ma  pa  (ntion 
«  comme  el)  le  a  Convenu  par  ces  letres  à 
((  (Monsieur  noble)  de  Lambert  baron  dan- 
((  geville.  fait  a  (u  château  d'Allonz)  ier. 
«  Ce  21  mars  1755.  françois  (fab)  re.  )) 

Néanmoins,  les  transactions  allaient 
toujours  leur  train,  dans  l'entourage  de 
Mme  de  Warens.  En  effet,  Victor  de  Saint- 
Genis  a  publié,  au  Y  volume  de  son  His- 
toire de  Savoie,  document  N°  LXXXIII,  la 
pièce  intéressante  dont  voici  la  teneur  : 

Je  soussigné  au  nom  du  sieur  Rodolphe 
Wintzenried  de  Courtilles  mon  gendre  et 
de  Madame  la  Baronne  de  Warens  de  qui 
j'ai  un  pouvoir  verbal  assence  et  admodie 
à  Jean  Claude  Charles  de  la  parroisse  de 
S*-Martin  de  Belleville  ici  présent,  le  droit 


DE   MADAMK  DE   WARENS  7I 


d'cxcavcr  lui  seul  dans  tout  le  territoire 
du  dit  s^  Martin  de  Helleville  et  des  Al- 
lucs,  tout  [filon  de  charbon  de  pierres  à 
l'exclusion  de  tous  autres  de  la  même 
manière  que  le  privilège  leur  en  a  été  ac- 
cordé par  patentes  de  S.  M.,  à  la  charge 
qu'il  payera  tous  les  dommages  qu'il  cau- 
sera par  la  dite  excavation  ;  et  c'est  pour 
le  temps  et  espace  de  trois  ans,  des  ce 
jourd'hui  commençant  et  par  tel  jour  de- 
voir finir  sous  la  censé  pour  chaque  année 
de  dix  livres  monnaie  de  Savoye  toutes  les 
années  payable  a  pareil  jour  que  ce  jour- 
d'hui, a  commencer  d'ici  en  un  an,  sous 
la  condition  respectivement  acceptée  que 
venant  a  manquer  régulièrement  le  paye- 
ment de  la  dite  censé,  au  moins  huit  jours 
après,  le  présent  sera  censé  révolu,  si 
ainsi  le  juge  le  dit  S'"  de  Courtilles,  ce  que 
l'un  et  l'autre  avons  respectivement  pro- 
mis observer  a  peine  de  tous  dépens,  dom- 
mages et  intérêts  et  à  l'obligation  le  dit 
Charles  de  ses  biens  présents  et  futurs,  et 
moi  Bergonsy  de  ceux  pour  qui  j'agis  sous 
la  clause  de  constitut  en  foi  de  quoi  avons. 


72  LES  DERNIERES  ANNEES 

signés,    à  Moûtiers  ce  vintg  six  avril  mil 
sept  cent  cinquante  cinq. 

signé  :  Bergonsy 
Ancenay  J^^s  Granier. 

Pour  copie  conforme  à  l'original  qui  est 

sur   papier   timbré   duquel    le    sieur  Jay 

hippolyte   dit   Bolay   de   Villarrencel  est 

possesseur. 

Modeste  Puget. 

à  Villarenger  le  i6  7bre  1861. 

La  baronne  entretenait,  pendant  ce 
temps,  ses  relations  àThonon.  Les  Archi- 
ves départementales  de  la  Savoie  possè- 
dent, en  effet,  à  la  date  du  3  mai  1755,  ^^^ 
lettre  adressée  à  Mme  de  Warens,  à 
Evian,  par  un  M.  de  Loes,  qui  lui  explique 
les  motifs  qui  l'ont  empêché  d'aller  lui 
rendre  ses  devoirs  plus  tôt  : 

A  Madame 
Madame  la  baronne  de  Wicarens 
A  Evian. 
Madame 
J'ettois  bien  à  la  bonne  foy  d'exécuter  ma 


DE  MADAME    DE   WAUENS  7} 

painlc  «.[Liand  je  promis  qucj'aurois  l'Iioii- 
ncur  de  vous  aller  voir  peu  de  temps 
après  cellui  que  j'avois  eu  de  vr)us  aller 
rendre  mes  obéissances  à  l£vian,  mais  la 
multitude  d'affaire  que  j'ay  ne  me  laisse 
pas  le  maître  de  faire  tout  ce  que  je  devrois 
et  que  je  voudrois. 

Ma  femme  at  été  fort  incommodée  sur 
la  fin  de  sa  grossesse  ce  qui  a  à  ce  que  je 
crois  contribué  à  acoucher  plutôt  que  Ion 
avoit  conté  d'un  garçon  qui  par  là  ne 
paroit  pas  d'une  bonne  santé.  La  mère 
en  at  été  fort  malade  et  à  présent  le  laict 
lui  fait  une  cruelle  guerre.  Toutes  ces 
circonstances  me  tiennent  dans  la  gène  et 
pour  ainsi  dire  dans  l'esclavage. 

Si  cependant  j'avois  cru  de  pouvoir 
trouver  un  cheval,  je  serois  parti  aujour- 
dhui,  pour  vous  aller  rendre  mes  devoirs 
et  répondre  de  vive  voix  à  toutes  vos  bon- 
tés et  confiance  que  vous  me  témoignés. 
Je  suis  obligé  par  disette  de  fourrage  de 
tenir  les  miens  dans  ma  campagne  qui  est 
à  2  lieux  d'icy.  Demain  il  viendra  quel- 
qu'un de  mes  gens  à  qui  je  donneray  or- 


74  LES  DERNIERES  ANNEES 

dre  de  Tamener  et  si  Dieu  me  conserve  et 
qu'autre  mal  n'arrive  à  ma  femme  j'auray 
l'honneur  de  vous  aller  trouver  ces  pre- 
mier jour  sans  faute. 

En  attendant  permettes  que  j'aye  l'hon- 
neur de  me  dire  avec  un  profond  respect, 
Madame, 

Votre  très  humble 
et  très-obeissant  serviteur. 

De  Loes 

Thonon  3  may  1755. 

Le  mari  de  M""^  de  Warens  était  mort 
quelques  mois  auparavant,  à  66  ans,  le  31 
octobre  1754,  et  sa  veuve  pensait  certaine- 
ment, vers  cette  époque,  à  s'installer  dé- 
finitivement sur  les  bords  du  lac  Léman, 
car,  le  19  juin  1755,  la  baronne  achetait, 
à  Evian,  une  maison,  dont  elle  devra  ré- 
silier l'acquisition  en  1757,  faute  de  pou- 
voir en  payer  le  prix.  Elle  intrigue,  en 
même  temps,  pour  ses  affaires  de  mines, 
témoin  le  document  suivant,  conservé  aux 
Archives  départementales  de  la  Haute-Sa- 


DE  MADAME  DE  WAREN8  75 


voie,  au  Rcfj^istrc  copie  des  lettres  de  l'In- 
tendance du  Faucigny,  années  1753  *^ 
1756;  cette  pièce  a  déjà  été  publiée  par 
Théophile  Dufour,  dans  sa  remarquable 
étude  :  Jean- Jacques  Rousseau  et  Madame 
de  Warens  ;  notes  sur  leur  séjour  à  Annecy 
d'après  des  pièces  inédites. 

Du  2'^  Aoust  1755 

A  Madame  la  Baronne  de  Warens 
de   La  Tour 

Ilestvray,  Madame,  que  j'ay,  et  aurois 
toujours  pour  vous  un  respect  infini,  sur 
ce  principe  vous  devcs  être  plus  que  per- 
suadée. Madame,  que  je  n'échaperay  pas 
une  occasion  à  vous  en  convaincre,  et  de 
rendre  à  M"  vos  associés  que  j'estime 
beaucoup  tous  les  services  qui  dépendront 
de  moy,  je  n'ignore  point  non  plus  les 
avantages  que  nous  procurera  la  Minière 
abondante  de  bons  charbons  que  vous 
faites  exploiter  à  Arache,  et  je  pense  que 
M*"^  nos  Ministres  en  sont  informés  ;  mais 
souffres.  Madame,  que  je  vous  représente 
que  sans  un  ordre  de  mes  supérieurs.  Je 


70  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

ne  peus  donner  le  sentiment  que  vous  me 
demandés  à  cet  égard,  et  qu'aux  dits  cas  je 
ne  manqueray  pas  de  leurs  faire  envisager 
autant  qu'il  me  sera  possible  et  que  l'in- 
térêt du  Roy  et  du  public  l'éxi  geront  touttes 
les  raisons  que  vous  me  faites  l'honneur 
de  me  suggérer  dans  votre  dite  lettre  vous 
prévenant  néantmoins,  Madame,  que  sans 
un  ordre  de  la  Cour,  je  ne  scaurois  per- 
mettre le  transport  des  dits  charbons  par 
des  radeaux  sur  la  rivière  d'Arve. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  très  pro- 
fond respect,  M™%  etc. 

Vers  la  fin  du  même  mois,  Mme  de 
Warens  dut  revenir  à  Chambéry  ;  en  effet, 
le  22  août,  la  baronne  passait  une  procura- 
tion par  laquelle,  étant  obligée  de  s'ab- 
senter pour  des  affaires  particulières  et 
importantes,  elle  donnait  pouvoir  au  sieur 
Claude  Vidal,  de  Chambéry,  de  toucher,  à 
partir  de  l'année  1756,  les  quartiers  de  la 
pension  que  le  roi  de  Sardaigne  lui  al- 
louait,— avec  la  stipulation  de  lui  en  réser- 
ver la  moitié  pour  son  entretien  et  d'appli- 


i)i:  MADAMi:  i)i:  warf.ns  77 

quci"    l'aiilrc    à    payer  divers  créanciers, 
qu'elle  avait  dans  ce  pays. 

L'acte  est  passc^,  non  à  la  fabrique  du 
Reclus,  mais  dans  la  maison  du  sieur 
Antoine  Thonin,  au  faubourg  de  Montmé- 
lian,  à  ('hambery.  L'un  des  témoins, 
Pierre  Alichal,  y  est  qualifie  secrétaire  de 
ladite  da)uc.  \^)ici  la  teneur  de  ce  docu- 
ment, qui  figure  au  Y  volume  de  1755, 
folio  197,  des  registres  du  Tabellion  de 
Chambéry  : 

PROCURATION    SPÉCIALE 

passée  far    la    dame  baronne  de    Warcns 
au  sieur  Claude  Vidal. 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  cinq  et  le 
vingt  deux  du  mois  d'aoust  à  Chambéry  à 
quattre  heures  après  midydans  la  maison 
d'habitation  du  sieur  Antoine  Thonin  sit- 
tuée  au  faubourg  de  Montmélian  pardevant 
moy  nottaire  roial  soussigné,  présents  les 
témoins  cy  après  nommés,  s'est  en  per- 
sonne établie  et  constituée,  dame  Fran- 
çoise Eléonore  fille  de  feu  noble  Jean 
Baptiste  de  La  Tour  baronne  de  Warens, 


78  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

natifve  de  Vevay  canton  de  Berne  en 
Suisse  actuellement  en  cette  ville  ;  laquelle 
étant  obligé  de  s'absenter  pour  des  affaires 
particulières  et  importantes,  de  gré  a 
constitué  pour  son  procureur  spécial  sieur 
Claude  fils  de  sieur  Philibert  Vidal,  natif 
bourgeois  et  habitant  en  cette  ville,  icy 
présent  et  ladite  charge  acceptant,  et  c'est 
pour  et  à  son  nom  exiger  et  recevoir  de  la 
roiale  thrésorerie  de  cette  ville,  les  pen- 
sions faittes  par  Sa  Majesté  à  la  dame 
constituante,  à  devoir  commencer  au  quar- 
tier de  Pâques,  de  Tannée  prochaine  mille 
sept  cent  cinquante  six  ;  et  ainsy  à  devoir 
continuer  jusqu'à  plein  paiement  des 
créanciers  de  la'dame  constituante  comme 
sera  expliqué  cy  après  ;  et  des  sommes  que 
ledit  sieur  Vidal  exigera,  occasion  des  dites 
pensions,  il  en  tiendra  compte  de  la  moitié 
à  la  dame  constituante  pour  son  aliment 
et  entretient,  et  du  surplus  elle  le  charge 
d'en  paier  divers  créanciers  qu'elle  a  en  ce 
païs,  suivant  l'état  et  mémoire  qu'elle  luy 
en  a  présentement  remis,  luy  donnant 
pouvoir  de  traitter  avec  eux,  et  tirer  quit- 


lances  des  sommes  qu'il  paiera  à  son 
acquillcmcnt  pour  du  loul  en  rendre  bon 
cl  iklcl  compte  à  la  dame  constituante,  en 
un  mot  de  traitter  avec  lesdits  créanciers 
comme  si  elle  a{4:issoit  en  personne,  bien 
entendu  que  si  ledit  sieur  Vidal  ctoit  obli- 
gé de  faire  quelques  fraix  à  ce  sujet,  il 
commencera  à  se  les  retenir  sur  les  som- 
mes qu'il  exigera  desdites  pensions  ;  ap- 
provant  déjà  par  avance  ladite  dame 
constituante  tout  ce  qui  sera  par  luy  fait, 
élisant  à  ces  fins  domicile  en  sa  personne 
luy  donnant  pouvoir  au  besoin  de  consti- 
tuer et  substituer,  aussy  sous  élection  de 
domicile,  promettant  de  relever  le  dit  sieur 
Vidal  son  procureur  de  tout  ce  qu'il  pour- 
roit  souffrir  occasion  de  la  présente  procu- 
ration, avec  peines  de  tous  dépens  doma- 
ges  intérest  sous  l'obligation  de  tous  ses 
biens  présents  et  avenirs,  qu'elle  se  cons- 
titue tenir,  obligeant  de  même  ledit  sieur 
Vidal  tous  ses  biens  présents  et  avenirs, 
avec  la  clause  de  constitut,  pour  la  redi- 
tion  du  compte  de  ses  exactions,  lequel  il 
devra  poser  comm'est  cy  devant  expliqué 


80  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

touttes  les  fois  que  ladite  dame  consti- 
tuante le  requerra.  Laquelle  pour  faciliter 
ladite  exaction  a  présentement  remis  audit 
sieur  Vidal  quattre  blanc  sains  pour  les 
quattre  premiers  quartiers.  Fait  et  pro- 
noncé en  présence  du  sieur  Pierre  Michal 
secrétaire  de  ladite  dame  et  d'honorable 
Jean  Baptiste  Roux  maître  jardinier  habi- 
tant en  cette  ville  témoins  requis.  Les 
parties  et  témoins,  sauf  ledit  Jean  Bap- 
tiste Roux  qui  est  illitéré  de  ce  requis,  ont 
signé  à  la  minutte  de  moy  notaire  recevant 
requis  sur  laqu'elle  le  présent  qui  contient 
une  page  trois  quarts  d'autre,  la  présente 
expédition  levée  pour  Toffice  du  tabellion. 
Signé  Pétroz  notaire 

Cet  acte  est  passé  dans  la  maison  du 
sieur  Antoine  Thonin,  au  faubourg  de 
Montmélian,  à  Chambéry.  J'ai  retrouvé  au 
Cadastre  Général  de  Savoie,  déposé  aux 
Archives  départementales  de  la  Savoie, 
série  C,  n°  2466,  —  Commune  de  Cham- 
béry, Tabelle  générale  (cadastre  récapitu- 
latif), —  la  cote  cadastrale  de  Thonin,  Be- 
noît. La  voici  : 


DE    MAbAMK  [)E  WAREN8 


81 


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82  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

D'après  les  Registres  originaux  du  Ca- 
dastre de  Chambéry  hors  ville,  Savoye  I, 
598,  allant  de  1729  à  1738,  lesquels  ser- 
vent de  légende  à  la  Mappe  originale  n"  29 
du  plan  cadastral  de  la  ville  et  sont  con- 
servés aux  Archives  départementales  de  la 
Savoie,  sous  la  rubrique  :  Cadastre  géné- 
ral de  Savoie,  série  C,  n'''  2457,  2459  et 
2466,  Commune  de  Chambéry  ;  d'après 
le  plan,  d'autre  part,  fourni  parlesMappes 
n""^  29  et  186,  contenant  la  partie  du  terri- 
toire du  faubourgde  Montmélian,  comprise 
entre  les  anciens  remparts  de  la  ville  et 
l'église  des  Carmélites,  il  n'y  avait  pas 
d'autre  Thonin  propriétaire  auditfaubourg, 
et  la  cote  cadastrale  de  Benoît  donne  exac- 
tement le  pâté  de  maison  où  M""^  de 
Warens  vint  loger,  à  son  retour  d'Evian, 
en  août  1 7  5  5 .  De  ces  maisons,  celle  qui  avait 
le  n°  573,  laquelle  était  la  plus  exiguë, 
donnait  seule sw  lejaiiboiirg  de  Mo7itmélian. 
La  maison  572  était  située  dans  la  cour, 
ainsi  que  la  maison  575  et  la  masure  603, 
cette  dernière  appartenant  à  un  bourgeois 
de  Chambéry,  Jean-Louis  Ludry.  Toutes 


COMMUNE  DE  CHAMBÉRYclaMlle) 

Exlra^  de  la  niapp.c  oreyirui/e{^em  cadastral)  en  c/atc  du  /i.  Mai /^?^ 
(/c/zoiTe  auœ  Arc/wves  ûéfiarienieri taies . 


D ressé  juir  jwus  soussi^n 


Géomèére  Foivsiie 


cÂarae  cù^  /a,  Jélà'irinjce  (£es  ejré/nià  <Av  jna/Yi^/t^''cuTèlè  UcMterrv/i 
du.  .^6' jFéivùer  JSSS 
CÀam6êru  l&^âJuùv 


rassaijes  communs:  315  1 316  V2+320»321'/t  + 3^  +  568*681 

Jardins  :  3fU3't-6+39'f+56U57O+.597t598t60u60i*6O^ 

Maisons  :3O2*-î03t30'f+3O6t3O7*  303  t310+3ll*312+3l3*.31'(-»316*3l7*ÎI8 

M3tî2l»322f32'f+3ï5+327t328i-323,J30.35K33î+3334.335-î37»338, 353-,  31-0 

3'f-'t+3W+3'f9*-360+351t353+35t-+355t356,i9U393t55St557t558+559t56Ot563 

5G'n-56§t566.557+571*572t573i-57'ft375,576t577»578t579t580t582t58V58V 

585t586».587^-588<-590*551t532t593»595t53ô*599t539y2+6o3n,a.ur,-691.692,S3W>» 

Place  30S>Tla<:tigeJ23*rUciije33f»Cour392,5â2+59*-*TlacMge  600 

Passai)es  el  Cour  308+326*336.3*5  Couret  litux  comrauny352f569pasu^.tlpUM;,e 

589 

Moulin   3 va  +  Four  3W 


Les     dernières     années     de    Madame    de  WARENS,voirpa9es8?à8/ 


<:^<-J«L_^ 


^^T'-^^^ 

^^^T'^^^:^^, 


Hr'îv^' 


Di:    MADAMi:  bi:  W/MŒNS  83 

trois  masquaiciU  le  jardin  604,  horde  à 
«j^auchc  par  les  jardins  601  cl  6nj,  à  droite 
pM  les  jardins  570  et  569,  ce  dernier  livrant 
passai^e  eu  plaine,  aux  confins  de  l'Albanc. 
De  nos  jours,  la  maison  573  forme  cncr>re 
Taile  gauche  de  Timmcuble  portant  le  n"  1 6 
de  la  rue  d'Italie. 

Dans  un  acte  d'adjudication  du  1 1  août 
1734,  Piquière  notaire,  Thonin  est  quali- 
fié :  auberg-iste  à  l'enseigne  de  St-Jean- 
Baptiste,  au  faubourg  Montmclian.  Ne 
serions-nous  pas,  enjin,  sur  la  trace  du 
jardin  du  faubourg,  dont  il  est  question 
dans  les  Confessions.  Rousseau  dit,  en 
effet.  Partie  I,  au  Livre  V,  qui  comprend 
la  période  de  1732  à  ijyô  :  «  Nous  occu- 
pions un  cachot  si  étouffé,  qu'on  avoit 
besoin  quelquefois  d'aller  prendre  l'air  sur 
la  terre.  Anet  engagea  maman  à  louer, 
dans  un  faubourg,  un  jardin  pour  y  mettre 
des  plantes.  A  ce  jardin  étoit  jointe  une 
guinguette  assez  jolie  qu'on  meubla  sui- 
vant l'ordonnance  :  on  y  mit  un  lit.  Nous 
allions  souvent  y  dîner,  et  j'y  couchois 
quelquefois.   Insensiblement  je  m'engouai 


84  I^ES  DERNIÈRES  ANNEES 

de  cette  petite  retraite  ;  j'y  mis  quelques 
livres,  beaucoup  d'estampes  ;  je  passois 
une  partie  de  mon  temps  à  l'orner  et  à  y 
préparer  à  maman  quelque  surprise  agréa- 
ble lorsqu'elle  s'y  venoit  promener.  »  Et 
plus  loin  :  «  Tandis  qu'ainsi  partagé  entre 
le  travail,  le  plaisir  et  l'instruction,  je 
vivois  dans  le  plus  doux  repos,  l'Europe 
n'était  pas  si  tranquille  que  moi.  La  France 
et  l'empereur  venoient  de  s'entre-déclarer 
la  guerre  (octobre  ijyj)  ;  le  roi  de  Sar- 
daigne  étoit  entré  dans  la  querelle,  et 
l'armée  françoise  filoit  en  Piémont  pour 
entrer  dans  le  Milanois.  Il  en  passa  une 
colonne  par  Chambéry,  et  entre  autres  le 
régiment  de  Champagne,  dont  étoit  colonel 
M.  le  duc  de  La  Trimouille,  auquel  je  fus 
présenté,  qui  me  promit  beaucoup  de  cho- 
ses, et  qui  sûrement  n'a  jamais  repensé  à 
moi.  Notre  petit  jardin  étoit  précisément  au 
haut  du  faubourg  par  lequel  entroient  les 
troupes,  de  sorte  que  je  me  rassasiois  du 
plaisir  d'aller  les  voir  passer,  et  je  me 
passionnois  pour  le  succès  de  cette  guerre 
comme  s'il  m'eût   beaucoup  intéressé.  » 


l)i:    MAhA.Mi:    DE   WAKLNS  85 

Or,  au  siècle  passe,  on  appelait  le  /au- 
houro,  à  Chambéry,  le  faubourg  de  Mont- 
mdlian  d'alors.  Les  troupes,  qui  se  ren- 
daient en  Italie,  y  passaient  forcément,  et 
non  par  le  faubourg  de  Mâche,  comme 
Ta  dit,  par  erreur,  un  professeur  du  plus 
grand  avenir,  M.  Plassard,  dans  un  excel- 
lent discours  :  La  Savoie,  terre  française. 
Le  haut  du  faubourg,  à  considérer  le  cin- 
tre des  allées  anciennes  qui  subsistent  en- 
core, paraît  avoir  été  la  partie  attenante  à 
la  porte  de  Montmélian.  De  plus, la  mappe 
originale,  donnant  le  plan  cadastral  de  ce 
quartier,  en  date  du  14  Mai  1729,  —  con- 
servée encore  de  nos  jours  aux  Archives 
départementales  de  la  Savoie,  —  offre  au 
lecteur  une  particularité  bien  curieuse.  La 
partie  du  faubourg,  formant  le  côté  nord 
de  la  rue,  n'avait  aucun  jardin,  hormis  les 
n^^  341  et  346,  qui  bordaient  le  versant 
absolument  opposé  du  faubourg,  au  nord. 
Par  contre,  la  partie,  formant  le  côté  sud 
de  la  rue,  comprenait  les  jardins  394,  561, 
570^  597î  59S,  601,  602,  604,  et,  au  centre 
de  ces  jardins,  se  trouvait  Timmeuble  603, 


86  ij:s  dernières  années 


qualifie  de  masure  dans  les  Registres  ori- 
ginaux du  Cadastre  de  la  Ville  de  Cham- 
béry  :  1729-1738.  Cette  masure  donnait 
dans  la  cour  de  la  maison  575,  qui  appar- 
tenait aussi  aux  Thonin.  Or,  sans  aucune 
preuve  absolue,  mais  assurément  avec 
toute  la  certitude  que  peuvent  donner  les 
déductions  de  la  critique  la  plus  prudente, 
c'est  dans  cette  agglomération  de  jardins 
qu'il  faut  chercher  le  petit  jardin  et  la 
guinguette  oie  Rousseau  et  Sl/""^  de  Warens 
vécurent  leur  roman  d'amour.  Ce  fut  au 
faubourg  de  Montmélian,  et  nullement  aux 
Charmettes,  que  Rousseau  fut  heureux. 
La  proximité  de  l'auberge  A  Saint-Jea7i- 
Baptiste  explique  la  possibilité  de  l'iso- 
lement imposé  à  Rousseau  qui,  pour  ses 
repas,  n'eut  pas  besoin,  pendant  la  fameuse 
huitaine  de  préparation,  de  rentrer  au 
logis  de  ville  de  la  dame.  Le  va-et-vient 
d'une  auberge  et  de  ses  alentours  devait, 
du  reste,  donner  pleine  sécurité  aux  deux 
amants,  dont  les  entrevues,  ainsi, pouvaient 
passer  inaperçues,  ou,  tout  le  moins,  res- 
ter à  l'abri  des  commentaires  immédiats. 


1)1.   MAI  •AMI.    I)K   WARKNS  87 

De  nos  jours,  rcnscmblc  du  tiuarticr,  à 
peu  de  chan*;cmcnts  prcs,  est  resté  comme 
il  fui  dciaillc  sui*  la  Mappe  orip:inale,  série 
C,  iV  2. 157,  laquelle  a  été  admirablement 
traduite,  surtout  comme  physionomie  au 
xviii*^  siècle,  dans  la  vue  de  Chambéryqui 
nous  a  été  conservée  au  Theatrum  Sabaiidiœ 
de  l'ingénieur  Bciçronio^  dont  l'édition 
française  fui  publiée  en  1725,  c'est-à-dire 
peu  avant  que  Rousseau  ne  vécut  son 
idylle  dans  les  bras  de  M"™*  de  Warens. 

Mais  revenons  à  l'année  1755. 

Des  les  premiers  jours  de  septembre, 
M'"''  de  Warens  était  à  Genève,  témoin  la 
minute  d'une  lettre,  avec  deux  suppléments 
séparés,  portant  tous  deux,  comme  la 
lettre,  la  date  du  4  septembre.  Dans  cette 
missive,  qui  fait  partie  des  titres  déposés 
aux  Archives  départementales  de  la  Sa- 
voie, la  baronne  s'adresse  à  un  personnage 
influent,  dont  le  nom  n'est  pas  indiqué, 
mais  qui  paraît  habiter  Chambén,-.  Elle 
expose  au  destinataire,  qu'elle  appelle  son 


88  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

cher  et  bon  ami,  le  mauvais  état  de  ses 
affaires,  et,  se  plaignant  de  la  lenteur  des 
administrations  centrales,  auxquelles  elle 
avait  dû  recourir,  ainsi  que  du  découra- 
gement de  ses  associés,  elle  prie  son 
correspondant  de  solliciter,  en  sa  faveur^ 
la  bienveillance  du  roi  de  Sardaigne  et  la 
continuation  des  privilèges,  qui  lui  avaient 
été  antérieurement  concédés.  La  baronne 
déclare  qu'elle  est  totalement  ruinée, 
parce  que  ses  coûteuses  entreprises,  qui 
promettent  de  grands  profits,  n'en  ont  pas 
encore  donné. 

A  geneve  ce  4^  ybre  1755 

Monsieur 

Je  vous  Rend  Monsieur  mes  justes,  et 
sinseire  actions  de  grâces  des  soins  que 
vous  prenez  de  mes  intérêts.  Les  office 
généreux  que  vous  mavez  Rendu  Lhiver 
dernier,  pour  faire  présenter  mon  placets 
a  sa  Majesté  aux  sujets  de  notre  demande 
de  la  rivière  d'Arve,  pour  faire  transporter 
jusques  à  Genève  nos  charbons  d'Arache 


l)i:  MADAME  DE  WARENS  89 

auroll  eu  le  plus  heureux  cfet  cy,  sans 
interruptions  j'uvoit  étées  cegondécs  de 
vos  soins  génc3rcux  et  d'amy  sinscirc  tel 
que  vous  Tettes,  mes  l'espérence  que  M*" 
Porta  avoit  donez  à  Messieurs  mes  associe 
de  sufirc  à  tout  et  d'optenir  par  le  crédit 
qu'il  at  ché  xM  Poncet  secrétaire  de  son 
Excellence  de  Saint  Laurent  tout  ce  qu'il 
pouvoit  être  nesscsaire  à  Totroit  de  nos 
demande  j'ay  été  forcée  malgrés  moy  à 
rester  dcn  Tinactions  et  à  lesset  en  suspent 
depuis  plusieur  moy  la  suittc  de  mes  opé- 
rations quy  comme  vous  le  savez  m'ont 
coûtés  tant  de  peines  à  établir.  Enfin  mes 
associé  lassé  par  les  continuels  renvois  de 
Monsieur  Porta,  Leurs  ayent  communi- 
quer rhoneur  de  votre  dernière  en  datte 
du  II  août  1755  il  ont  étés  sensiblement 
touché  de  voir  les  peine  que  vous  avez 
déjà  pris  à  notre  aucasions  et  il  joigne 
leurs  prières  aux  mienes  par  la  plume 
de  M""  AUexendre  Bérard,  pour  vous 
demender  vos  bons  office  sens  perte  d'un 
instant.  Votre  esprit  et  votre  dili- 
gence et  bonne  conduitte  dens  les  affaire 


90  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

nous  est  conues  Ayes  donc  la  bontés  de 
vous  déterminer  à  partir  pour  Turin  pour 
informer  en  notre  faveurM^^  de  La  Cham- 
bre des  Comtes  voir  ce  qu'il  y  at  encore  à 
faire  dans  Tétat  présent,  savoir  ce  que 
notre  placets  et  devenus  dont  je  joint  copie 
dans  la  letres  de  M'"  le  président  Bens 
avec  le  verbal  du  chatelin  et  sindique  du 
lieux  d'Arache.  Comme  le  tout  et  à  cachet 
volent  vous  êtes  prié  dens  fère  lecture  et 
copie  s'il  est  nessésaire  pour  pouvoir  con- 
férer avec  les  diférens  seigneurs  de  cette 
Chambre  et  autres  protecteurs  et  trouver 
le  moiens  de  nous  les  rendre  favorable 
Enfin  c'est  le  moment  de  faire  usage  du 
canal  des  grâce  pour  une  plus  pronte 
expédition  afins  que  nous  ne  passions 
pas,  après  gens  que  vous  conoissés  à 
Chambéry  et  à  Genève  quy  ce  sont  lié 
ensemble  pour  demender  à  la  Cour  l'ex- 
ploitation des  boiz  de  Foussigny  et  de  les 
pouvoir  conduire  à  Genève  par  la  rivière 
d'Arve.  La  chose  est  la  veillie  de  leur  être 
accordée  Tout  ce  que  nous  deziront  c'est 
d'être  les  premiers  décrétés  en  conséquance 


i)i:  MAi>AMi:  hi:  wakens  91 

des  pciiu's  et  retards  que  nous  soufronds 
depuis  lonj^lens  et  de  riinporlcncc  de  nos 
lra\eau\.  Je  laisse  le  soins  à  M*"  Allexan- 
dre  de  s'expliquer  plus  cmplcmcnl  cl  sur 
kl  reconoissance  que  nous  devront  à  vos 
soins  et  à  vos  bontés  pour  nous  et  sur  ce 
que  vous  poure/.  juger  convenir  aux  canal 
des  grâces  ou  autre  gens  hutile  a  nos 
intérêts  dens  cette  affaire  que  je  vous 
prie  aux  nom  de  Dieu  de  ne  plus  perdre 
de  vue.  \'ous  savez,  Monsieur  et  cher  et 
bon  amy  à  quel  point  je  vous  suis  atachée, 
et  content  avec  les  sentiment  que  vous 
me  conoissé,  sur  le  même  retour  de  votre 
part  je  vous  prie  d'être  aucy  persuadé  de 
la  seinsérité  de  la  reconoissance  que  je 
conserveray  toute  ma  vie  pour  vous  ;  que 
des  sentiment  distingués  et  la  très  parfaitte 
considération  avec  laquelle  j'ay  Thoneur 
d'être 

Genève  ce  4  ybre  1755 

Cy  vous  aies  à  Turin  comme  j'ose  m'en 
flater  à  la  prière  de  M'  Bérard  conoissant 
votre  bon  cœur  pour  moy  souvenez  vous 


LES  DERNIERES  ANNEES 


que  c'est  le  moment  de  parler  aux  Roy 
pour  me  conserver  les  droits  quy  conserne 
le  travails  du  fert  en  Savoye,  c'est  votre 
profit  tout  comme  le  miens  de  prendre 
nos  sûretés  et  faire  considérer  que  le  fert 
étant  purement  matière  mercantiles  et 
comersable  que  pour  vue  que  je  soit  assu- 
rée de  la  protection  du  Roy  dens  mes 
traveaux  que  j'espeire  faire  entrer  sinq  cent 
mille  livres  en  Savoye  de  l'argent  de  l'é- 
tranger pour  le  soutient  de  nos  traveaux 
sur  le  fert. 

Il  faud  demender  que  le  privillège  de 
ma  fabrique  en  moulage  me  soit  continué 
personelement  puisque  mes  assosié  on 
détruit  mes  ouvrage  auxlieu  de  les  soute- 
nir, et  que  les  mine  de  fert  que  j'ay  décou- 
vert en  diférends  endroit  de  Savoye  soit 
de  préférence  à moy  qui  les  ay  découvertes  ; 
ce  qui  est  juste 

Je  vous  préviens  sur  tout  cela  à  pressent, 
mon  cher  et  bon  amy  parceque  je  ne  puis 
éviter  de  dire  dens  mon  avis  au  public 
que  tous  mes  traveaux  son  sou  la  protec- 
tion du  Roy  et  qu'il  a  eu  la  bonté  de  me 


i)i:  maI)AME  1)K  warens  93 

confirmer  pcrsoncllcnicnl  mon  privillcgc 
de  poterie  cl  l^utc  sorte  de  moulage  en 
fert  coulcfs  et  que  le  Roy  vairat  avec  plaisir 
que  dens  nos  grands  fourneaux  et  forge 
il  cy  fassoncra  des  fert  de  tous  calibres, 
ce  quy  n'avoit  pas  éiés  pratique  jusques  à 
présent  en  Savoye  malgrés  la  bontés  natu- 
relles de  ces  fert  et  cela  par  le  manque 
d'uzage  et  de  conoissancc  des  ouvriers  du 
païs,  auxquels  nous  donerons  les  lumières 
nessésaire  pour  aquérir  en  peu  de  temps 
la  bonne  main  d'hcuvrc  des  païs  étranger, 
et  que  par  Tapliquation  qu'on  y  apor- 
teras  on  et  assurez  d'êtres  soutenus  dans 
tous  les  traveaux  que  nous  établirons,  de 
la  protections  de  S.  M.,  ce  qui  seras  un 
grand  encouragement  pour  tous  ceux  quy 
prendront  un  intérest  dans  mes  billiets. 

Genève  ce  4  ybre  1755 

Vous  aurez  encore  la  bonté  de  vous 
resouvenir,  Mon  cher  Monsieur  qu'il  faud 
faire  observer  à  xM'"  le  Président  Bens  et  à 
ces  Messieurs  de  la  Chambre  des  comtes 
que  j'ay  étably  des  traveaux  dans  chaque 


94  LES  DERNIERES  ANNEES 

province,  sur  les  charbons  de  pierre  ou  de 
terre,  dont  j'orois  envoyer  des  verbeaux 
par  les  chatelin  et  syndic  des  lieux  ;  mes 
me  trouvent  totalement  ruinées  par  la 
dépences  et  longueurs  de  tens  de  mes 
traveaux  dont  nous  n'avont  pas  encore  put 
tirer  un  denier  par  les  traverses  qu'on 
nous  at  sucité  mal  à  propos,  je  me  suis 
bornée  par  nessésités  de  n'envoyer  pour 
le  présent  de  n'envoyer  que  le  verbal  con- 
sernant  Arache  dont  il  est  questions  de  la 
demende  portée  dens  mon  placet,  sur 
laquelle  demende  du  placest  vous  ette  prié 
de  faire  observer  à  ces  Messieurs  de  la 
Chambre  des  conte  les  avantage  qu'il  en 
résulte  pour  la  province  sans  craindre 
auxcun  événement  douteux  à  cest  égard 
car  le  peu  de  boiz  dont  nous  nous  servi- 
ront pour  faire  nos  radeaux  pourisse  sur 
plante  par  leur  situations  sens  pouvoir 
jamés  devenir  daucune  hutilité  à  laditte 
province,  aux  lieux  que  l'argend  content 
que  nous  y  feront  entrer  par  la  vante  de 
nos  charbons  assure  un  revenus  solide  et 
ennuels  à  la  Savoye.  ï> 


DL    ."MADA.ML   DL    WAKLNa  95 


Quelque  temps  après,  WiiU/enried  passe 
un  acte  par  lequel  il  \'cnd,aux  sieurs  Si- 
mon el  Pierre  Hérard  de  Genève,  le  droit 
qui  lui  appartenait  en  vertu  des  privilèges 
obtenus,  conjointement  avec  M"""  de  Wa- 
rens,  le  30  octobre  1752.  L'acte  est  passé 
à  Chambdry,  djns  Ihotcl  de  la  dame 
baronne  de  Zhurcns,  c'est-à-dire,  proba- 
blement, dans  la  maison  de  Thonin, 
l'aubergiste  A  Saint-Jcan-Daptistc.  Le 
document  figure,  en  ces  termes,  au  pre- 
mier volume  de  1756,  folio  99,  des  regis- 
tres du  Tabellion  de  Chambéry  : 

VENTE 

pour  le  sieur  Sùnond  ^érara 

passée  par  le  sieur  ^audaulphe  de  Courtille 

de  L.  1,000 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  cinq  et 
le  onze  du  mois  de  décembre  à  Chambéry 
avant  midy  dans  l'hotel  de  la  dame  ba- 
ronne de  Vuarens  pardcvant  mo}'  notaire 
royal  soussigné  et  présents  les  témoins 
enfin  nommés  s'est  personnellement  éta- 
bly  et  constitué  le  sieur  Jean  Raudaulphe 


QÔ  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

à  feu  Samuel  de  Courtilles  natif  du  pays 
de  Vaux  habittant  de  la  présente  ville 
lequel  de  gré  pour  luy  et  les  siens  vend 
purement  et  simplement  de  la  meilleure 
manière  que  faire  se  peut  de  droit  au  sieur 
Simond  fils  de  sieur  Pierre  Bérard  natif 
et  habittant  de  la  ville  de  Genève  agissant 
au  nom  du  sieur  Pierre  Bérard  et  fils  Icy 
présent  et  acceptant  scavoir  tout  le  droit 
appartenant  au  sieur  vendeur  en  vertu  des 
privilèges  par  luy  obtenus  conjointement 
avec  dame  Françoise  Louise  Eléonore  de 
Vuarens  de  latour  pour  la  recherche  et 
excavation  des  minières  de  charbon  de 
pierre  et  de  terre  soit  houllie  rière  toutes 
les  provinces  de  Savoye  lesdits  privilèges 
accordés  par  Sa  Majesté  le  Roy  de  Sar- 
daigne,  sous  la  date  du  trente  octobre 
mille  sept  cent  cinquante  deux  ceddant 
ledit  vendeur  tout  le  droit  qu'il  a  et  peut 
avoir  dans  la  Compagnie  contractée  oca- 
sion  et  en  exécution  desdits  privilèges  en 
quoi  que  le  tout  consiste  tant  en  argent 
debourcé  par  le  sieur  vendeur  pour  le 
fond  de  ladite  société  qu'en  marchandises 


DE  MADAME    DE  WARENS  97 

qui  peuvent  être  en  (nnd  le  Iniit  ncaiil- 
moins  relativement  au\  eomptes  de  ladite 
sociét(5  qui  ont  6t6s  prcfsentc5s  par  le  sieur 
vendeur  et  sipfnés  par  ledit  sieur  Bérard 
de  manière  que  le  sieur  vendeur  vend 
généralement  tous  droits  et  fonds  à  luy 
appartenants  dans  ladite  compagnie  sans 
s'y  rien  rcscr\er  ny  retenir  avec  promesse 
de  remettre  au  sieur  Hcrard  les  originaux 
des  privillèges  accordés  par  Sa  Majesté 
qui  ont  étés  cy  dessus  désignés  dans  le 
terme  du  paiement  du  prix  de  la  présente 
qui  serat  cy  après  fixé,  de  même  que  tous 
les  contrats  titres  et  littérés  dont  il  est 
saisi  concernant  ladite  compagnie  laquelle 
vente  est  faitte  pour  et  moienant  le  prix  et 
somme  de  mille  livres  que  ledit  sieur 
Bérard  promet  paier  au  sieur  vendeur 
dans  quattre  mois  dez  cette  datte  pendant 
les  quels  ledit  sieur  Bérard  pourrat  traiter 
et  disposer  des  susdits  droits  ainsy  et 
comm'il  verrat  à  faire  avec  conventions 
néantmoins  qu'il  sera  facultatif  audit  sieur 
Bérard  de  prévaloir  ou  nom  de  la  présente 
^ente  à  la  fin  du  susdit  terme  de  façon 


98  LES   DERNIÈRES  ANNEES 

que  voulant  s'en  prévaloir  il  sera  tenu  de 
paier  la  susdite  somme  et  ne  la  payant 
pas  la  vente  cy  dessus  resterat  sans  effet 
et  le  présent  comme  non  advenu  ledit 
sieur  Courtilles  rentrant  audit  cas  sans 
autre  qu'en  vertu  du  présent  et  sans  figure 
de  procès  dans  touts  les  droits  par  luy  cy 
dessus  vendu  Et  tout  ce  que  dessus  les 
parties  ont  promis  observer  chacune  en  ce 
qui  la  concerne  aux  peines  respectives  de 
tous  dépends  dômages  et  intérests  et  à 
l'obligation  et  constitution  de  tous  leurs 
biens  présents  et  avenirs.  Fait  et  pro- 
noncé audit  lieu  en  présence  de  spectable 
Gaspard  Bonety  et  du  sieur  Claude  Vi- 
dal tous  deux  habittants  de  cette  ville 
témoins  requis  qui  ont  signés  au  bas  de 
ma  minutte  avec  lesdites  parties  et  moy 
notaire  soussigné  ay  reçu  écrit  et  pro- 
noncé la  présente  contenant  sur  ladite  mi- 
nutte deux  pages  et  demy,  j'ai  icelle  expé- 
dié pour  l'office  du  tabellion  après  due 
collation  faitte  quoique  par  autre  soit 
écrit. 

Signé  Daviet,  notaire.  » 


DK  M  AI)  ami:  I)i:  warmns  99 

Par  cet  acte,  Wintzcnricd  cédait  aux 
Bcrard  tous  les  droits  qu'il  pouvait  avoir 
dans  la  compagnie  formée  le  i"  août 
1752.  Or,  le  même  jour,  Simon  Bérard 
passait  à  M"'''  de  Warcns,  de  retour  à 
Chambéry,  une  procuration  en  règle  pour 
vendre  la  part  de  droits,  dans  la  Compa- 
gnie des  houillères  du  duché  de  Savoie, 
que  ledit  Bérard  venait  d'acquérir  de 
Wintzcnried.  L'acte  est  passé,  comme  le 
précédent,  C3^a;ïs  l hôtel  de  la  dame  baromiede 
Vuarcns  ;  voici  sa  teneur,  extraite  des 
registres  du  Tabellion  de  Chambéry,  i'^'" 
volume  de  1756,  folio  99. 

PROCURATION 

four  dame  Françoise-Eléonore  de  La  Tour 

baronne    de   VuarenSy  à  elle  passé  par 

le  sieur  Simond  Gérard  —  L.  1,000. 

L'an  mille  sept  cent  cinquante  cinq  et 
le  onze  du  mois  de  décembre  à  Chambéry 
après  midy  dans  l'hôtel  de  la  dame  baron- 
ne de  ^''uarens  pardevant  moy  notaire 
roial  soussigné  et  présents  les  témoins  en 
fin  nommés  s'est  personnellement  établi 


100  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

et  constitué  le  sieur  Simone!  fils  de  sieur 
Pierre  Bérard  natif  citoyen  et  habittant  de 
la  ville  de  Genève  agissant  au    nom  des 
sieurs  Pierre  Bérard  et  fils  lequel  de  gré 
pour  luy  ses  associés  et  les  leurs  a  fait  et 
constitué  pour  procuratrice  spéciale  et  gé- 
nérale Tune  des  qualités  ne  dérogeant  à 
l'autre    n'y    au    contraire   sçavoir    dame 
Françoise  Eléonore  fille  de  feu  noble  Jean 
Baptiste  de  Latour  native  deVevey  canton 
de  Berne  en  Suisse  Et  c'est  pour  et  au 
nom  dudit  sieur  constituant  vendre  allié- 
ner  céder  et  négotier  ainsy  et  comme  bon 
luy  semblerat  la  portion  que   ledit  sieur 
constituant  at  acquis  ce  jourdhuy  du  sieur 
Jean  Raudaulphe  de  Courtilles  par  contrat 
reçu  par  moy  notaire  soussigné  occasion 
des  privilèges    accordés  par  Sa    Majesté 
tant  à  la  dite  dame  baronne  de  Vuarens 
qui  est  icy  présente  et  la  susdite  charge 
acceptante   qu'audit   sieur    de   Courtilles 
pour  l'excavation  des  minières  de  charbon 
de  pierre  et  de  terre  et  de  la  compagnie 
de  société  qui  a  été  formée  en  conséquence 
de  la  manière    que  le  tout  est  expliqué 


Di:  MADAMi:  Dt:  VVARENS  ICI 

dans  ledit  coniral  d'acquis  qui  a  clc  fait 
pour  mille  li\rcs  cl  auciucl  contrat  la  prc- 
scntc  est  relative  pour  cjuc  ladite  dame 
puisse  vendre  et  aliéner  la  susdite  portion 
vendue  pour  le  prix  sous  les  clauses  et  de 
la  manière  que  bon  luy  semblerat  luy 
donnant  à  ces  lins  pouvoir  de  passer 
tous  contrats  tant  de  vente  cession  qu'au- 
tres qui  pourront  être  nécessaires  pour  ce 
regard  lesquels  le  sieur  constituant  avoue 
approuve  et-i'atifie  dès  à  présent  comme 
pour  lors  à  la  charge  que  ladite  dame 
rendrat  bon  compte  de  son  administration 
à  quel  effet  il  sera  remis  à  ladite  dame 
une  expédition  du  sus  désigné  contrat  d'ac- 
quis reçu  par  moy  dit  notaire  et  tout  ce 
que  dessus  les  parties  ont  promis  obser- 
ver chacun  en  ce  qui  le  concerne  aux 
peines  respectives  de  tous  dépends  doma- 
ges  intérests  et  à  l'obligation  et  constitu- 
tion de  tous  leurs  biens  présents  et  avenirs 
fait  et  prononcé  audit  lieu  en  présence  de 
spectable  Gaspard  Bonety  et  du  sieur 
Dominique  Sulpis  tous  deux  habittants  de 
la  présente  ville  témoins  requis  qui  ont  si- 


102  LES  DERNIERES  ANNEES 

gnés  au  bas  de  ma  minutte  avec  lesdites 
parties  et  moy  dit  notaire  soussigné  qui 
ay  reçu  écrit  et  prononcé  la  présente  con- 
tenant sur  ma  ditte  minutte  deux  pages 
compris  mon  verbal  J'ay  icelle  expédié 
pour  Tofice  du  tabellion  après  due  colla- 
tion faitte  quoique  par  autre  soit  écrit. 
Signé  Daviet,  notaire. 

Vers  la  même  époque,  Jean-Jacques 
renonça  complètement  à  Tespoir, qu'il  avait 
encore  nourri  jusqu'alors,  de  vivre  avec 
jy/^mc  jg  Warens.  A  l'année  1756, —  seconde 
Partie,  Livre  IX  des  Confessions,  —  le  cé- 
lèbre écrivain  dit  :  ((  J'ai  toujours  regardé 
le  jour  qui  m'unit  à  ma  Thérèse  comme 
celui  qui  fixa  mon  être  moral.  J'avais  be- 
soin d'un  attachement,  puisque  enfin  celui 
qui  devoit  me  suffire  avoit  été  si  cruellement 
rompu.  La  soif  du  bonheur  ne  s'éteint 
point  dans  le  cœur  de  l'homme.  Maman 
vieillissoit  et  s^avilissoit  !  il  m' étoit  prouvé 
qiLelle  ne  poiiv oit  plus  être  heureuse  ici-bas. 
Restoit  à  chercher  un  bonheur  qui  me  fût 
propre,   ayant  perdu  tout  espoir  de  jamais 


bK  AlAlJA.Mi:    l)K  WAUENS  IO3 

pjrlji^cr  le  sien.  ))  Rousseau  avait  clc  re- 
cueilli par  M'"''  clc  Warcns  en  1728;  en 
1756,  seulement,  il  lit  la  connaissance  clc 
Thc^rèse.  Le  pau\  rc  jcan-Jacc]ues  resta 
donc,  près  clc  27  ans,  lidèlc  à  l'affection 
qu'il  avait  eue  pour  sa  maman,  avant  d'acU 
mctti-e  une  auti-e  femme  à  son  foyer.  Ames 
sensibles,  qui  avez  tant  chargé  la  mémoire 
de  Rousseau,  rengainez  votre  vertueuse 
indignation  ;    elle    n'est  plus  de  mise. 

La  barque  de  M'"''  de  Warens  allait  som- 
brer; sa  misère  s'accentuait.  Dans  son  ex- 
cellent opuscule.  Lettres  inédites  de  Madame 
deWarens,  Jules  Vuy  a  donné,  pour  la  pre- 
mière fois,  le  texte  d'une  lettre  extrême- 
ment curieuse,  que  la  baronne  adressait, 
aux  premiers  jours  de  1756,  à  M.  de  Lam- 
bert d'Angeville,  au  sujet  de  François  Fa- 
bre.  La  pauvre  femme  s'humilie  ;  elle  dé- 
clare que  ce  qui  doit  lui  être  le  plus  sensi- 
ble,  aujourd'hui,  cest  le  pain  quotidien  : 

Ce  12''  de  1756  chambéry 
Monsieur 
Jay  bien  lieu  mon  cher  Baron  de  Re- 


104  LES  DERNIERES  ANNEES 

conoitre  de  plus  en  plus  vôtre  bon  cœur, 
a  mon  égards;  par  la  manière  cordialle 
dont  vous  vous  Exprimé  sur  ce  qui 
me  Regarde,  continué  je  vous  prie  dens 
Les  aucasion  et  ne  craigne  jamais  que 
mon  amour,  propre,  savise  de  ce  jendar- 
mer,  il  lias  longtens  que  je  luy  imposé  si- 
lence, la  mauvaise  fortune  quy  me  persé- 
cute depuis  cy  longtens  mauroit  guéry  ra- 
dicalement de  cette  maladie,  cy  je  lavoit 
Eu  autre  foy  ;  soie  trenquille  sur  mon 
comte  a  ce  sujet,  je  vous  prie,  ce  quy  doit 
maitre  le  plus  sensible  aux  jour  duy  cest 
Le  pain  cotidiens,  et  La  trenquillités  je 
travailles  sens.  Relâche  pour  me  mètre 
En  état  de  jouir  de  Lun  et  de  lautre  ;  cy 
la  bontés  divine  veut  bénir  mon  travail 
jespaire  dy  parvenir,  afin  que  par  ce 
moiens,  je  puisse  mocuper  uniquement,  de 
La  seulle  chose  nessesaire  quy  et  de  tra- 
vallier  aux  salut  de  mon  ame,  je  me  Re- 
commende  a  ce  sujets  a  vos  bonne  priè- 
res ;  vous  me  faitte  un  vray  plaisir  de  ma- 
prendre  que  vous  devez  venir  icy  dens 
quelque  tens  ;   vous   chosirez  vous  même 


DE   MADAMK  UK    WARKNS  I05 

Ix  Lcdrasquy  VOUS  conviendras  Le  mieux 
et  ferez  faire  Labits  en  même  temps,  ccst 
par  celte  Raison  que  je  ne  vous  Envoie  pas 
desT^chantilion  paicest  hordinaire,  cepen- 
dant cy  vous  Les  juge  a  propos,  vous  Les 
aurez  sur  votre  premier  avis,  pour  ce  quy 
consernc  M' fabre  que  je  vous  prie  de  vou- 
loir saluer,  de  ma  part  ajez  la  bontés  mon 
cher  Baron,  de  vouloir  luy  faire  compren- 
dre quil  est  très  ynutilequil  ce  présente  a 
la  trésorerie  pour  son  argends  puisque  ce 
net  que  sur  Le  Cartier  de  paque,  que  je 
Lay  assignes  ce  quy  ceras  paie  aux  cou- 
rands  cest  adiré  ver  la  fin  davrils  prochain, 
dabort  après  Les  fêtes  de  paque  ;  je  conte 
Le  faire  venir  icy  ;  il  tireras  son  argends  ; 
et  jespaire  qu'il  feras  d'une  pierre  deux 
coup  cestadire  quands  même  tens  il  ce 
trouveras,  une  place  pour  Loccuper  dune 
manière  que  je  crois  quy  luy  seras  conve- 
nable ;  cy  M'"  fabre  sopstine  avenir  avant 
ce  tens  la  cela  porte  un  grands  préjudice 
a  mes  affaires  dont  Le  détail  cerois  trop 
long  dens  une  Lètre,  joray  Ihoneur  de 
vous  expliquer  toutes  ces  chose  a  première 


I06  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

vue,  je  VOUS  prie  Engrace  de  vouloir  le 
garder  chèvous  jusques  ace  tens  La,  après 
quoy  des  que  je  vous  aura}^  Explique  mes 
affaires  ;  je  prendray  tous  les  arrenge- 
ments  Les  plus  convenable  et  par  préfé- 
rence, je  suivray  ceux  que  vous  aurez  La 
bontés  de  me  conseillier  ;  je  me  recom- 
mende  a  la  continuation  de  votre  amietu 
et  de  vos  sage  conseils,  et  jay  Ihoneur  de 
vous  assurer  que  je  suis  pour  La  vie  avec 
tous  Les  sentiments  que  vous  mérites,  et 
Laplus  Respectueuse  considérations  Mon- 
sieur et  cher  Baron 

votre  très  humble   et  très  obeissente 

servante 
La  Barone  De  Warens  De  La  Tour. 

Le  contre-coup  de  sa  pénurie  d'argent 
se  faisait  sentir,  même  en  haut  lieu.  Les 
Archives  départementales  de  la  Savoie 
possèdent,  en  effet,  —  Série  C,  N^  209, — 
une  lettre  du  comte  de  Grégory,  ministre 
des  finances,  au  comte  Ferraris,  intendant 
général  de  Savoie,  traitant  successivement 
de  plusieurs  affaires  et  finissant  ainsi  : 


i)i:  MADAMi;  bi:  waklns  107 

M'"^'  la  baronne  de  Warcns  ayant  fail 
une  assijj^nalion  en  faveur  du  sieur  Si- 
mond  Dumercier  actuellement  en  cette 
ville,  sur  la  pension  que  sa  Majesté  luy  a 
accordée,  avant  que  de  faire  payer  icy 
l'assignation  susdite,  je  souhaiterois  sca- 
voir  si  sur  la  pension  susmentionnée  il  y 
eut  ou  nm\  des  séquestres  à  cette  trésore- 
rie, contre  ladite  M'"*'  la  baronne,  et  j'ay 
l'honneur  d'être  avec  respectueuse  consi- 
dération. 

Monsieur 
Turin,  le  17  mars  1756 
P.  S.  Je  vous  prie  aussi  de  m'informer 
jusques  à  quel  temps  ladite  M""*"  la  baron- 
ne a  été  payée 

Le  trcs-humblc  et  très  obéissant 
serviteur. 
Signé  de  Grégory. 

Les  précautions  n'étaient  pas  inutiles,  à 
l'égard  de  la  baronne,  et  l'administration, 
quoique  bienveillante,  était  fort  prudente 
avec  elle.  Pour  s'en  convaincre  il  suffira 
de  lire  la  lettre  suivante,  dont  l'original 


I08  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

est  la  propriété  de  M.  Jean  Faga,  à  Cham- 
béry .  Ce  document  inédit  est  le  commentaire 
écœurant  de  la  procuration  que  la  baron- 
ne passa  à  Claude  Vidal,  le  22  août  1755; 
la  lettre  porte,  au  dos,  une  suscription  de 
classement  :  Du  3  Avril  1756 

M"'"  La  Baronne  de  la  Tour 
Voici  la  teneur  de  cette  pièce  autographe, 
signée,  très  probablement  adressée  à  l'In- 
tendant général  de  Chambéry,  qui  avait 
eu  souvent  à  s'occuper  des  affaires  pécuni- 
aires ou  commerciales  de  M""^  de  Warens. 
En  Savoie,  le  titre  d'Excellence  n'était 
donné,  officiellement,  qu'au  Gouverneur 
général  du  duché,  mais  les  solliciteurs  le 
prodiguaient  volontiers.  L'Intendant  gé- 
néral était,  en  1756,  le  comte  Ferraris  de 
La  Tour  d'Isola,  en  Savoie  depuis  1749  ; 
M.  Goybet,  à  cette  époque,  était  intendant 
de  la  province  de  Chablais. 

Monsieur 

je  doit  Rendre  à  votre  Excellence  d'é- 
ternelles actions  de  grâce  de  Lacharites 
quelle  vient  dexercer  a  mon  Egards,   en 


i)i:  MADA.Mi:  i)i:  wakkns  U)() 

faisant   cloncr  mon  carlicr,  de  paquc,  sui- 
vant  Larctcs   de  comte   que    ja\(>it   fait  a 
Evian,  avec  le  s'  fabre  Entre  les  main  de 
M"*  Lintandant  Goibet  ;   et  suivant  que  je 
lavoit  déclarc5  a  M"*  vidai,  en    passant  mes 
convantions  avec  Luy  ;  et  par  un  malheur 
pour  moy  M'  vidai  ce  trouvant  avoir  apré- 
sent  besoin  de  cette  somme  ;  il  avoit  oblié 
les  promesse  quil  mavoit  fait  a  cest  Egards 
verbalement   ;   parceque  majant   fait  rc- 
mettres    Entre    ses    main  ;     mes    quatre 
blancsein  de  cette  années,  a  cause  de  mes 
créanciers  quils  setoit  En  gajer  de  paicr  ; 
il  pretendoit  faire  voir  que  je  feroit  un 
double  Emplois  de  ma  pentions  ;    quoy 
quil  savoit  bien  en  consience  mes  intan- 
tion  a  cest  Egards  ;  ma  consolation  aux- 
jourduy  ;  cest  de  pouvoir  dire  avec  vérités 
a  votre  Excellence  ;  que  je  nay  james  fait 
tort  à    persone,   ny   seu    profiter  du  bien 
dautruit  je  laisse   a  Dieu  et  aux  tens,  de 
faire  conoitre   la  vérités  de  toutes  choses 
il  me  Reste  après  avoir  remersie  votre 
Excellence  de  ces  bontés  ;  de  Luy  demen- 
der  Encore  une  Grâce,   des  que  je  pouray 


I  10  LES  DERNIERES  ANNEES 


avoir  Les  force  de  sortir  de  ma  chambre, 
jose  Luy  dcmender  un  cardheure  de  ces 
moment  presieux  ;  pour  que  je  puisse  en 
particuUier;  Luy  donerdesEclairsissement 
sur  des  chose  quy  sont  de  conséquance, 
et  quy  Regarde  Lavantage  de  Létat  ; 

je  prie  dieu  pour  les  prospérités  de  vo- 
tre Excellence,  et  jay  Ihoneur  detre  avec 
Leplus  profonds  Respect  ; 

Monsieur 

De  votre  Excellence 
La  très  humble   et  très  obeissente 

servante 

La  Barone  De  Warens  De  La  Tour, 

a  Chambéry 

ce  3^"  avril 

1756 

Après  ceux  de  Chambéry  et  du  Chablais, 
un  troisième  intendant  eut  à  s'occuper 
encore,  à  la  même  époque,  des  affai- 
res de  la  baronne,  témoin  la  lettre  sui- 
vante, extraite  du  Registre  copie  des  let- 
tres de  rintendance  du  Faucigny,   années 


Di:  AiAbAiMic  Dr:  warkns  i  i  i 

1753  à  175^,  conserve  au\  Archives  clcpar- 
icmciUalcs  clc  la  1  laulc-Savoie  : 

Du  5  Avril   I  756 
A  Madame  la  Baronne  de  \'uarcns 

Madame 

J'ai  l'honneur,  Madame,  de  vous  assu- 
rer que  je  seray  toujours  très  attentif  en 
toute  occasion  pour  vos  intérêts,  et  de 
M"  vos  associés,  et  particulièrement  pour 
ce  qui  regarde  les  minières  de  charbons 
dont  Tentreprise  ne  peut  être  que  très 
avantageuse  au  public. 

Agréez  je  vous  prie  les  nouvelles  assu- 
rances du  très  parfait  respect  avec  lequel 
J'ay  rhonneur  d'être  etc. 

Cependant  le  baron  d'Angeville  pressait 
aigrement  la  rentrée  de  sa  créance  ;  M™* 
de  Warens,  à  la  date  du  10  avril,  lui  écrit 
une  lettre  dont  l'humilité  fait  peine.  Ce 
document  a  déjà  été  publié  par  Jules  \^uy, 
dans   son    excellent    opuscule    intitulé   : 


112  LES  DERNIERES  ANNEES 

Lettres  inédites  de  Madame  de  Warens ,  La 
baronne  s'exprime  ainsi  : 

Monsieur 
Soie  persuadé  mon  cher  Baron  que  tout 
ce  quy  me  vien  de  vôtre  part,  me  fait  plai- 
sir, et  me  consolle;  quand  même  ce  se- 
rois  des  Reproche  continuel,  que  je  nay 
sûrement  pas  mérites,  il  met  aisé  de  sen- 
tir dou  parte,  Les  mauvay  office,  que  Lon 
me  rends  chaque  jour  près  de  vous;  en 
Recompense  de  mes  bienfaits  ;  je  garde  Le 
silence  sur  le  tout  et  Laisse  a  Dieu  La 
vangence  ne  voulent  me  plaindre  de  per- 
sonne; soie  bien  persuade  mon  cher  Ba- 
ron que  je  nay  point  dautre  dcsir  que  ce- 
luy  de  me  retirer  de  tous  les  Embaras  du 
monde;  dont  jay  et  prouves  les  cruelles 
amertume  par  La  mauvaise  foy  de  ceux 
avec  quy  jay  Eu  affaire,  ce  qui  me  doit 
bien  Engager  a  finir  toutes  affaires  s'il  est 
possible  avec  de  telle  gens,  incy  vous  ne 
devez  pas  douter  que  cy  on  veut  me  Realli- 
serLes  dix  mille  Livre  que  je  ne  les  ac- 
septe  bien  vittes,  et   soie  bien  aucy  per- 


DE   MADAME   DE  WARENS  I  I3 

suadé,  que  Le  premier  argcnds  ;  dont  je 
pourray,  disposer,  seras  pour  paier  Les 
dix  moy  de  pensions,  du  S'  fabre,  comme 
il  a  bien  Reseu  en  trésorerie  Les  3  1 5  L. 
que  je  luy  avoit  promis  pour  fins  de  tous 
comtes  entre  luy  et  moy,  il  peut  dezor- 
mais  aler  ou  bon  Luy  sembleras,  ce  net 
plus  à  moy  pour  Lavenir,  a  me  mcller  de 
ces  afiairc  encore  moins  de  chercher  ny  a 
Les  savoir,  ny  a  les  aprofondir,  qui  bien 
feras  bien  trouvera  Jay  pris  le  party  de  ne 
mocuper  qua  prier  Dieu,  pour  Le  Salut 
de  mon  ame  et  pour  La  conservations  et 
prospérités  de  ceux  quy  auront.  Eu  l'ame 
asse  généreuse  pour  vouloir  me  Rendre 
quelque  service,  comme  vous  Ette  du 
nombre  mon  cher  Baron,  je  vous  prie  de 
vouloir  acsepter  les  prière  sinseire  que  ja- 
dresse  aux  ciels  tous  Les  jour,  pour  que 
dieu  vous  acorde  Longue  vies  avec  toutes 
les  prospérités  que  vous  mérites,  et  que  je 
vous  souhaitte  de  cy  bon  cœur,  soie  je 
vous  prie  aucy  persuadé  de  La  sinserites 
de  ma  Reconoissance  que  de  celle  du 
parfet   et   très    Respectueux   atachement, 


I  14  LES  DERNIERES  ANNEES 

avec  Lequel  joray  Thoneur  detre  toute  ma 
vie 

Monsieur  Votre  très  humble 

aChambéry  ce  et  très  obeissentes  servante 
lo*"  Avril  1756.  LaBaroneDe  Warens 

De  La  Tour. 

Au  dos  :  ((  Vous  aurez  la  bontés  mon 
cher  Baron  de  menvoier  Le  Billiet  tout  fait 
tel  que  vous  Le  souhaites,  et  je  le  signe- 
ray  et  vous  le  renvoieray  tout  de  suitte  ou 
je  le  remetray  icy  Entre  les  main  de 
M*"  votre  Procureur,  quy  pouras  vous  En 
acuser  la  Resption,  il  est  juste  que  je  vous 
done  vos  suretez  puis  que  vous  avez  bien 
voulu  Exercer  Les  heuvres  de  charités,  a 
ma  prières  ;  dont  je  vous  conserveray  une 
Eternelle  Reconnoissance  » 

o4  la  suite  se  trouvent  ces  mots  d'une  autre 
écriture  :  Lettre  de  Mad^  De  Warens  où 
elle  parle  de  payer  la  pension  de  fabre  et 
de  passer  un  billiet  à  M'"  le  Baron  dange- 
ville.  — 

Une  autre  lettre  complète  les  renseigne- 
ments   qui   découlent   de  la  précédente  ; 


1)ï:   MAUA.Mi:  DL  WAKl.NS  II5 

clic  a  clef  adjii{.;cc  pour  jod  IV.  a  lùicnnc 
Charavay,  dans  la  vente  d'une  précieuse 
colleclion  de  lettres  autof^'-raphes,  laquel- 
le eut  lieu,  les  15  et  16  mars  1887,  à  la 
salle  Drouot,  à  Paris;lc  célèbre  archiviste- 
paléographe  a  bien  voulu  m'en  envoyer 
copie: 

Monsieur  et  cher  Baron 
Je  vous  sauray  toute  ma  vie  un  grès  in- 
fîny,  du  service,  quil  vous  a  plus,  de  me 
rendre,  en  acordent  jénéreusement  vostres 
tbale  au  s""  fabre,  a  ma  prières,  soie  per- 
suadé cher  Baron  que  mes  intention  son 
droite,  et  que  je  nay  rien  tent  a  cœur  que 
de  vous  paier  les  deux  cent  et  quinze  livres 
que  je  vous  doit  a  ce  sujets,  quoy  que  mon 
zelle  a  conserver  dens  ce  pais,  Lindustrie 
des  fonderies  de  fert  coules  ;  que  jy  avoit 
fet  Entrer  avec  tent  de  peines  ;  me  coûte 
aujourduy  ma  ruine,  et  me  cause  de  plus 
aujourduit  les  chagrain  les  plus  sensible  ; 
je  ne  puis  me  résoudre  de  me  Repentir, 
davoir  fait  du  bien  a  Létat  ;  et  quoy  que 
je  soit  traitées  injustement  a  ce  sujets  jofre 


I  l6  LES  DERNIERES  ANNEES 

a  Dieu  ma  peines,  et  sest  de  sa  bontés  di- 
vine, que  jatent  ma  Recompence  ;  et  nom 
des  créature  ;  et  je  pence  que  tout  ce  que 
vous  meditte  et  vray  lors  que  vous  maver- 
tissé,  que  je  doit  matendre,  a  toutes  les 
disgrasse,  que  La  malice  et  Lingratitude 
des  humain  ;  peut  nous  faire  Eprouver 
damertume  par  toutes  celle  que  Lon  ma 
fait  resentir  jusques,  a  présent  je  ;  doit 
pencer  a  quoy  jay  lieu  de  matendre  pour  la 
venir  ;  jay  Ihoneur  de  vous  joindre  icy,  mon 
billietahordre  pour  les  courants  de  Lan- 
neesprochainepourLaquitements  des  deux 
cent  et  quinze  livres  que  jay  promis  paier 
pour  la  pentions,  du  s""  fabres.  jesuis  per- 
suadées que  lorsque  vous  serez  icy  pour 
vos  prosses  que  M'"  vidai  ne  vous  refuseras 
pas  mon  papié  en  paiement  des  marchan- 
dize  que  vous  pouries  prendre  che  Luy. 
comme  il  est  chargé  de  Retirer  cette  en- 
nees  et  la  prochaine  les  deniers  ;  de  ma 
pentions,  et  ce  paieras  par  ses  mains  ;  les 
pot  pouris  que  M*"  fabres  ma  fait  par  icy, 
lorsquil  y  et  venus  son  cause  quil  ma  falus 
prometres  a  M""  Vidais  ;  de  ne  doner  aucun 


l)i:    MADAME    I>i:    WAKKNS  II7 

mcndat  a  pcrsonc  quii  Luy  sur  la  Trczo- 
rcric  pour  cette  années  et  la  prochaine  ; 
aux  moiens  de  quoy  il  continués  a  paier 
icy,  mes  dettes  pendent  ce  tems  la  ;  je 
vous  prie,  monsieur  Baron  de  ne  point 
parler  a  pcrsonc  de  ce  que  jay  Ihoncur  de 
vcus  confier  quands  vous  serez  icy  je  pou- 
ray  vous  ouvrir  entièrement  mon  cœur 
ce  que  je  ne  puis  quan  foiblc  parties  sur 
le  papier,  au  Reste  soie  bien  assurez  et  de 
maparfaitte  Rcconnoissance  a  vos  hontes, 
et  de  lenvie  que  je  conserve  a  trouver  des 
aucasions  a  vous  en  doner  des  preuve  ; 
pour  vous  convincre,  de  mon  parfait  de- 
vouement,  et  de  latrès  Respectueuse  et 
parfaitte  considérations  avec  laquelle  je 
seray  toute  ma  vie. 

Monsieur  et  cher  Baron 

Votre  très  humble  et  très  obéis- 
sante servante 

La  Baronne  De  Warens  de  la  Tour 

ce  16^  mav 

ml 
1756 

Chambery 


Il8  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

Vous  aurez   la  bonté  de  me  doner  avis 
de  la  Reseptions  de  mon  billiets 


Adresse  : 
Monsieur 
Monsieur  De  Lembert  Baron  Dengevillé 
à  La  Caillies  près  Dannecy 


A  La  Caillie 

A  cet  autographe  était  jointe,  selon  le 
Catalogue  de  la  vente  précité,  la  lettre 
suivante  du  sieur  Fabre,  concernant  le 
même  sujet  : 

+ 

Monsieur, 
Je  suis  persuadé  que  par  L'amittié  que 
vous  mavait  toujour  témoinié  durant  le 
tan  que  jay  demeure  chez  vous,  vous  de- 
vait être  impacian  daprandre  de  mes  nou- 
velles dememe  que  de  ma  situation  qui 
est  asé  triste  pour  moy;  comme  je  compte 
que  monsieur  de  Sainte  Colombe  avotre 
considération  auroitpu  me  proqurer  quel- 
que plasce  ou  dune  fasson  ou    dautre,  jat- 


DF.  MADAME  DE  WARENS  I  I9 

tcndoit  ce  momanl  pour  pouvoir  vous  Le 
faire  asavoir,  il  est  ccpandant  vray  que 
monsieur  Le  Compte  de  Mongioy  et  mon- 
sieur de  Sainte  Colombe  on  fait  tout  ce 
quils  on  pu  pour  ce  fait  la,  il  mon  donne 
des  Laitres  de  recommandation  pour  toutes 
Les  fabriques  an  fer  des  anvirons  de 
Chambcry,  mais  il  ny  a  pas  eu  Lieu  de 
rien  faire  ;  voilà  une  queinsenc  de  jour 
que  je  cour  tan  du  coté  de  La  moriainnc 
que  des  bogies  sans  quil  meye  été  possi- 
ble de  trouver  au  cune  plasce  je  ne  say  a 
quel  sein  me  promaitre,  je  me  suis  même 
jeté  au  piet  du  gouverneur  pour  pouvoir 
avoir  une  plasce  auprait  des  fabriques  de 
monsieur  le  chevalié  Derubilan  il  ma  fait 
réponse  quil  était  innutile  décrire  au  pie- 
mont  pour  cella  attandu  que  les  fabriques 
atait  aba  depuis  trois  moy  et  que  Les  ou- 
vries  était  tout  parti  ;  le  fameu  monsieur 
Cimon  qui  cetait  donne  savoir  faire  Le  fer 
blan  par  La  Lecture  de  tiorie  que  Madame 
de  Warans  Lui  avait  aprit,  ne  Luy 
apa  pu  reusir  non  plus  que  dan  le  tan 
quil    Lavait  antepri  au    fabriques   dargi- 


120  LES  DERNIERES  ANNEES 

antines  il  est  arivé  a  Chambcry  de- 
puis une  quinzaine  de  jour.  Madame  de 
Warans  le  garde  avec  elle  ils  sont  aprait  a 
chercher  des  asocies  du  coté  de  geneve 
pour  antreprandre  une  nouvelle  fabrique 
an  fer  blan  et  autres  ouvrages  de  piere 
quils  ont  an  Chablay  jay  peur  que  Leurs 
teorie  ne  leurs  cerat  pas  plus  favorable  a 
geneve  qualieur  et  quils  auront  peine  de 
trouver  des  associes  Le  fameut  guarson 
perutie  et  rantre  dans  Les  bonnes  grasce 
de  Madamme  de  Sajon  quil  sont  trois 
rongieurs  dans  sa  maison  ;  jay  ete  deux 
foy  a  son  apartemant  pour  la  voir  elle  ma 
fait  dire  quelle  netait  pas  visible  ;  quand 
les  mesieu  me  rancontre  par  les  rues  ils 
font  samblan  de  ne  mavoir  jamait  connu 
acauze  que  je  me  suis  fait  payer,  jay  ran- 
contre dimanche  pascé  lo  du  moy  a  ar- 
giantine  monsieur  Lintandant  gênerai  qui 
san  aie  a  Turein  il  a  été  fait  ministre  il  me 
dit,  quil  avait  laisce  mon  biliet  a  monsieur 
perein,  sustitu  de  Leintandance  et  quil 
Le  Luy  avait  bien  recommande,  il  est  fort 
regrete  de  toute  la  ville,  Lon  attan  de  jour 


I)i:  .MA DAM i:    DK   WAKKNS  I  Jl 

a  autre  ccluy  qui  doit  cire  a  sa  plascc  qui 
est  piémontcf  ;  Lon  vient  de  publier  aujour- 
dliuy  un  nouvau  edi  des  espcsces  qui  a  etc 
afiché  par  toute  la  ville  qui  conciste  que 
ceux  qui  auront  des  demi  sequeins  des 
ecu  de  Lannce  1736  dememe  que  les  ecu 
patagons  Les  pièces  de  ceiq  sou  vielles  et 
neuves  dememe  que  Les  pièces  de  dix  Liars 
seront  obligé  de  les  porter  an  trésorerie 
avant  la  fcin  du  mpy  daout  pour  les  chan- 
gier  contre  des  espesces  nouvelles  et  Lon 
donnera  la  même  valeur  des  espesces  jus- 
ques  au  tan  dit  et  le  terme  échu  elles  n'au- 
ront poin  de  cour,  ci  je  pouvait  vous 
être  utile  an  quelque  chose  ou  que  vous 
puisiez  me  proqurer  quelque  maison  de 
vos  cotes  je  vous  serait  bien  obligié  de 
me  Le  procurer  je  me  contanteroit  de  peu 
de  chose,  je  nose  pas  masarder  daller 
an  france  crainte  detre  areté,  Les  ouvriers 
qui  travailie  a  la  fabrique  an  Soye  on 
voulu  sasarder  de  retourner  a  Lyon  ils  ont 
ete  reconu  et  par  concequant  areté,  j'at- 
tant  cette  grasce  Monsieur  de  vos  bontés 
ordinaires  vous  priant  de  me  croire  avec 
bien  de  respect 


122  LES  DERNIERES  ANNEES 

Monsieur  Le  plus  humble  et  le  plus 
a  Chambery  obéissant  de  vos  serviteurs 
ce  14  juilliet  1756.  Fabre. 

mes  respect  sil  vous  plait  a  monsieur 
votre  frère  et  mademoiselle 
La  cour  La  Marion  et  sa  nièce 
Ci  vous  monorait  dun  mot  de  réponse  je 
suis  logié  ches   monsieur  Perrein  maitre 
cirqutié  a  Chambery. 

Parmi  les  singulières  choses  qu'elle  ré- 
vèle à  l'histoire,  cette  lettre  dévoile  que 
Wintzenried,  malgré  ses  prétentions  nobi- 
liaires, était  familièrement  désigné,  bien 
avant  les  Coiifessions,  dans  l'entourage  de 
M""^  de  Warens,  par  l'appellation  dérisoire 
de  guarson  periitié.  En  manière  de  con- 
clusion, ce  Fabre  paraît  avoir  haï  M™'-  de 
Warens  de  la  façon  spéciale  des  ingrats, 
à  qui  la  reconnaissance  ne  saurait  conve- 
nir. Une  lettre  de  lui,  datée  du  26  juillet 
1756  et  publiée  en  partie  par  Jules  Vuy, 
constate,  avec  une  sorte  de  joie  sourde, 
que  M""®  de  Warens  avait  été  expulsée  de 
sa  fabrique,  vers   le   18,    et  qu'elle  était 


DE    MAUAML:    de    WAKLNS  I2J 

venue  habiter,  cnlîiK  an  faubour^^  Ne/in, 
la  maison  où  elle  clc\ail  mourir.  Vr)ici 
les  misérables  lignes  du  fondeur,  adres- 
sées  au    baron  d' Angcvillc  : 

((  aleg:uard  des  affaires  de  madame  de 
Warans,  elle  est  toujour  dans  ces  idées 
baroques  elle  a  étée  condannee  de  nouvau 
a  payer  Lon  Lamise  hort  de  La  fabrique 
depuis  huit  jours  elle  demeure  actuelle- 
mant  a  nesein  a  La  maison  de  monsieur 
flandrein » 

Madame  de  Warens  n'avait  pas  été  prise 
au  dépourvu  ;  il  ressort  du  bail  qu'elle 
passa  avec  le  notaire  Crépine,  le  15  avril 
1761,  qu'elle  avait  loué  du  sieur  Flandin, 
le  précédent  propriétaire,  et  dès  le  20  mai 
1756,  le  petit  logement  qu'elle  ne  devait 
quitter  que  pour  descendre  dans  la  tombe. 


LES    DERNIERES    ANNEES 
DE 

MADAME  DE  WARENS 


II 

1756—  1762 


gs: 


LES     DERNIF.RRS    ANNEES 

MADAME  DE  WARICNS 


II 
1756  —  1762 

La  renommée  de  Rousseau  grandissait 
de  jour  en  jour.  Déjà,  en  septembre  1756, 
le  roi  du  siècle,  Voltaire,  écrivait  à  Jean- 
Jacques  :  ((  Comptez  que ,  de  tous  ceux 
qui  vous  ont  lu,  personne  ne  vous  estime 
plus  que  moi,  malgré  mes  mauvaises 
plaisanteries.  ))  L'histoire  peut  placer,  vers 
cette  époque,  le  brouillon  d'une  lettre  at- 
tribuée à  M'"'''  de  Warens,  sans  date  ni 
indication  de  destinataii^e,  dans  laquelle 
la  baronne  se  plaint  de  ses  associés  qui 
veulent  établir  une  fonderie  en  Maurienne, 


128  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

après  avoir  détruit  rétablissement  qu'elle 
avait  créé  à  Chambéry.  La  pauvre  femme 
est  malade  de  chagrin,  au  point  qu'elle 
désespère,  elle-même,  de  pouvoir  jamais 
guérir  : 

Monsieur 

Je  suis  fort  sensible  aux  sage  conseils 
que  vous  avez  la  bontés  de  me  doner  II 
est  sertin  que  la  patiance  et  le  plus  grand 
de  tous  les  remaide  II  y  at  longtens  que 
j'en  fais  l'expérience  Je  m'étois  flatée, 
Monsieur,  en  exersent  cette  vertu  que 
vous  ariveriés  dens  ce  païs  et  que  je  pou- 
rois  vous  doner  part  et  vous  expliquer  les 
afaires  importentes  quy  conserne  les  mi- 
nières de  ce  païs  et  les  établicements  quy 
conviennent  en  conséquance  Mais  M*"  je 
prends  la  liberté  de  vous  faire  observer 
que  le  poix  est  trop  grand  pour  que  je 
puisse  me  soutenir  plus  longtens  par  moy 
même  II  faud  que  je  recourent  de  nou- 
veaux aux  secours  Etrengers  ce  que  je  ne 
veut  faire  que  par  votre  agrément  et  par 
vos  sage  conseils  Voila  ma  fabrique  de 


DK    MADA.Mi:   DF.    WAKENS  I  29 

poteries  et  de  toutes  sorte  de  moula^^cs 
en  fert  eoule^s,  qu'on  a  détruit  par  maliec 
Je  irouveray  des  étrangers  quy  me  four- 
niront de  quoy  la  relever  pourveu  que  les 
privillègc  soit  à  moy  seullc  et  que  ma 
Compagnie  n'y  aie  plu  rien  à  voir,  ce  qui 
parois  bien  juste  puisqu'il  ont  détruit 
mon  ouvrage  quoy  que  parfait  dizent  seu- 
lement pour  toute  raison  que  cela  leur 
coutoit  trop  à  Chambéry  et  qu'il  Téta- 
blirois  dens  la  suite  en  Moriane,  ce  qui 
et  une  apsurdité  des  plus  grande  en  fait 
de  fabrique.* 

Que  votre  bontés,  Monsieur,  m'optien- 
nc  le  droit  de  continuer  mes  ouvrage 
dens  ma  fonderies  et  lorsque  ces  Mes- 
sieurs ceront  prêt  à  pouvoir  établir  en 
Moriane  je  m'ofre  encore  pour  lors  quoy 
qu'il  ne  le  mérite  pas  de  leur  rendre  en- 
core service  cil  parviène  aux  point  de 
pouvoir  étably  dens  la  fabrique  de  fert 
de  Moriane.  Je  crois  Monsieur  que  Ion 
ne  peut  rien  auposé  de  contraire  à  mes 
propositions  cy  tôt  que  Ion  se  voudras 
doner    la    peine    d'envizager  les  avanta- 


130  LES  DERNIERES  ANNEES 

ges  de  l'état.  Au  reste,  Monsieur,  pour 
ce  quy  conserne  les  découvertes  et  les 
iraveaux  des  autres  mines  que  celle  de 
fert  j'orois  trop  à  dire  et  il  me  faudroit 
un  volume  pour  vous  expliquer  toutes 
mes  raison  de  plainte.  Je  vous  demende 
seulement  Monsieur  que  vous  ayes  la 
bontés  de  me  recommender  à  Monsieur 
Fintandant  générais  pour  qu'il  donne  hor- 
dre  aux  sieur  Torin  régisseur  de  nos 
fabrique  et  fonderie  de  me  fournir  tous  le 
nessesaire  que  je  demenderay  pour  le 
faire  exercer  par  le  sieur  Merkell  afin 
qu'il  puisse  faire  telle  épreuve  qu'il  me 
plairas  sur  les  mines.  Cela  contiendras  un 
peu  ces  gens  la  quy  ne  cherche  qu'à  dé- 
truire et  non  à  bien  étably,  et  joray  l'ho- 
neur,  Monsieur,  de  vous  faire  part  chaque 
moy  des  épreuves  que  j'oray  fait  faire 
aux  sieur  Merkell,  ne  pouvant  plus  tra- 
vailler par  moy  même  à  cause  de  la  ma- 
ladie ou  les  chagrin  et  les  injustice  que 
l'on  m'a  fait  soufrir  m'on  plongée  et 
don  je  suis  hor  d'espérence  de  pouvoir 
guérir. 


DE   MADAMi:  I>i:  WAKKNS  I3I 

(A  la  lin  de  la  lettre  se  trouNc  le  para- 
graphe addilioiincl  sui\ant,  avec  un  as- 
térique  indiquant,  sous  forme  de  renvoi, 
l'endroit  de  celle  épîlre  où  il  doit  élrc 
intercalé). 

"^Yous  savez,  Monsieur,  par  expérience 
que  Ion  ne  doit  jamés  détruire  une  fabri- 
que pour  la  transplanter  alieur  que  tout 
l'emplacement  qu'on  propose  ne  soit  fait 
et  eu  étal  de  Iravallier  avant  que  de  pro- 
poser le  changement  de  lieu  et  il  faud 
être  en  état  de  faire  voir  l'ouvrage  fait  et 
parfait  aux  nouvel  emplacement  avant  de 
faire  sesser  l'ouvrage  aux  premier  empla- 
cement. Vous  aves  trop  de  lumières  et 
d'expérience,  Monsieur,  pour  ne  pas  goû- 
ter la  solidités  de  mes  raison  c'est  pour- 
quoy  je  recour  à  votre  équités  pour  que 
Sa  Majesté  daigne  accorder  à  moy  sculle 
en  faveur  de  mon  travail  ce  que  les  autre 
eux  ne  feron  qu'en  parolle  et  non  (un 
mot  déchiré).    )) 

Ce  document,  extrait  des  titres  déposés 
aux  Archives  départementales  de  la  Sa- 
voie, peut  servir,  en  quelque  sorte,  d'in- 


132  LES  DERNIERES  ANNEES 

troduction  à  un  mémoire,  daté  du  17 
août  1756,  par  lequel  le  baron  de  Valei- 
rieux,  l'un  des  actionnaires  de  la  société 
formée  par  M™^  de  Warens  pour  l'exploi- 
tation des  mines  de  houille  de  la  Savoie, 
demande  au  roi  de  Sardaigne,  au  nom  de 
la  Compagnie,  le  privilège  exclusif  de 
transporter,  par  radeaux,  à  Genève,  sur 
la  rivière  d'Arve,  les  charbons  extraits  à 
Arache,  dans  la  province  de  Faucigny  : 

^Mémoire  de  (M.  le  baron  de  Valeirieiix, 
par  lequel  il  demande  le  privilège  exclu- 
sif d'extraire,  par  le  moyen  de  radeaux 
sur  la  rivière  d'Arve,  tant  à  son  nom 
que  de  sa  Compagnie,  les  charbons  de 
pierre  approvisionnés  à  oAras  (Arache  en 
FaucignyJ  27  novonbre  ij^6. 

Par  le  privilège  exclusif  que  le  Roy 
daignât  accorder,  sous  la  date  du  30  8''" 
1752,  à  la  dame  Françoise  Louise  Eléo- 
nore  de  Warens  baronne  de  La  Tour, 
conjointement  à  Jean  Rodolphe  de  Cour- 
tilles,  natif  du  pays  de  Veaud  habitant  à 
Chambéry,  pour  la  recherche  et  excava- 


DE   MADAML    DE  WAUENS  Ijj 

ûon  du  charbon  de  pierre  et  de  Icrre,  soit 
houille  (sic),  dans  les  proxinces  de  Savo- 
yc,  les  susnommés  formèrent  une  Com- 
pagnie de  cinq  actions,  lesquelles  vendues 
et  revendues,  se  trouvent  aujourdhuy  en 
former  six,  qui  appartiennent  à  Messieurs 
La  Corbière  et  Bérard,  de  Genève,  pour 
trois,  et  les  trois  autres  à  laditte  baronne 
de  Warens,  au  sieur  Portas,  natif,  habi- 
tant et  bourgeois  de  Chambéry,  et  au 
soussigné  qui  n'acceptera  cette  sixième 
qu'autant  qu'il  résultera,  comme  il  le 
pense,  un  bien  pour  l'Etat,  de  luy  accor- 
der ce  qu'il  demande  au  nom  de  la  Com- 
pagnie. 

Comme  au  moyen  de  beaucoup  de  dé- 
pence, il  y  a  beaucoup  de  charbons  ex- 
traits à  Arache,  dont  la  débitte  ne  peut 
être  qu'à  Genève,  et  en  Suisse,  et  que  le 
transport  par  terre  excèderoit  le  produit 
la  Compagnie  demande  en  grâce  au  Roy, 
de  vouloir  luy  permettre  avec  privilège 
exclusif,  la  quantité  de  radeaux  nécessaire 
pour  faire  floter  sur  Arve,  le  transport, 
au  moyen  des  bois  qu'elle  achètera  dans 


134  LES  DERNIERES  ANNEES 

la  province  de  Faucigny,  sous  l'indication 
et  inspection  de  Monsieur  l'intendant  de 
cette  province,  ou  de  tel  autre  que  Sa 
Majesté  voudra  y  fère  commettre,  offrant, 
à  cet  effet,  d'indemniser  les  Royales 
finances  des  fraix  qu'elle  pourroit  supor- 
ter,  par  paye  de  qui  sera  commis,  comme 
aussy  de  se  soumettre  à  tout  ce  qui  sera 
jugé  devoir  être  établis  contre  les  abus  et 
tout  ce  qui  pourroit  tendre  à  la  destruc- 
tion des  bois  ;  de  même  de  donner  ledit 
sieur  Portas  pour  répondant  et  caution, 
en  forme  des  peines  pécuniaires  imposées 
contre  les  contraventeurs  aux  conventions 
et  en  un  mot  de  se  soumettre  à  tout  ce 
qui  sera  exigé  d'elle. 

La  Compagnie  demande  en  outre  que 
Ton  veuille  être  exactement  informé  du 
bien  qui  résultera  dans  cette  province, 
des  quinze  ou  vingt  radeaux  qu'on  peut 
d'abord  luy  permettre,  et  qu'en  cas  qu'il 
ne  soit  pas  évident  ou  qu'on  trouve  que 
cela  put  occasioner  ou  seulement  faire 
craindre  la  destruction  des  bois,  on  retire 
le  privillège  accordé,    encore    que    cette 


I)i:    MADAMH    DE   WARKNS  I35 

quanliU(5  de  radeaux  n'auroit  pas  pu 
suffire  aux  transport  des  charbons  extraits 
à  Arrache,  où  il  en  est  prêt  à  se  perdre 
pour  phis  de  six  mille  franc  courant. — 
\V\cn  entendu  encore  qu'il  sera  établis  que 
lesdits  radeaux  ne  pourront  transporter 
aucunes  autres  choses,  pour  ne  point 
troubler  le  commerce  des  chariots  de  mu- 
lets qui  quoyque  très-médiocre,  forme  un, 
objet  pour  les  particuliers  qui  l'exercent 
mais  que  si  tout  est  trouve  à  forme  de 
l'objet,  qui  est  l'intérêt  de  l'Etat,  par  le 
bien  de  cette  province,  qu'il  soit  promis  à 
cette  Compagnie  de  la  privillégier  pour 
la  suitte  de  cette  permission. 

J'observe  icy  que  tant  la  continuation 
de  l'extraction  des  charbons  que  leurs 
chargements,  la  couppe  des  bois,  la  cons- 
truction et  conduitte  des  radeaux,  le  tout 
occuperat  plus  de  cinquante  ouvriers  par 
jour.  Cela,  joint  aux  déboursés  pour 
l'achapt  des  bois,  forme  un  objet  bien 
considérable  pour  une  province  qui  n'a 
de  commerce  et  de  moyens  que  par  les 
gens  qui  en  absentent,  sept  ou  huit  mois 


136  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

de  l'année  pour  chercher  la  vie  de  leur 
famille  dans  le  pays  étranger,  ce  qui  ne 
réussisant  pas  à  tous,  fait  que  plusieurs 
y  restent  et  qu'insensiblement  elle  se  dé- 
peuple. Il  est  vray  que  l'Etat  gagneroit 
plus  s'il  fournissoit  tous  les  membres  de 
la  Compagnie,  puisque  le  profit  qu'elle 
peut  faire  y  resteroit  en  entier,  mais  les 
avances  sont  fortes  et  les  moyens  d'une 
Compagnie  de  sujets  sont  faibles.  C'est 
déjà  quelque  chose  que  la  moittié  y  soit 
asseuré,  et  il  est  fort  aisé  qu'insensible- 
ment le  tout  y  reste.  Il  me  paroit  qu'il  est 
question  de  mettre  la  chose  en  train,  et 
au  moyen  du  stile  et  des  réserves  qu'on 
pourroit  employer  dans  le  privilège  accor- 
dé de  vingt  radeaux,  il  sera  facile  de 
pourvoir  de  façon,  en  après,  que  tout  le 
profit  reste  dans  les  Etats. 

J'avertis  icy  que  conséquemment  à  une 
permission  que  le  Roy  accorda  au  mois 
d'août  1754,  je  crois  à  la  réquisition  de  la 
Cour  de  France,  à  certains  entrepreneurs 
du  Pont  des  Rousses,  ceux-cy  commirent 
à  Genève  le  sieur  Sadet  qui  y  est  encore 


iji:  MADAAii:  i)i:  wauens  157 

à  présent.  Il  éUnt  question  pour  la  cons- 
truction âc  ce  pont,  de  je  crois,  vingt 
plantes  de  bois  dur,  et  soixante  ou  quatre 
vin^l  platteaux  de  mesme,  que  cependant 
peu  de  jours  a\'ant  mon  départ  de  Cham- 
béry,  le  neuf  du  courant,  il  est  arrivé  à 
Genève  le  douzième  radeau  au  compte 
dudit  sieur  Sadet.  A  scavoir  cependant 
s'il  n'a  point  eu  d'autres  permissions, 
je  l'ignore,  et  j'ay  tout  sujet  d'en  dout- 
ter.  Je  scay  seulement  avec  certitude 
qu'il  a  payé  dix  huit  livres  des  pièces 
de  bois  des  trois  derniers  radeaux,  que 
pour  les  premiers  il  n'a  payé  que  quattre 
livres. 

Je  finis  en  exposant  que  je  suis  munis 
de  tous  les  moyens  pour  donner  touttes 
les  surettes  qu'on  jugera  devoir  exiger. 

Turin  le  17  août  1756 

Signé  :  Le  baron  de  Valérieux 

Ce  document,  qui  donne  divers  détails 
sur  l'organisation  et  le  personnel  de  la 
Compagnie,    se  trouve   annexé,    en   date 


138  LES   DERNIERES   ANNEES 

du  27  novembre  1756,  à  un  volumineux 
rapport  de  l'Intendant  général  de  Savoie, 
lequel  examine,  successivement,  toutes  les 
raisons  alléguées  par  l'auteur  du  mémoire, 
et,  en  principe,  finit  par  conclure  au  rejet 
de  la  demande,  en  indiquant,  toutefois, 
les  mesures  restrictives  à  imposer  à  la 
Compagnie,  dans  le  cas  où  la  Cour  de 
Turin  se  déciderait  à  accorder,  tempo- 
rairement, une  partie  de  ce  que  le  ba- 
ron de  Valérieux  sollicitait.  Le  rapport 
de  l'Intendant  ajoute  que,  d'ailleurs,  on 
n'avait  employé,  encore,  que  deux  ou- 
vriers aux  mines  d'Arache,  et  que,  par 
conséquent,  l'encombrement  des  charbons, 
extraits,  ne  devait  pas  être  aussi  considé- 
rable que  le  prétendait  l'auteur  visé  du 
mémoire. 

Peu  de  jours  auparavant,  M""^  de  Wa- 
rens  avait  adressé  la  lettre  suivante  au 
baron  d'Angeville  :  cette  missive  a  déjà 
été  publiée,  comme  suit,  en  1855,  par 
Jacques  Replat,  dans  sa  ^ote  sur  Madame 
de  Warens, 


DE  MADAMi:  l)i:  WAKKNS        I  ]() 
ADRESSE  : 

t 

((  ci  ^Monsieur 

V^Ionsicur  de  I.aïuhcrl  Tiarnn 
T>cngcvtllcs  à  la  C  a  il  lie  prés 
d'c/Xnnecy 

à  La  Cailles.   )) 

Chambôry  ce  15*  octobre  1756. 

Monsieur 

II  vous  est  bien  aizc  de  badiner  mon 
cher  Baron  parce  que  Dieu  mercy  il  ne 
vous  menque  de  Rien  plus  a  Dieu  que  jeu 
des  Barils  de  ferblanc  à  ma  disposition  je 
ne  me  feroit  pas  tirer  Loriellie  pour  vous 
en  envoler  bien  au  contraire,  je  me  ferois 
sûrement  un  devoir  et  un  empressement 
de  vous  en  présenter  ;  je  suis  cy  éloignée 
auxjourduy  de  penser  à  établir  des  nou- 
velles fabrique,  que  je  mocupe  à  vandre 
toutes  les  prétentions  que  gy  puis  encore 
avoir,  c'est  dens  ces  vue  que  jay  pris  la  li- 
bertés de  demender  mon  prolong  aux 
Rov  ;  ne  dezirends  aue  détre  débarassée 
de  toutes  sorte  dafaire  pour  emploier  uni- 


140  LES  DERNIERES  ANNEES 

quement   le  peu  de  temps  quy  me  reste  a 

vivre  à  louvrage  de  mon  salut   ce 

l'objet  quy  mocupe,   aujourduy en 

je  vous  prie  bien  persuadé,  et  je  vous  de- 
mende  avec  une  part  dans  vos  bonnes  priè- 
res pour  que  Dieu  veullies  macorder  la 
grâce  de  persévérer  dans  les  bonnes  reso- 
lutions que  jay  prise  cy  jay  tardé  davoir 
riioneur  de  repondre  a  vos  chère  letres 
cest  que  jesperois  dun  jour  a  lautre  de 
pouvoir  vous  aprendre  quelque  chose  de 
positifs  sur  la  fins  de  mes  affaires  ;  mais 
elle  vont  si  lentement  quil  ne  fauds  pas 
moins  que  la  patience  de  Griselidy  pour 
pouvoir  tenir  a  tous  les  ennuis  que  cela  me 
cause  ;  vous  serez  sûrement  un  des  pre- 
miers aquy  je  feray  part  de  larengement 
que  mes  affaires  prendront,  soie  je  vous 
prie  persuade  que  je  ne  pert  pas  un  mo- 
ment de  vue  les  deux  cent  quinze  livre  que 
je  vous  doit  pour  avoir  noury  le  Sr  Fabre; 
cette  dette  me  tient  trop  a  cœur  pour  ne 

p iter  avec  honneur  cy  tôt  que  la 

sera  a  mon  pouvoir  je  vous  prie  mon  cher 
baron  de  vouloir   me  continuer  Ihonneur 


DK    MADAMK    bi:    WARKNS  141 

cic  votre  souvenir,  je  cle/irc  ardcntmcnt  de 
pouvoir  mdritcr  ccluy  de  votre  amitié  que 
je  culliveray  toute  nia  \ie,  vous  prient  de 
vouloir  conter  sin-  moy  dens  tous  ce  quy 
ccras  en  mon  pouvoir  ;  cy  la  cruelle  for- 
tune me  dcvenois  un  instant  favorable  je 
ne  restcrois  sûrement  pas  en  arrière  a  vo- 
tre e«.Tards  Dieu  conois  mon  cœur  et  vous 
me  rcndres  justice  un  jour,  je  suis  cy  ma- 
lade par  tout  les  emharas  que  jay  qua 
peine  puigc  tenir  la  plume  ,  et  dens  ce 
triste  état  ma  servante  et  malade,  et  mon 
secrétaire  ce  meur  dun  absés  dans  la  poi- 
trine y  vient  de  resevoir  tous  ces  sacre- 
ments voila  ma  situations,  je  prie  Dieu 
tous  les  jours  pour  votre  guerison,  et  pour 
votre  chère  conservations  et  prospérités, 
et  jay  Ihonneur  de  vous  assurer  mon  cher 
Baron  que  je  vous  seray  jusque  aux  sen- 
dres  ;  avec  le  plus  sinceire  et  le  plus  res- 
pectueux atachement 

Monsieur 

Votre  très  humble  et 

très  obeysente  servante 

La  Barone  de  Warens  de  la  Tour. 


142  LES  DERNIERES  ANNEES 

Que  signifiait  le  passage  de  cette  lettre, 
relatif  à  Griselidy>  s'était  demandé  Replat, 
et,  pour  avoir  le  mot  de  l'énigme,  il  avait 
écrit  à  son  ami  Léon  Ménabréa,  l'un  des 
plus  spirituels  littérateurs  de  la  Savoie. 
Voici   l'explication    qui    lui   fut  donnée   : 

((  Dans  la  série  des  marquis  fabuleux  de 
Saluées,  il  ne  faut  pas  oublier  le  fan- 
tasque Gauthier,  dont  l'épouse  Griseldis 
est  devenue  le  sujet  d'une  des  traditions 
les  plus  populaires  de  l'Italie.  Griseldis, 
vainquant  par  sa  douceur,  sa  patience,  sa 
résignation,  la  feinte  jalousie  et  les  cruels 
caprices  de  son  mari,  a  été  si  souvent  cé- 
lébrée par  les  poètes  et  les  romanciers 
qu'il  serait  difficile  de  faire  l'énumération 
de  ceux  qui  ont  tour  à  tour  essayé  de  re- 
produire l'angélique  figure  de  cette  fem- 
me, type  touchant  de  la  longanimité  con- 
jugale. Boccace  y  a  puisé  le  texte  de  la 
dernière  nouvelle  de  son  T>écajnéron.  Le 
père  Bernard  de  Montfaucon,  dans  sa  ©î- 
bliotheca  nova  m^^,  a  indiqué  plusieurs 
romans  du  moyen-âge  existant  de  son 
temps    dans    plusieurs    bibliothèques    de 


DE  madaail:  i)i:  wakkns  14} 

l'^rancc,  d'Ilalic  cl  d'Anf,^lctcrrc,  reprodui- 
sant la  fable  iiUcrcssantc  de  Gauthier  et 
de  Griseldis.  Thomas  III,  marquis  de 
Saluées,  dans  son  roman  manuscrit,  mille 
fois  curieux,  le  Livre  du  Chevalier  er- 
rant^ évoque  en  maintes  circonstances 
l'ombre  charmante  de  Griseldis;  il  la  fait 
assister  enlr'aulrcs  à  la  bataille  du  Dieu 
d'Amour  contre  l'empereur  des  Jaloux,  à 
côté  de  Belle-Rose,  de  la  reine  Genèvre, 
d'Hélène,  de  Médée,  de  Cléopâtre,  etc.   » 

Ainsi,  malade  au  point  de  ne  pouvoir 
tenir  la  plume  qu'avec  peine,  la  pauvre 
femme  gardait  encore,  dans  sa  correspon- 
dance, l'humeur  enjouée  de3  anciens 
beaux  jours. 

Cependant,  la  dette,  contractée  peur 
nourrir  Fabre,  inquiétait  sans  cesse  la  ba- 
ronne ;  d'Angeville  ne  lui  laissait  aucun 
répit.  Clouée  depuis  deux  mois  sur  un  lit 
de  douleur,  ^^Ime  de  Warens  écrivait, 
au  sieur  de  Lambert,  pour  l'apaiser,  les  li- 
gnes suivantes,  déjà  publiées,  en  1870,  par 
Jules  Vuy,  dans  son  excellent  opuscule 
précédemm.ent  cité  : 


144  LES  DERNIERES  ANNEES 

Ce  7*^  février  1757  Nezin. 
Monsieur 
Cest  avec  bien  du  Regret  mon  très  cher 
Baron  que  j'aprends  que  la  triste  situa- 
tions de  votre  santés  Ressemble  a  La 
miene,  qui  est  Reduitte  aucy  a  ne  pouvoir 
quiter  ny  le  lit  ny  la  chambre,  je  norais 
pus  vous  Lecrire  plus  tôt  maigres  tout 
mon  Empressement  a  mentretenir  avec 
vous,  depui  les  fêtes  de  noel  jay  tenus  le 
lit  par  des  douleur  de  goûte  sur  Les  4 
membre  quy  mon  fait  Enfler  Les  pie  et 
Les  main  et  causé  une  fluction  de  poitrine 
des  plus  fâcheuse  et  quy  me  tourmente 
autent  que  mes  dettes  cest  tout  dire,  car  il 
niât  point  de  plus  grande  croix  pour  un 
honette  homme  que  celle  de  devoir  et  ne 
pouvoir  pas  paier  aucy  tôt  qu'on  Le  sou- 
haiterois,  cest  le  cas  malheureux  ou  je  me 
trouve,  soie  persuade  mon  très  cher 
Baron  que  les  deux  cent  et  quinze  livre 
que  je  vous  doit  pour  avoir  nourry  le  S*" 
fabre  me  tiene  plus  a  cœur  qua  vous,  jus- 
ques  asse  que  vous  En  soie  satisfait,  je 
nay  put  comprendre  ce  que  vous  me  ditte 


Di:    MADA.Mi:   DE  WARENS  1.15 

dcns  votre  ciicrc  clcrnicrc,  aux  sujet  du  S' 
{\\h\c  ccsl  a  vous  mou  cher  Baron  a  qui  je 
dn\[  ;  et  non  a  luy.  je  ne  luy  doif  pas  un 
deniers  grâce  a  dieu,  je  serois  bien  dou- 
blement charmées  de  \<)ir  ai'i\er  paques 
puis  que  ce  tens  hi  doit  me  procurer  La 
consolation  de  vous  voir  icy  ce  quy  ceroit 
pour  moy  un  plaisir  des  plus  semsiblc, 
Dieu  vous  ameine  bientôt  En  bone  santés; 
que  je  regrarde  comme  le  plus  presieux 
bien  de  la  vie  cy  tôt  quelle  est  perdue  tout 
le  reste,  et  moin  que  rien  ;  car  soufrir  des 
grande  douleur  dens  un  lit  doré  ou  soub 
un  toit  de  paillie  cela  et  Egal  suivant 
moy.  Cydieu  vouloit  me  rendre  la  santé  ; 
je  la  prefererois  a  la  plus  briliantc  fortune, 
mais  nul  nal  a  choisir,  son  sort,  La  vo- 
lontés de  Dieu  doit  Etre  la  raigle  de  la  no- 
tre, sens  plainte  et  sen  murmure  ;  se  sou- 
metre  a  nôtres  sort  quel  quil  puisse  Etre 
voila  ce  que  je  me  propose  de  faire  avec 
Laide  de  Dieu  Le  reste  de  mes  jour,  cest 
ce  qui  fait  que  je  vous  passe  soub  silences 
toutes  les  injustices,  que  Ion  me  fait  ;  il 
faudrois  des  volumes^  pour  pouvoir  vous 


146  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

en  Expliquer  une  partie  ;  et  je  prie  dieu 
quy  vous  conserve,  et  vous  rétablice,  et  je 
vous  suplie  mon  cher  Baron  de  macorder 
toute  la  vie  une  petite  part  dens  votre  cher 
souvenir,  cy  vous  lizie  bien  dens  Le  fonds 
de  mon  cœur,  vous  vous  trouverie  satis- 
fait de  mes  sentiments  a  votre  Egards, 
protégé  toujour  un  peu  une  peuvre  veufve 
infortunées  et  doner  souvant  de  vos  chère 
nouvelles  ;  agrées  les  sentiments  de  ma 
reconoissance  a  vos  bontés,  et  La  Res- 
pectueuse, et  très  parfaitte  considérations 
avec  Laquelle  jay  Ihoneur  d'être 
Monsieur 

Votre  très  humble 
et  très  obeissente  servante 
La  Barone  De  Warens  De  La  Tour. 

La  misère  de  la  pauvre  femme  était  irré- 
fragable et  sa  ruine  consommée.  Le  27 
septembre  de  la  même  année,  la  malheu- 
reuse était  forcée  de  résilier,  enfin,  l'acqui- 
sition d'une  maison  qu'elle  avait  faite  à 
Evian,  en  1755.  Ne  pouvant  pas  en  payer 
le  prix  à  Noël  Joudon,  fils  de  Jean-Fran- 


L)L    M.VbwUli:    DE    WAHLNS  147 

çois  qui  lui  avait  code  riiiuiicublc,  M"""  de 
Warcns  est  oblij^ée,  à  titre  de  dommages 
iatc5rèts,  de  faire  abandon,  au  dit  sieur 
Joudon,  d'une  somme  de  J15  ',  à  prélever 
—  bien  entendu  —  à  la  trésorerie  de 
Chambéry,  et  en  deux,  termes,  sur  deux 
quartiers,  désignés,  de  la  pension  qu'elle 
tenait  des  libéralités  du  roi  de  Sardaigne. 
La  transaetion  figure,  en  ces  termes,  au 
troisième  volume  de  1757,  f""  474,  des  re- 
gistres du  Tabellion  de  Chambéry  : 

DÉPARTEMENT  DE  VEiNTE 

en  faveur  du  sieur  Je.in-françois  Joiidoii^ 
notaire   à    Evi.in,    par  dame  Françoise- 
Louise-Eléonore  de   la  tour^  haromie  de 
Vuarens. 

L'an  mil  sept  cent  cinquante  sept  et  le 
vingt  sept  du  mois  de  septembre,  à 
Chambéry  à  trois  heures  après  midy, 
dans  la  maison  qu'occupe  la  dame  ba- 
ronne de  Warens,  au  faux  bourg  du  Re- 
clus, procédée  du  sieur  Flandin,  parde- 
vant  moy  notaire  roial  soussigné,  présents 
les  témoins  cy  après  nommés  s'est  person- 


148  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

nellement  établie  et  constituée  dame 
Françoise  Louise  Eléonore  à  feu  noble 
Jean  Baptiste  de  La  Tour  native  de  la 
ville  D'avevey  en  Suisse  canton  de  Berne, 
veuve  de  noble  Isaac  Sébastien  de  Louis 
de  Villarden  baron  de  Vuarens  domicilié 
en  la  présente  ville,  qui  de  grez  pour  elle 
et  les  siens  s'est  départie,  ainsi  que  par  le 
présent  elle  se  départ  en  faveur  de 
M^'^Noel  fils  de  feu  sieur  Jean-François 
Joudon  natif  notaire  coUégié  secrétaire 
bourgeois  habitant  la  ville  d'Evian  et  de 
ses  amis  à  élire  pour  le  tout  ou  en  partie, 
à  Tacceptation  de  Messire  Charles  fils  de 
feu  Messire  Joseph  Métrai  seigneur  de 
Châtillon,  natif  habitant  la  présente  ville, 
pour  icelluy  avec  moy  dit  notaire  accep- 
tant, de  la  vente  passée  en  faveur  de  la- 
dite dame  barone  de  Vuarens  par  ledit 
M^  Joudon,  par  acte  du  dix-neuf  juin  mil 
sept  cents  cinquante  cinq  reçu  par  M^ 
Buttet  notaire,  de  la  maison  granges  y 
spécifiés  indiqués  sous  les  numéros  de  la 
mappe  dudit  Evian,  deux  milles  deux 
cents   quatorze,  deux    milles   deux   cents 


DE  MADAME  DE  WARENS  I49 


cinquante  deux,  cl  deux  milles  deux  cents 
cinquante-trois,  avec  touttes  appartenan- 
ces et  dépendances,  et  c'est  à  deffaut  du 
payement  de  la  somme  de  deux  milles 
cinq  cents  livres  de  Savoye  et  cent  livres 
pour  épin^^des  non  payé  du  prix  de  ladite 
vente  en  se  départant  de  tous  droits  de 
propriété  qui  auroient  pus  luy  être  acquis, 
dont  au  besoin  elle  s'est  démise  et  dévê- 
tue et  ledit  Joudon  invélu  par  touttes  dé- 
vestitures  et  investitures  requises  et  audit 
cas  nécessaires  à  l'acceptation  de  qui 
dessus  et  pour  raison  des  dommages  in- 
térêts et  pour  tout  ce  que  ledit  M"  Joudon 
at  pu  souffrir  et  seroit  dans  le  cas  de 
souffrir  et  supporter  pour  raison  de 
ladite  vente  ladite  dame  baronne  de 
Wuarens  luy  a  assigné  ainsi  que  par  le 
présent  elle  luy  assigne  en  exécution  du 
susdit  contract  de  vente  la  somme  de  qua- 
tre cents  quinze  livres  à  prendre  et  exiger 
sur  la  pension  annuelle  dont  elle  joui  des 
libéralités  de  sa  ^Majesté  à  exiger  de  la 
Trésorerie  en  la  présente  ville  dont  elle  se 
reconnoit  luy  être  débitrice  et  à  tant  en- 


150  LES  DERNIERES  ANNEES 

tr'eux  réglés  pour  raison  de  quoy  elle  a 
présentement  et  réellement  remis  audit 
seigneur  Métrai  de  Chatillon  deux  man- 
dats dont  l'un  de  deux  cents  livres  et  le 
second  de  deux  cents  quinze  livres  à  exi- 
ger sur  ladite  pension  le  premier  sur  le 
quartier  de  la  St  Jean  prochain  et  le 
second  sur  celluy  de  la  Noël  suivante 
compensation  faitte  de  tous  plus  amples 
dommages  que  pourront  prétendre  ledit 
M""  Joudon  contre  tout  ce  qu'il  peut  avoir 
perçu  et  retiré  à  ladite  maison  et  dépen- 
dances dez  la  vente  d'icelle  il  ne  rentre 
dans  la  propriété  des  choses  vendues  que 
suivant  les  revenus  insérés  dans  le  sus 
désigné  contract  et  le  droit  de  propriété 
qu'il  s'étoit  expressément  renoncé  à  def- 
faut  du  susdit  payement  et  le  tout  ainsy 
par  ladite  dame  veuve  de  Vuarens  en  ce 
qui  la  concerne  convenu  et  promis  obser- 
ver avec  promesse  de  ne  venir  au  contraire 
sous  l'obligation  constitution  de  ses  biens 
et  la  stipulation  de  tous  dépends  domma- 
ges intérêts  fait  et  prononcé  au  lieu  que 
dessus  en  présence  du  sieur  Nicolas  An- 


DE   MADAME  DE   WAREN8  I5I 

toinc  Riva  de  Turin,  cl  de  François 
PioUct  de  La  Val  de  Crucnnc  habitant  la 
présente  ville  témoins  requis.  (....)  par 
un  droit  au  tabellion  trente  sols  ledit  Piol- 
let  est  illitc5rc5  de  ce  enquls  par  moy  not- 
taire  soussigné  le  présent  qui  contient 
deux  pages  en  ma  niinutte  recevoir  requis 
que  j'ay  expédié  pour  le  tabellion. 

Signe  Buisson,  notaire. 

Wintzenricd  se  démenait  de  son  côté, 
afin  d'obtenir  du  gouvernement  un  emploi 
fixe,  qui  lui  permît  de  gagner  son  pain. 
Les  titres  déposés  aux  Archives  départe- 
mentales de  la  Savoie,  en  effet,  révèlent 
à  l'histoire  un  rapport  favorable,  adressé 
au  Ministre  de  Turin  par  l'Intendant  gé- 
néral de  Chambéry,  sur  les  antécédents  et 
les  aptitudes  de  l'associé  de  M"'''  de  Wa- 
rens,  devenu  solliciteur.  Voici  la  teneur 
de  ce  très  curieux  document  qui  donne, 
outre  une  foule  de  particularités,  la  date 
exacte  des  premiers  rapports  de  Wintzen- 
ricd avec  la  baronne  : 


152  LES  DERNIERES  ANNEES 


RELATION 

concernant  les  talens,  les  occicpatioîis  et  la 
conduite  du  sieur  de  Coiirtille,  habitant 
depuis  20  ans  en  la  ville  de  Chamhèry, 
suivant  les  connoissances  que  je  soussigné j 
j'ai  pris,  en  exécution  des  ordres  de  sa 
3\Iajesté,  portés  par  lettre  de  iM.  le  cheva- 
lier Fei'raris,  du  ly  8bre  iy^6. 

Le  sieur  Jean  Samuel  de  Courtille, 
natif  dudit  Courtille,  canton  de  Berne, 
étant  sorti  fort  jeune  de  son  pays,  pour 
voyager,  passa  en  173  i,  à  Chambéry,  où 
il  fît  connoissance  avec  Madame  la  baron- 
ne de  Warens  de  La  Tour,  de  la  même 
nation. 

Après  quelques  années  de  voyage,  ayant 
embrassé  la  religion  catholique,  apostoli- 
que et  romaine,  revint  en  1737  à  Chambéry 
où  la  susdite  dame  baronne  de  Warens 
l'engagea  à  y  rester  au  moyen  des  secours 
qu'elle  lui  fournit,  en  vue  apparemment 
de  lui  donner  de  l'occupation. 

Pendant  l'occupation  de  la  Savoie  par 


DE  iMADA.ML  DL   NVAKLNb  l^J 

les  lilspagnols,  M'  le  comte  prcsidcnl  Gar- 
hillon,  pour  lors  avocat  général  au  scuat, 
et  de  la  Délectation  générale  établie  en 
cette  ville,  a  donné  plusieurs  commissions 
audit  sieur  de  Courtilles,  dont  il  s'est 
bien  acquitté. 

En  1749,  Madame  la  baronne  de  Wd- 
rcns  et  M"  Mansord,  de  la  ville  de  Cham- 
béry,  et  Perrichon,  de  celle  de  Lyon,  ac- 
quéreurs des  mines  de  la  haute-Maurien- 
nc,  et  entrepreneurs  associés  des  fabriques 
ont  élus  et  députe  ledit  sieur  de  Courtil- 
les inspecteur,  et  controlleur  aux  mines 
et  fabriques  susdittes,  pendant  l'espace  de 
neuf  années,  avec  Tappointement  de  douze 
cent  livres  par  an,  sa  table  sur  le  pied  de 
trois  cent  livres,  et  le  logement  et  l'en- 
tretien d'un  cheval,  ainsi  qu'il  résulte 
par  ses  conventions  qu'il  m'a  exhibées,  du 
14  8bre   1749,  et  12  7bre   1750. 

Ensuite  des  susdites  conventions,  il  en- 
tra aussitôt  en  exercice  de  Temploy  qu'on 
luy  avoit  confié  et  a  continué  d'en  faire 
les  fonctions  jusqu'au  mois  de  mars  1752, 
auquel  temps  la  susditte  Compagnie  ayant 


154  LES  DERNIERES    ANNEES 

par  un  nouveau  règlement  député  le  nom- 
mé Thoring  directeur  général  des  mines 
et  fabriques  susdittes,  il  entra  en  négocia- 
tion avec  le  sieur  de  Courtilles  afin  de  le 
porter  à  renoncer  à  son  employ  d'inspec- 
teur et  controlleur  d'icelles,  comme  en  effet 
par  contrat  du  12  mars  1752  il  s'en  départit 
moyennant  la  pension  de  six  cents  livres 
par  ans,  que  ladite  Compagnie  luy  a  ac- 
cordée pendant  six  années  à  commencer 
le  i^*"  juillet  de  ladite  année  1752,  et  à  finir 
le  30  juin  1758,  qui  est  justement  le  terme 
que  devoit  durer  son  employ  d'inspecteur 
et  controlleur. 

En  outre  la  ditte  Compagnie  a  expédié 
en  faveur  dudit  sieur  de  Courtilles,  un 
certificat  en  datte  du  14  mars  1752,  por- 
tant sa  déclaration  qu'il  avoit  exercé  pen- 
dant trois  années  le  susdit  employ  avec 
toute  habileté  activité  fidélité  et  probité. 

Dans  la  même  année  1752,  Sa  Majesté, 
par  des  pattentes  du  30  8bre,  a  accordé  à 
Madame  la  baronne  de  Warens  et  audit 
sieur  de  Courtilles  le  privilège  exclusif  de 
ia  recherche  et  excavation   du  charbon  de 


DE    MADAMi:   l)i:  WAREN8  I55 


pierre  et  de  terre,  soit  trouille  (sic;,  dans 
les  provinces  de  Savoyc.  —  Comme  ils 
n'avoienl  pas  les  f(Mids  à  ce  nécessaires, 
ils  ont  associés  M"  La  Courbière  et  Bé- 
rard, de  Genève  qui  ont  entrepris  l'excava- 
tion du  charbon  à  Arraches,  dans  la  pro- 
vince de  Fanci^my,  mais  jusqu'ici  laditte 
entreprise  n'a  pas  produit  l'effet  qu'on  s'c- 
toit  proposé  et  l'excavation  en  est  arrestée. 

Apres  avoir  dctaillc  les  occupations  que 
ledit  sieur  de  Courtilles  a  eu  pendant  l'es- 
pace de  20  ans  qu'il  resta  à  Chambcry,  je 
passe  aux  qualités  personnelles  que  je  lui 
ai  connu  à  la  suitte  de  plusieurs  entretiens 
qu'à  ces  fins  j'ai  eu  avec  lui 

Il  a  de  l'esprit  de  la  vivacité.  Il  marque 
du  goût,  et  quelque  intelligence  en  tout  ce 
qui  ressort  de  l'exploitation  des  mines  et 
l'excavation  du  charbon.  Il  s'énonce  bien. 
Il  parle  un  peu  volontiers  et  même  il  scait 
bien  faire  valoir  tout  ce  qu'il  a  fait.  Bail- 
leurs par  les  connoissances  exactes  que 
j'ai  pris  il  ne  m'est  revenu  rien  d'équivo- 
que ni  sur  sa  conduite  ni  sur  ses  mœurs. 

Il  s'est  marié  il  y  a  quatre   ans  avec  la 


156  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

fille  du  nommé  sieur  Bergonsi  de  la  ville 
de  Moutiers  et  jusqu'ici  heureusement 
pour  lui  il  n'a  point  d'enfans. 

Suivant  les  ordres  de  Sa  Majesté  portés 
par  la  lettre  de  M*"  le  chevalier  Ferraris  du 
...  de  Tannée  dernière,  je  donnai  audit 
sieur  de  Courtilles  la  commission  d'inspec- 
teur aux  réparations  des  chemins  pendant 
l'été  passé  dont  il  s'en  est  bien  acquitté, 
mais  comme  la  pension  de  L.  600  dont  il 
est  fait  mention  ci-dessus  touche  bientôt 
à  sa  fin  il  est  certain  que  cette  inspection 
ne  pourroitpas  lui  fournir  de  quoi  subsis- 
ter puisque  les  travaux  qui  se  font  en  ré- 
paration des  chemins  ne  pourroient  l'oc- 
cuper que  par  intervalle  pendant  l'espace 
de  quatre  ou  cinq  mois  tout  au  plus.  — 
Un  poste  fixe  dont  il  pût  faire  usage  des 
connoissances  acquises  seroit  vraiment  ce 
qui  lui  conviendroit.  —  C'est  aussi  ce  qu'il 
demande  pour  se  procurer  une  subsistance, 
mais  la  Savoye  n'en  fournissant  aucun  à 
présent,  ce  n'est  que  de  là  les  monts  qu'il 
pourroit  l'obtenir,  en  cas  que  Sa  Majesté 
veuille  daigner  le  lui    accorder,   et  l'en- 


DE  MADAMF.    DK  WAKKNS  I57 

couraji^cr  parla  h  persévérer  dans  la  religion 
qu'il  a  embrassée. 

Chambcry  le  i8  xbre  1737. 

Quelques  semaines  après,  les  deux  as- 
sociés envoyaient  encore  la  supplique  sui- 
vante au  Comte  Capris  de  Castcllamont, 
pour  obtenir  l'autorisation  d'afficher  la 
mise  en  vente  des  charbons  qu'ils  avaient 
extraits  de  leur  houillère  d'Arache  : 

REQUÊTE   ET  DÉCRET 

de   la  ci  a  tue    Eléonoie    de    Warrens  de    Lx 
Tour    et  du  sieur  de    Curtilles  four  la 
vente  de  charbons  de  pierre 

Supplie  humblement  dame  Françoise 
Louise  Elconore  de  Warrens  de  La  Tour 
et  le  sieur  Jean  Rodolphe  de  Courtilles  et 
Compagnie  : 

Disant  qu'il  auroit  plu  à  Sa  .Majesté, 
par  ses  pattentes  du  30  8bre  1752,  d'accor- 
der à  ces  deux  premiers  le  privilège  d'ex- 
caveret  faire  excaver  les  minières  de  char- 
bon de  pierre  ou  de  terre,  soit  bouillie 
privativement  à  toute  autre  personne  dans 


158  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

l'étendue  du  duché  de  Savoie,  de  la  ma- 
nière et  aux  conditions  exprimées  par  les- 
dittespattentes,  par  lesquelles  il  est  spéci- 
fié, article  2.  Que  dès  que  les  suppliants 
auroient  fait  la  découverte  desdittes  mi- 
nières ils  seroient  tenus  de  les  dénoncer 
sans  délay  au  seigneur  intendant  général 
en  Savoye  et  de  luy  en  présenter  en  mô- 
me temps  des  échantillons,  pour  être  par 
luy  envoyés  à  Turin  es  mains  du  Chef  du 
Congre  établi  pour  les  minières,  aux  fins 
que  la  reconnoissance  et  Tessay  desdits 
échantillons  soient  faits  dans  l'arsenal  de 
Sa  Majesté. 

Il  est  aussi  porté  par  l'article  3  que  les 
suppliants  feroient  travailler  à  l'excava- 
tion desdittes  minières  de  charbon  avec 
tout  le  bon  ordre  et  règle  de  l'art,  en 
observant  encor  toutes  les  dispositions  et 
instructions  qui  seroient  données  par  le 
seigneur  chevallier  de  Robillant  inspecteur 
général  des  minières  ou  par  qui  seroit  par 
luy  à  ce  proposé. 

Par  l'article  5  il  est  porté  qu'il  sera  fa- 
cultatif aux  suppliants  hors  des  Etats  de 


DE   MADAML:  UK  WAKKN8  I  59 


Sa  Majesté  le  susdit  charbon  après  cepen- 
dant qu'il  en  auroii  clc  entièrement  pour- 
vu à  prix  convenable  au  besoin  de  la  Sa- 
voyc,  des  salines  et  autres  fabriques  et 
fonderies  de  Sa  dite  Majesté,  tant  en  Sa- 
voie qu'aillicurs,  toutes  fois  et  quant  ils 
en  seroient  requis,  à  condition  encor  que 
l'extraction  dudit  charbon  hors  des  Etats 
ne  pourroit  être  faille  sans  en  avoir  préal- 
lablemcnl  concinc  la  quanlilc  audit  sci- 
g-ncur  intendant  général  qui  ordonneroit 
sur  ce,  les  précautions  nécessaires. 

Les  suppliants  ont  faite  entre  autres  ex- 
caver  une  minière  dans  la  paroisse  d'ha- 
rache  sur  Cku;cs  en  Foussigny  et  ont  re- 
mis en  1756  et  1757  à  votre  bureau,  des 
échantillons  et  comme  ils  en  ont  audit 
harache  une  assez  grande  quantité  d'ex- 
traits, pour  pouvoir  les  débiter,  ils  vici:- 
nent  recourir  : 

A  ce  qu'il  vous  plaise,  Monsieur,  en  tant 
que  Sa  Majesté  n'auroit  pas  besoin  dudit 
charbon,  pour  ses  sallines  ou  autres  fa- 
briques et  pour  que  les  suppliants  puis- 
sent extraire  celuy  dont  les  sujets  de  S 


l6o  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

Majesté  n'auront  pas  besoin,  leurs  permet- 
tre de  faire  publier  par  des  affiches  publi- 
ques, dans  les  endroits  qu'il  vous  plaira, 
que  ceux  qui  voudront  s'assortir  dudit 
charbon  aient  à  le  déclarer  à  votre  bureau 
ou  à  ceux  qu'il  vous  plaira,  dans  le  terme 
qui  sera  par  vous  préfîgé  pour  qu'en  con- 
séquence il  vous  plaise  donner  les  disposi- 
tions convenables  pour  l'extration  desdits 
charbons.  Ef  sur  ce,  plaise  pourvoir. 

Signé  M^  Bertier,  procureur. 

Cette  supplique,  qui  fait  partie  des  ti- 
tres déposés  aux  Archives  départemen- 
tales de  la  Savoie,  est  suivie  d'une  ordon- 
nance de  l'Intendant  général  de  la  Savoie, 
faisant  droit  à  la  demande  de  ]\1™^  de 
Warens  : 

T)écret    de  V Intendant  général  sur  la 
présente  requête 

Vu  les  pattentes  accordées  par  Sa  Ma- 
jesté le  trentième  octobre  mil  sept  cent 
cinquante  deux  à  la  dame  Françoise  Loui- 
se Eléonore  de  Warens  de  La  Tour,  con- 


DE    AlADAMi:  DK    WARKNS  l6l 

joiiUcmciU  au  sieur  Jean  Rodolphe  de 
Courlilles,  portant  privilè*:cc  de  la  recher- 
che et  excavation  des  minières  de  char- 
bons de  pierre  et  de  terre,  soit  houille 
dans  toutes  les  provinces  de  Savoie,  priva- 
tivement  à  toute  autre  personne,  moicn- 
nant  les  conditions  et  résci'\'es  y  exprimés. 

Attendu  que  par  l'article  5  desdittes 
pattentes  il  leurs  est  accorde  la  faculté 
d'extraire  hors  des  Etats  de  Savoie  les 
charbons  qu'ils  auront  cxcavés,  après  ce- 
pendant qu'il  aura  été  entièrement  pourvu, 
à  prix  convenable,  aux  besoins  de  la  Sa- 
voie. 

Et  vu  que  ladittc  Dame  et  son  associé 
ont  satisfait  au  contenu  dans  le  second 
article  d'icelles,  portant  dénonciation  des- 
dittes minières  et  remission  des  échantil- 
lons des  charbons  en  provenants,  à  l'in- 
tendant général  de  Savoie  soussigné  ; 

Avant  que  de  permettre  l'extraction 
suppliée  en  la  requête  cy  dessus  ;  Ordon- 
nons que  le  vente  des  charbons  qui  se 
trouve  déjà  excavés  sera  publiée  aux  lieux 
et  manière  accoutumée,  dans  toute  la  pro- 


102  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

vince  de  Foussigny,  eu  égard  que  les  autres 
provinces  de  ce  duché  ne  sont  pas  à  portée 
de  s'en  prévalloir  avec  avantage  ;  que  la  ven- 
te d'iceux  se  fera  à  juste  prix,  lequel  au  be- 
soin sera  môme  déterminé  et  fixé  dans  les 
publications,  par  Monsieur  l'intendant  de 
celle  de  Foucigny,  Graffion,  ainsy  que 
nous  Ton  chargeons;  et  que  ces  charbons 
seront  exposés  et  mis  en  vente  publique, 
pendant  l'espace  de  quinze  jours  consécu- 
tifs, tant  en  gros  qu'en  détail,  en  assignant 
par  les  publications,  les  lieux  et  magasin 
où  elle  se  fera  pendant  le  susdit  terme. 

Déclarons  que  pour  que  les  suppliants 
puissent  vous  faire  contester  (sic;  sans 
doute  faute  de  copiste,  pour  conster),  soit 
de  la  publication  dont  s'agit,  soit  s'il  ne 
se  sera  présenté  aucun  achepteur,  les  res- 
pectifs secrettaires  de  chaque  parroisse,ou 
à  leur  absence  les  chatellains  des  lieux  de- 
vront, en  même  temps  qu'ils  feront  les  pu- 
blications dont  il  est  parlé,  notifier  que 
ceux  qui  voudront  achepter  de  ces  char- 
bons aient  à  se  concigner  à  eux,  affin  que 
dans  le  cas  qu'il  ne   se  présente  aucun 


I)i:    A\AhAMi;   hi:    VVARKNS  163 


achcptcur,  ledits  sccrcllaircs  ou  chalcllains 
soient  à  mcnic  d'en  pouvoir  expédier  leurs 
ccitilicats  en  authentique  forme  ;  lesquels 
de  mcmc  que  ceux  des  publications  nous 
seront  rapportés  avec  le  présent  décret 
pour  être  ensuite  pourvu,  ainsy  qu'il  sera 
reconnu  de  justice. 

Ft  comme  le  présent  décret  doit  être 
rendu  public  dans  toute  la  province  de 
Foussigny,  nous  permettons  au  suppliant 
de  le  faire  imprimer  à  leurs  fraix,  de  mê- 
me que  la  requête  qui  le  précède,  et  les 
affiches  pour  la  vente  dont  s'agit,  par  le 
sieur  imprimeur  du  Roy,  Gorrin. 

A  Chambéry,  au  bureau  de  l'intendance 
générale  de  Savoie,  le  seize  février  mil 
sept  cent  cinquante  huit.  — 

Signé  par  le  seigneur  de  Capris  de  Cas- 
tellamont,  et  par  le  sieur  Beauregard. 

Une  autre  demande,  puisée  au  même 
fonds,  fut  adresr^ée,  en  avril  1758,  au 
comte  Capris  de  Castellamont  parles  deux 
associés,  afin  d'obtenir  Tautorisation  de 
faire  sortir  des  Etats  du  roi,  pour  être 


164  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

transportés  économiquement  à  Genève, 
par  la  rivière  d'Arve,  i  5,000  quintaux  de 
charbon  de  pierre  provenant  de  la  mine 
d'Arache  et  dont  la  vente  n'avait  pu  se 
faire  dans  le  pays  : 

Au  seigneur  Comte  Capris  de  Castellamont 
Intendant    Général  en  Savoie 

Supplie  humblement  dame  Françoise 
Eléonore  de  Warens  de  La  Tour  et  le 
sieur  Jean  Rodolphe  de  Courtille  et  Com- 
pagnie : 

Disant  qu'ensuite  des  privilèges  ac- 
cordés par  Sa  Majesté  aux  deux  premiers, 
par  ses  patentes  du  30  8bre  1752,  ils  au- 
roient  fait  excaver  dans  la  paroisse  d'Ara- 
che  en  Foncigni  une  assez  grande  quan- 
tité de  charbons  de  pierre,  et  comme  par 
l'article  cinq  des  mêmes  patentes,  il  est 
porté  qu'il  sera  facultatif  aux  suppliants 
d'extraire  hors  des  Etats  de  Sa  Majesté 
ledit  charbon,  après  cependant  qu'il  en 
auroit  été  entièrement  pourvu  à  prix  con- 
venable, aux  besoins  de  la  Savoye,  des 
salines  et  des  autres  fabriques  et  fonderies 


DE  MADAME    DE  WAREN8  165 


de  Sa  Majcslc,  lant  en  Savoyc  que  ailleurs, 
toutes  fois  et  quant  ils  en  seroient  requis, 
à  condition  encor  que  l'extraction  desdits 
charbons  hors  des  Ktats  ne  pourroit  être 
faitte  sans  en  avoir  préalablement  concî- 
nné  la  quantité  à  Votre  Seigneurie  qui  or- 
donneroit  sur  ce,  les  précautions  néces- 
saires. 

Les  supplians  qui  ont  actuellement  en- 
viron quinze  mille  quintaux  desdits  char- 
bons d'excavc,  ainsi  que  résulte  du  certi- 
ficat du  Conseil  dudit  Arache,  du  6  de  ce 
mois,  cy  joint  (Le  certificat  manque  dans  le 
registre),  ont  exécutes  ce  qu'il  vous  a  plu 
de  leur  préfiger,  par  votre  décret  du  i6 
février  dernier  en  le  faisant  publier  dans 
toutes  les  paroisses  du  Foucigni  ;  et  com- 
me il  conste  des  certificats  cy  joints  que 
personne  ne  s'est  présenté  pour  en 
acheter,  quoique  le  prix  en  fut  taxé  à  un 
prix  si  modique  qu'à  peine  suffit  il  pour 
l'excavation,  et  qu'ils  peuvent  tirer  un  bé- 
néfice en  le  faisant  passer  à  Genève,  et 
qu'à  terme  desdits  privilèges,  c'est  vous, 
Monsieur,    qui  êtes  commis  pour  en  per- 


l66  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

mettre  Textraction  hors  des  Etats,  et  or- 
donner les  précautions  nécessaires  à  ce 
sujet;  C'est  pour  obtenir  cette  permission 
que  les  supplians  viennent  recourir  : 

A  ce  qu'il  vous  plaise,  Monsieur,  per- 
mettre aux  supplians,  de  faire  conduire  à 
Genève,  ledit  charbon  qui  se  trouve  ex- 
cavé,  et  comme  la  voiture  par  terre  seroit 
si  dispendieuse  que  le  produit  desdits 
charbons  ne  pourroit  pas  suffire  pour 
payer  les  fraix  du  transport,  et  d'excava- 
tion, d'autant  qu'il  leur  coûte  déjà  consi- 
dérablement pour  le  descendre  de  la 
montagne  permettre  aux  supplians  de 
transporter  ledit  charbon  sur  la  rivière 
d'Arve  et  sur  des  battaux  bâtard,  pour  la 
construction  desquels  il  ne  faut  que  très 
peu  de  bois  qui  ne  seront  pris  que  dans 
les  endroits  qui  seront  fixés  par  Monsieur 
l'intendant  du  Foucigni  et  qui  seront 
payés  par  les  supplians  au  prix  qu'il  luy 
plaira  de  fixer  ;  vous  suppliant  de  faire  at- 
tention qu'au  moyen  de  ce,  l'on  fera  en- 
trer dans  le  païs  de  l'argent  d'une  chose 
qui  jusqu'icy  n'a  rien  produit,  et  qui  peut 


Di:    .MADA.ML    DL    NYAKLNS  1 67 


lournir  une  occupation  cl  cnlrciicn  à  nom- 
bre d'ouvriers,  tant  par  l'exlraclion  de  la 
minière  que  pour  descendre  lesdils  char- 
bons depuis  la  monta<jrnc  jusqu'à  ladittc 
rivière,  qui  sera  un  objet  assés  considéra- 
ble. Les  suppliants  étant  prêt  de  se  sou- 
mettre à  toutes  les  précautions  qu'il  vous 
plaira  de  déterminer. 

Signé  :  Bertier 

Cette  requête  fut  suivie  d'une  ordon- 
nance, qui  fait  également  partie  des  titres 
déposés  aux  Archives  départementales  de 
la  Savoie,  par  laquelle  l'Intendant  géné- 
ral permettait  Texportation  des  15,000 
quintaux  de  charbon,  mais  par  voie  de 
terre  seulement  : 

Vu  les  certificats  des  syndic  et  conseil  de 
la  communauté  d'Arachc  du  6  du  courant, 
duquel  il  résulte  que  la  dame  Françoise 
Eléonore  de  Vuarens  de  La  Tour,  et  le 
sieur  Jean  Rodolphe  de  Courtille  et  Com- 
pagnie se  trouvent  avoir  actuellement  en 
fond  la  quantité  de  quinze  mille  quintaux 


l68  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

de  charbons  de  pierre  qu'ils  ont  fait  tirer 
et  excaver  de  la  minière  dudit  Arache  en 
Foucigni. 

Vu  les  déclarations  et  certificats  des 
châtelains  et  secrétaires  de  toutes  les  pa- 
roisses de  la  ditte  province,  portan  que 
lesdits  charbons  excavés  au  lieu  que  des- 
sus ayant  été  exposé  en  vente  publique 
tant  en  gros  qu'en  détail  et  au  prix  fixé 
par  M*"  l'intendant  du  Foucigni  conformé- 
ment à  ce  qui  est  prescrit  par  notre  décret 
du  i6  février  dernier,  personne  ne  s'étoit 
présenté  pour  les  acheter  en  gros  ni  en 
détail. 

Les  supplians  ayant  satisfait  à  ce  qui 
est  porté  par  les  lettres  patentes  du  30 
8bre  1752  que  Sa  Majesté  leur  a  accordé, 
de  même  qu'à  ce  qui  leur  a  été  enjoint  par 
notre  décret  susdésigné,  en  exécution 
d'icelles. 

NOUS  déclarons  que  les  susdits  sup- 
plians sont  dans  le  cas  de  jouir  de  la  li- 
berté accordée  par  lesdittes  patentes  d'ex- 
traire hors  des  Etats  de  Savoye  la  susdit- 
te  quantité  de  charbons  qui  se  trouve  ac- 


DE   MADAME  DE   WARENS  169 

lucllcmciU  cil  fond  audil  Arachc,  cl  en 
conscqucncc  nous  leur  permettons  d'effec- 
tuer ladille  extraction  par  terre  tant  seule- 
ment et  par  les  routes  accoutum<;s,  et 
moyennant  qu'à  mesure  qu'ils  les  extrai- 
ront ils  en  concignent  la  quantité  au  sieur 
receveur  de  la  douane  de  Sa  Majesté  à 
Carouge  ou  autres  receveurs,  sans  aucun 
fraix  des  endroits  où  l'extraction  pourra 
être  faitte  aussi  par  terre,  à  l'effet  de  quoi 
les  supplians  leur  communiqueront  la 
présente  pour  qu'ils  s'y  conforment  et 
tiennent  notte  de  la  quantité  desdits  char- 
bons qui  seront  extraits. 
Chambéry  le  24  avril  1758 

signé  Capris  de  Castellamont 

Cependant,  la  première  Société,  fondée 
par  M"''  de  Warens,  fonctionnait  toujours, 
car  les  Archives  départementales  de  la 
Savoie  possèdent,  à  la  même  époque,  les 
Lettres  patentes  par  lesquelles  le  roi  Char- 
les-Emmanuel III  accordait  l'exemption 
des  droits  d'aubaine  aux  membres  de  la 
Compagnie  des  mines  de  la  haute  Mau- 


lyO  LES  DERNIERES  ANNEES 

rienne  et  à  tous  les  employés  et  ouvriers 
étrangers  qui  y  étaient  attachés.  Ce  docu- 
ment est  surtout  remarquable,  parce  qu'il 
donne  l'état  complet  du  personnel  étran- 
ger de  la  Compagnie  : 

7  Avril  1758 

Lettres  patentes  àe  M'  le  chevalier  Camille 
Perrichon,  de  Lyon. 

Par  ces  lettres-patentes,  le  roi  Charles- 
Enmanuel  III  accorde  l'exemption  du  droit 
d'aubaine  au  chevalier  Camille  Perrichon, 
de  la  ville  de  Lyon,  principal  intéressé 
aux  minières  de  la  Haute-Maurienne,  à 
ses  héritiers  ou  ayant  cause  et  aux  autres 
intéressés  actuels  ou  avenir  dans  la  Com- 
pagnie  ;  ainsi  qu'aux  directeurs,  commis, 
employés  et  ouvriers^  travaillant  actuel- 
lement ou  qui  travailleront  à  l'avenir  pour 
l'avantage  de  ladite  Compagnie,  auxdites 
minières. 

NOTTE  DES  ÉTRANGERS 

actuellement  intéressés,  employés   et  ou- 


DE    iMADAML   DL  WAKLNS  I7I 


vricrs  travaillaiiL  aux  minières  de  la  haute 
Maurienne,  présentée  à  la  Royale  Cham- 
bre des  Comptes, en  conformitc5  des  Lettres 
pattentes  de  Sa  Majesté  du  7  avril  der- 
nier pour  la    1(W  d'aubaine 

Camille  Pcrrichon,  chevalier  de  l'Ordre 
du  Roy,  conseiller  d'Etat  ordinaire, ancien 
prévost  des  marchands  et  commandant  de 
la  ville  de  Lyon,  principal  intéressé. 

François  Perraud  La  Branche, conseiller 
du  Roy  Membre  de  TUniversitc  de  Paris, 
cessîonnaire  et  associé  aux  mines  situées 
dans  la  paroisse  de  Bramans. 

Etienne  Durand,  commis,  natif  de  Mont 
Carrât  en  Dauphiné. 

Thomas  huieling,  natif  de  Fielberg, 
province  de  Deux-Ponts  ; 

Frédéric  Kraous, caporal  mineur,  saxon; 

Godlip  Pennot,  id,   mineur  ; 

Godlip  Vogt,  id  ; 

David  Vogt,  id  ; 

Jean  Repail,  mineur,  Tirolien  ; 

Paul  Tessonster,  id  ; 

Antoine  Bourga,  id  ; 

Jean  Bourga,  id  ; 


172  LES  DERNIERES  ANNEES 

Joseph  Bergner,  id  ; 

Ignace  Berlioz,  id  ; 

Jean  Bessay,  mineur,   Forisien   ; 

Joseph  Canova,  charbonier,  Milanois  ; 

Dominique  Jengana,  id  ; 

Je  soussigné,  Joseph  Thorin,  de  la 
paroisse  de  Chesne,  en  qualité  de  direc- 
teur des  mines  de  la  haute  Maurienne, 
dépendant  de  M.  Perrichon,  déclare  que 
tous  les  susnommés  sont  actuellement 
employés  aux  travaux  desdites  minières. 
En  foy  de  quo}^  j'ai  signé  la  présente 
notte,  par  ordre  dudit  M.  Perrichon. 
Chambéry  le  16  juillet  1758. 

Signé  Thorin,   directeur. 

De  son  côté,  Mme  de  Warens,  pauvre 
au  point  de  ne  pouvoir  disposer  d'un  écu, 
écrivait  encore  au  baron  d'Angeville  : 

Ce  21  septembre  1758  Nezin. 

Monsieur 
Je    n'ay   put    me    résoudre    mon    cher 
Baron,  d'avoir   Ihoneur  de   vous    écrire, 
que  je  neu  enfin  quelque  chose  de  ter- 


DE   AtADAMI.  Di:    WARENS  I73 

mine/,  ccpcndciU  comme  il  faudroils  des 
volume  pour  vous  instruire  par  écri  des 
avantures  quil  mariven,  aux  sujets  de  ma 
peauvre  fabrique  de  terraillies,  qui  me 
douent  pour  le  moins  autcnt  de  peines 
que  le  fameux  d<Miquichotte  de  la  menche, 
en  éprouvât  autre  foy  dens  sa  montagne 
noire,  pour  vous  mètre  tout  a  coup  aux 
fets  de  toutes  ces  choses,  je  prends  la 
resolution  des  que  je  pouray  avoir  un 
ecus  a  ma  dispositions,  de  vous  envoier 
mon  embassadeur,  qui  vous  expliqueras 
le  tout,  et  vous  vairez  mon  très  cher 
Baron  par  preuve,  que  bien  loins  que 
votre  stille  sinseire  mèloigne  de  vous,  que 
je  vous  suis  sinseirement  atachees  pour  le 
reste  de  ma  vie  et  vous  en  vairez  des 
preuvent,  lorsque  mon  embassadeur  auras 
Ihoneur  de  vous  faire  sa  reverance  ce  qui 
seras  le  plus  tôt  quil  me  seras  possible, 
par  la  raison  que  je  vous  ait  expliques  cy 
dessus  prenez  un  moment  de  patience,  je 
vous  prie,  et  conservez  moy  vôtre  chère 
amitié,  ne  doutes  james  de  la  sinserites 
de  la  mienes  et  me  croire    jusques    aux 


174  LES  DERNIERES   ANNEES 


trépas   avec   un  entier  dévouements  et  la 
plus  respectueuse  considérations 

Monsieur  et  très  cher  Baron 
Votre  très  humble  et  très  obeisscnte 

servante 
La  Barone  De  Warens  De  La  Tour. 
Chambery 
ce  2  1  7bre 

1758 
M""  Danel  vous  présente  ces  très    hum- 
bles obeissence  et  remersiements  de  Iho- 
neur  de  votre  souvenir. 

En  publiant  ce  document  dans  sa  Note 
sur  Madame  de  Warens,  Jacques  Replat 
fait  remarquer  que  cette  lettre  a,  comme 
suscription,  la  même  adresse  que  celle  du 
15  octobre  1756;  il  ajoute.  ((  Celte  fois, 
madame  de  Warens  n'a  pas  scellé  de  son 
cachet  aristocratique,  de  son  grand  ca- 
chet d'homme-d'affaires  ;  mais  elle  a 
mis  un  tout  petit  cachet  qui  représente 
un  discret  amour,  le  doigt  sur  la  bouche, 
et  entouré  de  cette  devise  :  Muto  non  sicco 
(muet,  mais  toujours  tendre). 


1)1     A\AI>\^\I.     1)1.    WAlUùNS  175 

((  Au  bas  de  la  Ictlic  du  15  octobre  1756 
cl  de  celle  de  21  septembre  1758,  où  do- 
minent les  sentiments  religieux  et  graves, 
ce  petit  cachet  avec  sa  devise  ne  complète- 
l-il  pas  nuuhiinc  de  ^\^lrc^s  >  11  montre 
bien  ce  qu'elle  ctail  :  à  la  fois  pieuse  et 
légère.  El  ce  cachet  mignon  n'est-il  pas 
un  argument  pour  ncUrc  adage  de  tout  à 
l'heure  :  a  La  vieillesse  n'est  permise 
qu'aux  hommes  >  )) 

Replat  fait  ensuite,  au  sujet  du  post- 
scriptum  de  la  IcUrc  du  21  septembre 
1758,  une  série  de  conjectures, sans  portée 
depuis  la  publication  que  fit  M.  de  Saint- 
Genis.  en  1S69,  dans  son  Histoire  de 
Savoie,  de  l 'acte mortuaire  de  Claude  Anet, 
enterré  à  Chambéry  le  14  mars  1734. 
Dans  son  livre  Les  C h. innettes,  Arsène 
lîoussaye  cite  en  note,  page  264,  un  bil- 
let sans  date  de  Mme  de  Warens  ((  qui 
prouve,  dit  le  spirituel  écrivain,  une  fois 
de  plus  sa  folie  pour  les  simples  »  : 

Cy  Monsieur  le  Baron  vouloit  ce  don- 


176  LES  DERNIERES  ANNEES 

ncr  la  peine  de  livrer  une  copie  de  ce 
manuscrit  pendant  un  jour  que  M.  Danel 
aura  l'honneur  de  rester  au  près  du  luy  ; 
et  de  sinformer  a  Annecy  combien  il  en 
couterois  pour  en  faire  imprimer  deux 
cent  exemplaire  en  bon  caractère  de  saint- 
ogustin  et  bon  papie,  je  lui  serois  fort 
oblige  de  mendoner  réponse  ;  je  trouve 
que  cela  conviendrois  bien  mieu  d'être 
donez  aux  public  que  les  orviétan  et  il 
y  aurois  plus  d'honneur  et  de  profit  à  ce 
remède,  que  je  recommande  à  la  protec- 
tion de  mon  sieur  le  baron  Daneville  et 
il  obligeras  sa  très  humble  servante, 

La  baronne  De  Warens  De  La  Tour. 


Ces  quelques  lignes  paraissent  complé- 
ter la  missive  du  21  septembre  1758,  par 
l'exécution  de  la  promesse  que  la  baronne 
y  avait  faite,  au  destinataire,  de  lui  envoyer 
son  embassadeur.  Quoi  qu'il  en  soit, Mme 
de  Warens  écrivait  encore,  dès  les  pre- 
miers jours  de  Tannée  suivante,  à  son 
créancier  d'Annecy  : 


DE   MADAME  DE  WAREN8  I77 


cA  tMonsi'cur  [Monsieur  'Dr  Lambert^  baron 
d'cAtii^^cvillc,  à   La  Caille  près  ci* ^Annecy 
A  La  Caille. 
Ce  20''  janvier  1759.  Nezin. 
Monsieur, 
Serait-il  possible,  mon  cher  baron,  que 
vous  eussiez  le  courage  de  continuer  votre 
silence  dans  cette  nouvelle  année  >  Je  vous 
ai  offert  mes  vœux  les  plus  sincères  [à  V] 
occasion  des  saintes  fêtes  de  Noël  ;  je  vous 
les  réitère  dans  ce   renouvellement  d'an- 
née, priant  Dieu  qu'il  lui  plaise  vous  l'ac- 
corder des  plus  heureuses,    avec    grand 
nombre  d'autres  comblées  de  toutes  sortes 
de  bénédictions,  et  que,  dans  tout  le  cours 
de  vos  prospérités,  que  vous  ayez  la  bonté 
de    ne   pas  oublier  entièrement  la  pauvre 
veuve  qui  prie  Dieu  tous  les  jours  pour 
vous.   Soyez-en,   je  vous  prie,  bien   per- 
suadé,  de  môme  que  du  parfait  attache- 
ment et  du  respect  avec  lequel  j'ai  l'hon- 
neur d'être 

Monsieur  et  très-cher  baron 

Votre  très  humble 
et  très  obéissante  servante 
La  baronne  De  Warens  De  La  Tour. 


178  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

Le  pauvre  M'  Dancl  est  comme  moi  très 
en  peine  de  votre  silence  ;  il  vous  prie  de 
vouloir  agréer  son  plus  profond  respect.» 

L'original  de  cette  lettre  est  à  la  Biblio- 
thèque de  Genève  ;  en  la  publiant  dans  sa 
remarquable  étude,  Jean-Jacques  Rous- 
seau et  Madame  de  Warens  ;  notes  sur  leur 
séjour  à  Annecy  d'après  des  pièces  inédites, 
Théophile  Dufour  a  dit  fort  judicieuse- 
ment :  ((  Elle  offre,  comme  la  missive  du 
21  septembre  1758,  un  post-scriptum  qui 
mentionne  le  pauvre  ?i/.  T>anel.  Replat  (qui 
écrivait  en  1855)  a  pris  ce  personnage 
pour  Claude  Anet,  dont  on  n'avait  pas, 
encore,  retrouvé  l'acte  de  décès,  comme 
si  Jean-Jacques  avait  pu  inventer  de  toutes 
pièces  le  récit  de  la  mort  de  l'herboriste  ! 
En  réalité,  Mme  de  Warens,  qui  avait 
perdu  Claude  Anet  en  1734,  a  eu  à  son 
service,  plus  de  vingt  ans  après,  en  1758 
et  1759,  un  sieur  Danel.  Est-ce  toujours 
le  secrétaire  qui,  le  15  octobre  1756,  se 
mourait  d'un  abcès  dans  la  poitrine  et 
venait  de  recevoir   tous   ses   sacrements  ? 


DE  MADAME  DE  WAREN8  I79 


Est-ce  son  successeur  }  Je  l'ignore,  mais 
une  chose  paraît  certaine  :  c'est  en  allant 
aii\  informations,  vers  1785,  auprès  des 
vieillards  qui  avaient  connu  Mme  de 
Warens  et  son  intérieur,  que  le  médecin 
Doppet  aura  appris  l'existence  de  ce  Da- 
nel,  dont  on  pouvait  fort  bien  se  souvenir, 
surtout  s'il  a\ait  vraiment  survécu  à  sa 
maîtresse,  et,  c'est  grâce  à  la  ressemblan- 
ce fortuite  de  ces  deux  noms,  Ajict  et  ©j- 
iicl,  qu'il  a  pu  échafauder  ses  romans,  les 
(Mémoires  de  (Mme  de  Warens,  les  tMé- 
vioires  de  Claude  cAnet,  les  Méjiioires  du 
chevalier  de  Courtille,  ces  absurdes  et 
plates  supercheries  qu'on  s'étonne  de  voir 
encore  citées  de  nos  jours.  )) 

Cependant,  les  démarches  que  Wint- 
zenried  et  Mme  Warens  avaient  commen- 
cées, au  printemps  de  1758,  pour  l'écou- 
lement à  Genève  du  charbon  provenant 
de  leur  mine  d'Arache,  —  lesquelles 
avaient  abouti  à  la  permission  d'exporter 
15000  quintaux,  mais  par  voie  de  terre 
seulement,  —  semblaient  entrer  dans  une 


l80  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

phase  décisive.  En  effet,  le  Registre  copie 
des  lettres  de  l'Intendance  Générale  de  Sa- 
voie-Genevois, années  17 59- 1760,  conser- 
vé aux  Archives  départementales  de  la 
Haute-Savoie,  contient  le  document  sui- 
vant : 

U Intendant  Général,    SV/^"   Joseph    Capris, 
comte  de  Castellamont  à  (M,  Passier,  In- 
tendant à  Annecy, 

—  Du  9  juillet  1759  — 

Madame  la  baronne  de  Vuarens  de  La 
Tour  ayant  supplié  S .  M .  de  lui  accorder  la 
permission  de  faire  descendre  par  la  rivière 
d'Arve  jusqu'à  Genève  six  à  sept  radeaux 
chaque  année  pour  le  transport  à  la  dite 
ville,  du  charbon  qu'elle  fait  exploiter  à 
Araches.  Il  m'est  nécessaire  de  savoir  si 
ces  radeaux  pourront  flotter  sans  que  l'on 
ait  à  faire  des  ouvrages  où  sur  les  bords 
où  dans  les  fonds,  et  en  quoi  ils  peuvent 
consister  et  qu'elle  en  seroit  la  dépense. 
Comme  S.  M.  avant  de  se  déterminer  à 
accorder  la  permission   dont  Elle   a   été 


DE  MADA.MF  UF.  WARKNS  l8l 

supplice,  veut  cire  (îclaircc  sur  ces  faits. 
Je  m'adresse  à  vous,  M',  qui  connaissez  la 
dite  rivière  et  savez  les  clTcts  que  peut 
faire  le  flottement  des  radeaux  en  vous 
priant  de  me  procurer  au  plus  tôt  possible 
tous  les  éclaircissements  dont  s'agit , 
accompagnés  de  toutes  vos  rcflections  sur 
cette  affaire  qui  ne  saurait  être  plus  déli- 
cate. J'ai  l'honneur  etc. 

La  mcmc  registre  contient  aussi  la  ré- 
ponse que  fit    l'Intendant  : 

Monsieur 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer. 
Monsieur,  avec  ma  lettre  du  i^*"  octobre 
1756,  un  mémoire  assez  étendu  au  sujet 
d'une  demande  de  M*"  le  Baron  de  Vallé- 
rieux,  à  peu  près  de  même  nature  que 
celle  que  Madame  la  Baronne  de  Warens 
De  La  Tour  fait  aujourd'huy  à  S.  M., et  je 
crois  que  les  notices,  qu'il  renferme  pour- 
ront suffire  pour  vous  mettre  en  état  de 
donner  votre  avis  sur  la  requête  de  cette 
Dame.    Vous     observerés  en   particulier 


l82  LES  DERNIÈRES  ANNÉES 

que  les  radeaux,  pour  lesquels  elle  de- 
mande la  permission,  n'exigent  aucun 
ouvrage  à  faire  sur  les  bords  de  la  rivière 
d'Arve  ;  puisque  non  seulement  le  S""  Sad- 
det  y  en  a  fait  flotter  depuis  la  paroisse 
d'Arenthon  ;  mais  qu'il  en  est  encore  venu 
clandestinement  il  y  a  quelques  années 
depuis  le  Haut-Faucigny  jusques  à  Genève 
sur  cette  rivière. 

Ce  qui  établit  sans  réplique  la  possibi- 
lité du  flottement  de  ces  radeaux,  bien  loin 
de  porter  aucun  préjudice  à  qui  que  ce  soit, 
servent  au  contraire  à  rendre  les  rivières 
insensiblement  navigables,  et  à  prévenir 
les  dégâts, qui  suivent  ordinairement  leurs 
excrescences  causées  par  la  fonte  des  neiges 
et  de  grandes  pluyes.  En  ce  que  ces  ra- 
deaux, en  heurtant  contre  les  bancs  de 
sable,  donnent  lieu  aux  cours  de  l'eau  de 
s'y  insinuer  ;  et  par  conséquent  d'en  dé- 
barrasser le  lit  de  ces  mêmes  rivières. 

Si  cependant  vous  souhaitiés  quelques 
informations  ultérieures  sur  cette  matière, 
Je  me  ferai  un  plaisir,  et  un  devoir  de  vous 
les  communiquer  aussitôt. 


1)K   MADAME  DE  WAREN8  183 

Votre  1res  humble  et  trcs  obéissant 
serviteur 

Dl  Passier 

Annecy  ce  lo  Juillet  1759 
M*"  Le  Comte  Capris  De  Cam  llla.mo.nt 
Chambéry 

M"'^  de  Warcns  descendait  alors  les 
derniers  échelons  de  la  misère.  L'hist')irc 
en  a  la  preuve  dans  le  document  suivant 
reproduit,  mais  en  anglais,  dans  le  remar- 
quable ouvrage  de  Bayle  St-John  :  The 
subalpine  Kingdom. 

En  traduisant  le  IIî'  chapitre  du  pre- 
mier volume  de  cet  ouvrage,  la  Revue 
britannique  de  juin  1856,  huitième  série, 
i'"''  année,  donne,  aux  pages  381  et  382, 
avec  les  réflexions  de  Fauteur  cité, la  subs- 
tance, d'après  le  texte  anglais,  de  cette 
lettre,  datée  du  10  mars  1760  :  ((  On  y  voit 
Mme  de  Warens,  réduite  à  la  plus  triste 
condition,  cherchant  à  vendre  l'influence 
qu'elle  possède  sur  quelques  personnages 
puissants.  Nous  ne  savons  à  qui  elle  est 
adressée.   )) 


184  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

Monsieur,  suivant  le  mandat  que  vous 
m'avez  donné  de  rechercher  les  titres  dont 
vous  avez  besoin  pour  obtenir,  au  profit 
de  votre  Compagnie,  une  solution  favo- 
rable dans  l'affaire  Lalement,  j'ai  décou- 
vert, grâce  à  l'aide  de  mes  patrons,  un 
moyen  assuré  de  me  procurer  en  original 
la  pièce  que  vous  savez,  si  toutefois  elle 
existe  encore  dans  les  bureaux  du  minis- 
tère espagnol.  Si  l'on  ne  parvenait  pas  à 
la  découvrir,  nous  obtiendrions  de  l'infant 
D.  Philippe  un  ordre  pour  le  marquis  de 
Lancerade,  ou  l'intendant  Deville,  lesquels 
fourniraient  une  déclaration  authentique 
certifiant  que  le  document  a  existé  à  la 
date  mentionnée  dans  le  mémoire  que 
vous  m'avez  remis.  Voilà  ce  que  je  suis 
prête  à  faire  pour  vous,  moyennant  que 
vous  me  procuriez,  par  le  moyen  de  vos 
associés  de  Lyon,  une  somme  de  vingt  à 
vingt-cinq  louis,  devant  servir  aux  dé- 
penses indispensables.  Je  vous  rendrai 
compte  de  l'emploi  de  cette  somme.  Vous 
savez  que  vous  pouvez  vous  fier  à  moi, 
ma  conduite  et  ma  probité  vous  sont  assez 


DE    MADAME    DE    WARENS  185 


connues,  ainsi  que  mon  zèle  pour  votre 
service.  Si  vous  voulez  que  nous  réussis- 
sions, il  se  faut  hâter,  la  personne  qui  doit 
agir  se  trouvant  sur  le  point  de  se  rendre 
auprès  de  l'infant,  etc.,  etc. 

Quant  à  la  récompense  que  vous 

m'avez  promise  en  cas  de  succès,  je  compte 
bien  que  vous  tiendrez  votre  parole.  Je 
ferai  tout  au  monde  pour  mener  l'affaire 
à  bien.  Mais  si  vous  ne  m'envoyez  pas  im- 
médiatement le  petit  secours  que  je  vous 
demande,  rien  ne  peut  réussir.  Rien  ne 
sort  de  rien. 

La  baronne  de  Warens  de  La  Tour. 

((  Le  sentiment  d'une  nécessité  pres- 
sante a  pu  seul  dicter  ces  lignes,  qui  sans 
doute  furent  écrites  la  rougeur  au  front», 
ajoute  Bayle  St-John.  Cet  écrivain,  s'ex- 
primant  il  y  a  près  de  trente-cinq  ans, 
formulait,  dès  lors,  un  jugement  remar- 
quablement pondéré  sur  la  baronne,  dans 
l'ensemble  du  IIP  chapitre,  qu'il  lui  con- 
sacrait, au  premier  volume  de  son  ouvrage, 
auquel  tout  critique,  s'intéressant  à  Jean- 


l86  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

Jacques,  devra  toujours  se  reporter  quel- 
que peu,  pour  échapper  aux  absurdes 
déductions  du  rigorisme  puritain. 

Cependant  il  était  écrit  que  Mme  de 
Warens  ne  sortirait  jamais  de  l'engrenage 
des  affaires.  Le  croirait-on  >  peu  de  temps 
après  avoir  commis  la  lettre  du  lo  mars 
1760,  la  baronne  rachète,  d'un  sieur  Char- 
don, une  part  d'associé  dans  ses  entre- 
prises et  abandonne,  en  paiement,  des 
quartiers  de  la  pension  que  lui  faisait  le 
roi  de  Sardaigne  !  L'acte  figure,  en  ces 
termes,  au  2^*^  volume  de  1760,  folio  173, 
des  registres  du  Tabellion  de  Chambéry  : 

RETROCESSION 
pour   la   dame  baronne   de    Warens  de  La 
Tour,  par  le  sieur  cAntoine  Chardon,  né, 
bourgeois,     et     habitant    de    Chambéry, 
portant  la  somme  de  L.  11  jg.   18.  2. 

L'an  mille  sept  cent  soixante,  et  le  vingt 
huict  du  moisde  may,à  Chambéry,  à  deux 
heures  après  midy,  au  feaubourg  de 
Nezin,  dans  la  maison  ou  habite  la  dame 
baronne  de  Warens  de  La  Tour  :    parde- 


nn    MADAMR    DK   WARENS  187 


vaiU    mni   noUairc  royal  collcgié  soussi- 
gné, et  présents  les  témoins  bas  nommés, 
s'est    en    personne   établi    et   constitué  le 
sieur  Antoine  fils  à  feu    humbcrt  Char- 
don, ne,   bour^^eois  et  habitant  de  la  pré- 
sente ville  ;  lequel  de  gré  pour  luy  et  les 
siens,  recède,  quitte,  remet,  transporte,  et 
rétrocède  à  dame  Françoise  Louise  Eléo- 
nore,  fille   de  feu   noble  Jean  Baptiste  de 
La  Tour,  baron  d'empire,  épouse   de  feu 
Isaac    Sebastien   de    Warens,    native   de 
Vevay  païs  de  veau  en  Suisse  canton  de 
Berne,     habitante     dudit    Chambéry,    ici 
présente   et  acceptante    pour    elle  et   les 
siens,  à  scavoir  généralement  tous  les  mê- 
mes   droits    et   prérogatives    qui    luy  ont 
été  faittes,  et  au   sieur  Claude  Vidal  son 
associé   par    feu    spectable  Jean  Charles 
Perrin,  par   contract   passé   entre   eux  le 
septième  aoust  mille  sept  cent  cinquante 
sept,  receu  par  je  nottaire  soussigné,  icel- 
lui  dérivant  d'un  autre  contract  portant 
département   en    faveur   de    ladite    dame 
baronne  de  Warens,   par  ledit  feu  sieur 
Perrin,  du  huictième  mars  mille  sept  cent 


l88  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

cinquante  quatre,  receu  de  même  par  ]é 
dis  nottaire  soussigné,  à  la  teneur  des- 
quels les  parties  se  raportent  pour  la  gé- 
néralité des  choses  rétroceddées,  tout 
comme  si  par  le  présent  ils  étoient  répé- 
tés de  mot  à  mot,  et  sous  les  mômes  clau- 
ses y  contenues,  ceddant  le  dit  sieur 
Chardon  par  exprès  à  la  ditte  dame 
baronne  de  Warens  toutes  antériorités  de 
dattes,  primauté  d'hypothèque,  nature, 
privillège  de  créances  et  clauses  de  cons- 
titut  dérivants  d'yceux,  La  met  et  subro- 
ge en  son  propre  lieu,  droit,  et  place,  la 
constitue  pour  sa  procuratrice  spéciale  et 
générale,  avec  pouvoir  de  constituer  et 
substituer,  sous  toute  due  élection  de  do- 
micile, tant  pour  agir  que  pour  exciper, 
ainsi  et  comme  elle  verra  à  faire,  néan- 
moins contre  tous  autres,  que  contre  le 
dit  ceddant,  le  présent  transport,  et  rétro- 
cession faitte  de  la  part  dudit  sieur  ced- 
dant à  laditte  dame  baronne  de  Warens, 
pour,  et  moyenant  le  prix,  et  somme 
d'onze  cent  septante  neuf  livres  dix  huict 
sols  deux  deniers,  eue  et  reçue  réellement 


DE  MADAME  DE  WAREN8  189 


ladillc  somme  par  Icclil  siciir  Chardon,  en 
la  remission  que  luy  a  fait  ladilte  dame 
baronne  de  Warcns,  de  partie  de  ses 
quartiers  à  prendre  sur  la  thrésorerie  gé- 
nérale de  cette  ville,  provenant  de  la  pen- 
sion via<^^àre  que  Sa  Majesté  luy  a  fait, 
jusques  à  concurrance  de  laditte  somme 
d'onze  cent  septante  neuf  li\  res  dix  huict 
sols  deux  deniers,  et  suivant  le  compte 
amiablement  fait  entre  lesdittes  parties, 
en  la  présence  dudit  Vidal  associé  pour 
lors  dudit  sieur  Chardon,  ainsi  qu'icclles 
parties  le  déclarent,  en  présence  de  moi 
ditnottaire,  et  témoins,  icellui  compte  ar- 
retté  sous  la  datte  du  dix  neuf  mars  mille 
sept  cent  cinquante  huict,  à  laquelle  som- 
me d'onze  cent  septante  neuf  livres  dix 
huict  sols  deux  deniers,  le  capital  et  inté- 
rêts, de  même  que  la  facture  du  contract 
du  septième  aoust  mille  sept  cent  cin- 
quante sept  a  été  réduit,  jusqu'à  ce  jour  ; 
et  comme  bien  content,  et  satisfait  ledit 
sieur  Chardon,  tant  à  son  nom  qu'au 
nom  dudit  sieur  Vidal  d'ici  absent,  en 
quitte  et  libère  laditte  dame  baronne  de 


igO  LES  DERNIERES  ANNEES 

Warens,  avec  promesse  de  n'en  plus  ja- 
mais rien  demander  ny  rechercher,  en 
jugement  ny  dehors,  aux  peines  que  cy 
après,  et  en  signe  de  vrai  acquittement  et 
libération,  ledit  sieur  Chardon  a  manuel- 
lement remis  à  laditte  dame  baronne  de 
Warens,  les  sus  indiqués  contracts,  sur 
lesquels  il  a  été  annotté  par  moi  dit  not- 
taire  soussigné,  qu'au  moyen  du  présent 
ils  se  trouvent  duement  solvittés,  et  ce 
ont  fait  lesdittes  parties  par  mutuelle  et 
réciproque  stipulation  et  acceptation,  ont 
promis  et  promettent  inviolablement  exé- 
cuter le  présent,  ny  d'y  venir  au  contraire, 
directement  ny  indirectement,  aux  peines 
respectives  de  tous  dépens,  dommages, 
intérêts,  à  l'obligation  réciproque  de  tous 
et  un  chacun  leurs  biens  présents  et 
avenirs,  avec  constitution  d'yceux,  et  au- 
tres clauses  requises  de  droit,  fait,  et  pro- 
noncé audit  lieu,  les  an,  jour,  et  heure  que 
dessus,  en  présence  de  M^  Louis  Sognoz, 
procureur  au  sénat,  et  de  M^  Jean  Danel, 
tous  deux  habitants  de  la  présente  ville, 
témoins    requis,    lesquels    avec    lesdittes 


DE   MADAME  DE   ^ARENS  I9I 


parties  ont  sij^^ncs  sur  la  niinuttc  de  je  not- 
tairc  soussigné,  de  ce  recevant  requis, 
contenant  le  pressent  et  par  moi  écrit,  y 
compris  mon  verbal,  et  sii^niature  deux 
payées  et  demi,  que  j'ai  levé  pour  le  tabel- 
lion, après  due  collation  faittc  sur  madit- 
te  minuUe. 

Signé  Cagnon,  notaire. 

Il  y  a  plus  fort.  L'année  suivante  Mme 
de  Warcns  passait  un  nouvel  acte  par  le- 
quel noble  de  Courtilles  lui  vendait  tous 
les  droits  résultant,  pour  lui,  des  privilèges 
qui  leur  avaient  été  accordés,  conjointe- 
ment, dans  les  Patentes  royales  du  30 
octobre  1752.  Wintzenried  cédait,  en 
outre,  tout  ce  qui  pouvait  lui  revenir  ou 
lui  être  dû,  comme  actionnaire  de  la  so- 
ciété qu'ils  avaient  formée  pour  Texploi- 
tation  de  leurs  privilèges.  Pour  prix  de 
cette  cession  complète,  Mme  de  Warens 
fromettait  de  payer  1,355  livres,  par 
annuités  de  150  1.,  à  prendre,  à  partir 
du   23   avTil  1762,  sur  la  pension  qui  lui 


192  LES  DERNIERES  ANNEES 


avait  ctc  Icguéc  par  Mgr  de  Rossillon  de 
Bernex,  et,  d'autre  part,  par  un  verse- 
ment annuel  de  100  livres.  Le  sieur  de 
Courtilles  abandonnait  ce  qui  pouvait  lui 
être  dû,  pour  avoir  dirigé  les  travaux  de 
mines,  en  Tarentaise,  du  28  octobre  1753 
au  24  juillet  1754  ;  il  remettait  ses  comp- 
tes de  recettes  et  dépenses,  ainsi  que  le 
Livre  des  délibérations  de  la  Société^  tenu 
par  lui.  Voici  l'acte  probant,  tel  qu'il  est 
inséré,  folio  182,  au  deuxième  volume, 
année  1761,  des  registres  du  Tabellion  de 
Chambéry  : 

VENTE 

en  faveur  de  dame  Françoise  Louise  Eléo- 

nore  de  Latour,  baronne  de  Ware?is,  par 

noble  Jean    Samuel  Rodolphe    Wintzin- 

dried  de  Cour  tille  portant  en  capital  la 

somme  de  L.  /J55. 

L'an  mille  sept  cent  soixante  un,  et  le 
huictième  may,  à  Chambéry,  au  feaubourg 
de  Nezin  de  la  présente  ville,  dans  la  mai- 


Uh    AiAi>A.MK    hL    WAKEN8  I93 


son  criKihilali< 'Il  iIl  la  daine  baronne  de 
Waien.s,  mit  les  trois  heures  après  midy, 
pardevaiU  moi  notaire  royal  coUé^né 
soussigné,  et  présents  les  témoins  bas 
nommés,  s'est  pers(Miii(:llcniciU  établi,  et 
eonsiituc  noble  Jean  Sanuicl  Rodolphe 
de  Courtille,  natif  de  Courtillcs,  païs  de 
Veaux,  canton  de  Hcrne  en  Suisse,  rési- 
dant en  la  présente  \illc,  lequel  de  gré, 
pour  lui  et  les  siens,  vend,  cedde,  quitte, 
remet,  transporte,  et  abandonne,  pure- 
ment et  simplement,  de  la  meilleure  ma- 
nière que  faire  se  peut,  de  droit,  à  laditte 
dame  Françoise  Louise  Eléonore,  fille  de 
feu  noble  Jean-Baptiste  de  La  Tour,  ba- 
ronne de  Warcns.  native  de  \''cvay  en 
Suisse,  aussi  résidente  de  cette  ville,  icy 
présente  et  acceptante,  pour  elle  et  les 
siens,  à  sçavoir  tout  le  droit  appartenant 
audit  noble  vendeur  en  conséquence  des 
privillèges  par  lui  obtenus,  conjointement 
avec  laditte  dame  achepteuse,  concernant 
la  recherche,  et  excavation  des  minières 
de  charbon  de  pierre,  de  terre,  soit  houl- 
lie,  rière  toutes  les  provinces  de  Savoye, 


194  LES  DERNIERES  ANNEES 

comme  se  voit  des  privillcges  à  eux  accor- 
dés par  Sa  Majesté  le  Roy  de  Sardaigne, 
s'ous  la  datte  du  trente  octobre  mille  sept 
cent  cinquante  deux,  en  un  mot  ledit  no- 
ble vendeur  vend,  cedde,  remet,  quitte, 
trans  porte,  abandonne  et  relâche  à  laditte 
dame  baronne  de  Warens,  la  généralité  de 
tous  ces  mêmes  droits,  en  quoy  qu'ils 
consistent,  et  puissent  consister,  portés 
par  contract  qu'il  a  passé  le  onzième  dé- 
cembre mille  sept  cent  cinquante  cinq  Da- 
viet  notaire  avec  le  sieur  Simon  fils  de  sieur 
Pierre  Bérard  de  Genève,  agissant  tant  à 
son  nom,  qu'à  cellui  desdits  sieurs  Pierre 
Bérard  et  fils,  voulant  lesdittes  parties,  et 
entendant  que  ledit  contract  fasse  corps 
au  présent,  tout  comme  si  son  contenu 
étoit  répété  de  mot  à  mot  au  sujet  de  la- 
ditte vente,  cession  et  relâchement  des 
droits  cy  dessus  ceddés,  eu  égard  que 
ledit  sieur  Bérard  ne  s'est  exécuté  dans  le 
tems  en  ce  qui  pouvoit  le  concerner,  a 
teneur  dudit  contract,  et  en  outre  ledit 
noble  de  Cortilles,  vend,  cedde  quitte  et 
remet  à  ladite  dame,  tous  droits  et  fonds 


UK   AULiAMK  bK  WAUbNS  I95 

a  lui  appartenants  clans  ladittc  compagnie, 
sans  s'y  rien  rcscivcr,  ainsi  et  de  la  même 
manière  qu'est  stipulé  dans  le  susdésigné 
contract  de  vcntc,dc  même  que  tout  ce  qui 
peut  lui  cire  dcuh,  à  Icncontre  de  laditte 
compagnie,  suivant  l'état  de  receple  et 
dépenses  qu'il  a  faittes  par  la  recherche  et 
excavation  dcsdittcs  mines  de  charbon  en 
Tarcnlaise,  commencé  le  vingt  huit  octo- 
bre mille  sept  cent  cent  cinquante  trois, 
et  qui  a  finit  au  vingt  quatre  juUict  mille 
sept  cent  cinquante  quatre,  lesquels  comp- 
tes de  receptc  et  dépenses  ont  étés  approu- 
vés et  signés,  le  onzième  décembre  mille 
sept  cent  cinquante  cinq,  par  la  dittc  dame 
baronne  de  Warens,  et  par  lesdits  sieurs 
Pierre  Bérard,  et  fils,  at  lesquels  comptes 
le  dit  noble  de  Courtilles  et  manuellement 
remis  à  ladite  dame  baronne  de  Warens, 
au  vu  de  moi  notaire  et  témoins,  de  môme 
que  le  livre  de  délibérations  par  lui  tenu, 
concernant  la  société  contractée  entre  eux, 
occasion  desdittes  minières,  ensemble  les 
origmaux  des  privillège.s  accordés  par  Sa 
Majesté,  avec  encore  le  susdit  contract  de 


IQÔ  LES   DERNIÈRES  ANNÉES 

vente  fait  audit  Bérard,  le  onze  décembre 
mille  sept  cent  cinquante  cinq  Daviet 
notaire,  de  tous  lesquels  droits  laditte 
dame  pourra  en  exciper,  et  exp. . . .  contre 
qui  elle  verra  à  faire  desdits  associés, 
néamoins  contre  tous  autres,  que  contre 
son  cédant,  ledit  noble  de  Courtilles  met- 
tant et  coUoquant  laditte  dame,  en  son 
proprie  lieu,  droit,  et  place,  la  constituant 
pour  sa  procuratrice  spéciale  et  générale, 
avec  pouvoir  de  constituer,  et  substituer, 
sous  due  élection  de  domicile,  et  sans 
dérogation  à  la  cession  cy  devant,  la  pré- 
sente vente,  cession,  relâchement,  trans- 
port et  abandon,  fait  pour  et  moyenant  le 
prix  et  somme  de  treize  cent  cinquante 
cinq  livres,  que  laditte  dame  promet  payer 
audit  sieur  decourtilles,  comme  sera  cy- 
après  expliqué,  premièrement  en  l'assi- 
gnation de  la  somme  de  cent  cinquante 
livres,  qu^elle  luy  donne  à  prendre  chaque 
année,  envers  le  fermier  du  seigneur 
doyen  de  Mont  St  Jean  pour  une  pention 
viagère  à  elle  due,  et  léguée  par  monsieur 
de  Ro  %  illon  de  Bernex,  évèque,  et  prince 


UK    A\ADA.Mi:    hi:  WARKNS  I97 

de  Cjcnèvc,  affcclcc  sur  la  terre  de  Sallon- 
^c,  à  commencer  le  i^iemier  payement,  le 
vin«xt  tr(»is  avril  mille  sept  cent  soixante 
deux,  cl  cil  la  promesse  c]iie  fait  encore 
laditte  dame  audit  noble  decourtilles  de 
luy  compter  aussi  chaque  année  la  somme 
de  cent  livres  de  Savoye,  dont  le  premier 
payement  écherra  aussi  le  susdit  jour 
vingt  trois  avril  de  Tannée  prochaine,  et 
répartitement  d'année  en  année,  jusqu'à 
extinction  et  (niai  payement  de  la  ditlc 
somme  de  treize  cent  cinquante  cinq  livres, 
néanmoins  sans  intérest  pendant  tout  ledit 
tems,  et  pour  que  ledit  noble  de  Cour- 
tilles  puisse  retirer  chaque  année  du  fer- 
mier de  Sallonge  laditte  somme  de  cent 
cinquante  livres  donné  en  assignation,  et 
pour  en  poursuivre  l'exaction,  laditte  dame 
lui  a  laissé  la  même  procure  qu'elle  lui 
avoit  passé  le  vingt  un  aoust  mille  sept 
cent  cinquante  quatre  reçue  Pétroz  no- 
taire, avec  liberté  néanmoins  de  se  ser- 
vir de  tel  procureur  que  bon  lui  semble- 
ra, en  déclarant  encore  laditte  dame  que 
le    dit   noble    de    Cortilles   lui    a   fait  un 


198  LES  DERNIÈRES  ANNEES 

compte  exact  peu  auparavant  le  présent  de 
la  gestion  qu'il  at  eu  occasion  de  ladite 
procure,  le  tenant  pour  duement  libéré 
par  la  promesse  qu'il  fait  de  remettre  à 
laditte  dame  la  quittance  du  Boulanger 
dont  est  parlé  dans  ycelle,  et  au  moyen  de 
laditte  promesse  et  de  l'effectuation  des 
engagements  portés  par  le  présent,  de  la 
part  de  laditte  dame  baronne  de  Warens, 
ledit  noble  decourtilles  en  étant  bien  con- 
tent, et  satisfait,  la  quitte  et  libère  des  à 
présent  comme  pour  lors,  de  laditte  som- 
me de  treize  cent  cinquante  cinq  livres, 
prix  de  la  ditte  cession,  avec  promesse  de 
n'en  plus  jamais  rien  demander,  ny  re- 
chercher en  jugement  ny  dehors  aux 
peines  que  cy  après  ;  promettant  aussi  de 
son  costé  laditte  dame  de  relever  des  à  pré- 
sent ledit  noble  de  courtilles  envers  ses  dits 
associés,  de  tous  engagements  générale- 
ment quelconques  qu'il  pourroit  avoir 
prit,  tant  par  écrit  de  main  privé,  public, 
qu'autrement,  et  de  quelle  manière  que  ce 
soit,  aussi  de  tout  le  passé  jusqu'à  cejour- 
dhuy,  occasion  de  leur  ditte  société,  et  de 


DK  MADAMi:    DK  WAKKN8  I99 


le  relever  des  à  présent,  ainsi  qu'elle  le 
relève  des  à  présent,  ainsi  cju'elle  le 
relève  de  toute  niolestie  qui  pourroit  lui 
être  faitte  à  l'avenir  aussi  aux  mêmes 
peines  que  cy  après  ;  étant  convenu  en 
nutre  entre  lesdittes  parties  que  laditte 
dame  ne  pourra  point  donner  aucun  man- 
dat à  qui  que  ce  soit  sur  le  fermier  de 
laditte  terre  de  Sallon^e,  qu'au  préalable 
ledit  sieur  de  Courtilles  ne  soit  payé  de  la 
somme  capitale  cy  dessus,  à  défaut  de 
quoy  lesdits  mandats  seront  censés  comme 
non  faits,  et  de  nulle  valleur,  et  ce  ont  fait 
lesdittes  parties  par  mutuelle  et  réciproque 
stipulation,  et  acceptation,  ont  promis,  et 
promettent  observer  tout  le  contenu  au 
présent,  chacune  en  ce  qui  la  concerne, 
aux  peines  respectives  de  tous  dépens, 
dommages,  intérêts,  à  l'obligation,  et 
constitution  réciproque  de  tous  et  un  cha- 
cun leurs  biens  présents  et  avenirs,  qu"à 
ces  fins  elles  se  constituent  respectivement 
tenir,  et  sous  toutes  autres  dues  promesses, 
soumissions,  renonciation  et  autres  clauses 
requises  de  droit,  fait  et  prononcé  audit 


200  LES  DERNIERES  ANNEES 

lieu,  les  an,  jour  et  heure  que  dessus,  en 
présence  du  sieur  Jean  Danel,  ancien  ci- 
toyen de  la  ville  de  Genève,  et  du  sieur 
Pierre  de  Sale  marchand  épicier  tous  deux 
habitants  de  la  présente  ville,  témoins 
requis,  lesquels  avec  lesdittes  parties  ont 
signés  au  bas  de  ma  minutte,  contenant 
le  présent  sur  ycelle,  et  par  moi  écrit  y 
compris  mon  verbal,  et  signature  cinq 
pages,  Levé  et  expédié  pour  le  tabellion, 
après  due  collation  faitte  sur  ycelle,  quoi- 
que par  autre  soit  levé.  Ainsi  est. 

Signé  Cagnon,  notaire. 

Ainsi,  la  conclusion,  à  tirer  de  ce  docu- 
ment, est  lumineuse  comme  le  jour.  En- 
gagé de  rester  à  Chambéry  par  la  baron- 
ne, dès  1737,  c'est-à-dire,  à  l'époque  mê- 
me où  elle  s'associait  au  fameux  Mathieu 
Casse  de  la  paroisse  d'Orelle  ;  investi  en 
175 1  de  sa  procuration  spéciale  et  géné- 
rale, Wintzenried  a  dominé  la  vie  de  M™^ 
de  Warens  au  point  que  le  dernier  acte 
notarié  de  la  pauvre  femme  sera  passé  en 
sa  faveur  et  que,  surprise  par  la  mort,  elle 


ur.  MADAMi:  i)\:  wakicns  201 

restera  insolvable  à  l'cgard  de  son  acolylc. 
Rousseau  n'est  donc  aucunement  responsa- 
ble, ni  (le  la  dircclioiî  cjuc  M""=  de  Wa- 
rens  donnait  à  sa  vie  après  son  départ,  ni 
des  tracas  sans  nombre  qui  assaillirent 
l'ûge  mur  cl  la  vieillesse  delà  baronne.  La 
mémoire  du  f^rand  écrivain  est  enfin  la- 
vée, au  tribunal  de  rilistoirc.  de  tous  les 
reproches  dont  les  phraseurs  l'ont  acca- 
blée, jusqu'à  nos  jours. 

M'"*"  de  Warens  avait  loué,  par  asscn- 
cemenl  privé,  le  20  mai  1756,  du  sieur 
Flandin,  le  petit  logement  qu'elle  occupait 
à  Nezin  ;  le  i  5  avril  1761,  clic  passait  un 
nouveau  bail,  partant  du  i"""  juillet  sui- 
vant, au  loyer  annuel  de  125  livres,  avec 
le  notaire  Claude  Crépine,  acquéreur  de 
l'immeuble.  Le  29  juillet  1762,  à  dix  heu- 
res du  soir,  elle  mourait  dans  cette  mai- 
son, qui  existe  encore.  Le  dénûment  de  la 
baronne  était  tel  que  le  genevois  Jean 
Danel,  son  homme  d'affaires,  qui  vivait 
auprès  d'elle,  dut  faire  l'avance  des  frais 
d'enterrement. 


APRES    LA     MORT 


DE 


MADAME     DE    WARENS 


APRÈS    LA     MORT 
Dli 

MADAME     m:     WARENS 


La  cote  de  la  maison  mortuaire  de  M*"*^ 
de  Warcns  lig:ure,  parmi  les  propriétés 
de  Charles  Flandrin,  au  Cadastre  général 
—  1738  —  de  Fancienne  commune  de  Pu- 
gnet  La  Croix-Rouge,  dont  le  territoire 
fait,  aujourd'hui,  partie  de  la  commune  de 
Chambéry.  Les  biens  de  Charles  Flandrin 
étaient  devenus,  avant  1761,  la  propriété 
de  Claude  Crépine,  dont  le  fils  les  vendit, 
en  181 3,  aux  frères  Benoit.  D'après  les 
données  du  Cadastre  général,  conservé 
aux  Archives  départementales  de  la  Sa- 
voie, —  Série  C.  N*"  3695,  —  la  dernière 
maison  qu'habita  l'amie  de  Jean-Jacques, 
ici-bas,  porte,  de  nos  jours,  le  SY°  66,  et 
non  56  comme  je  l'indiquais  dans  La 
conversion  de  (Mme  de  Warens. 


206  APRÈS    LA    MORT 

Cette  maison  joua  un  certain  rôle  dans 
la  succession  de  la  célèbre  baronne  qui, 
le  croirait-on,  ne  fut  liquidée  qu'en  1776. 

Déterminons  toutes  les  phases  de  cette 
singulière  affaire. 

Dès  le  mois,  qui  suivit  le  décès  de  Mme 
de  Warens,  Jean  Danel  demanda  la  gra- 
tification de  Yaubaine  de  la  morte.  En  ef- 
fet, le  registre  des  minutes  de  lettres  de 
l'Intendant  général  de  Savoie,  1760-1765, 
conservé  aux  Archives  départementales  de 
la  Savoie,  —  Série  C.  N°  132,  —  contient, 
à  la  date  des  28  août  et  17  novembre  1762, 
les  deux  lettres  suivantes  de  l'Intendant  gé. 
néral  de  Savoie,  le  comte  Capris  de  Cas- 
tellamont,  à  M.  Mazé  (qualifié,  dans  d'au- 
tres titres  des  Archives  départementales, 
((  Officier  du  bureau  des  Affaires  Internes, 
à  Turin  »  ),  au  sujet  des  meubles  de  peu 
de  valeur  laissés,  à  son  décès,  par  Mme  de 
Warens  : 

Du  28  aoust  1762 

M.  Mazé.   —  Je  prendrai  les  connois- 
sances   nécessaires   sur   la   supplique    de 


I)i:  iMAhAMi:    l)K  WANKNS  2O7 

Jean  Oancl  de  Genève,  habilanl  à  (>ham- 
béry  que  j'ai  rcv;u  jointe  à  la  lettre  dont 
vous  m'avés  honoré,  Monsieur,  le  25  de 
ce  mois,  au  sujet  de  la  gratification  qu'il 
demande  de  l'aubcinc  de  feue  Madame  la 
barronne  de  Warens  pour  vous  la  resti- 
tuer accompagnée  de  ma  relation,  mais  je 
prévois  déjà  que  les  dettes  qu'elle  a  laissé 
absorberont  cl  au  delà  le  peu  de  meubles 
qu'elle  a\'oit. 

Du  17  novembre 

M.  Mazé.  —  En  accusant  la  réception 
de  la  lettre  que  vous  avés  addressé  à  M. 
le  Subdélégué  Masson  le  13  de  ce  mois, 
qui  ne  me  fournit  aucun  sujet  de  réponse, 
j'ai  en  même  tems  l'honneur  de  vous  res- 
tituer cy  inclus,  Monsieur, la  supplique  de 
Jean  Danet  de  Genève,  qui  me  parvint 
dans  celle  du  25  aoust  dernier,  au  sujet  de 
l'aubeine  de  feue  Madame  la  baronne  de 
Warens. 

Comm'après  son  décès  je  fis  à  toutes 
bonnes  fins  cachetter  la  chambre  dans  la- 
quelle le  peu  de  meubles  par  elle  délais- 


208  APRÈS    LA    MORT 

SCS  étoient  renfermés,  et  que  j'en  fis  en- 
suite dresser  l'inventaire,  j'en  addressai 
les  verbaux  à  M*"  le  Procureur  général  du 
Roy,  par  lettre  du   1 1  ybre  dernier. 

J'eus  l'honneur  de  vous  prévenir,  Mon- 
sieur, par  la  mienne  du  28  aoust  précé- 
dent, que  je  prévoyois  bien  que  les  dettes 
qu'elle  avoit  laissé  absorberoient  au  delà 
le  peu  de  meubles  qu'elle  avoit.  J'en  pré- 
viens également  M'"  le  procureur  général, 
et  c'est  naturellement  par  cette  raison  et 
celle  du  peu  de  valeur  d'iceux  qu'il  n'a  pas 
cru  devoir  m'accuser  la  réception  de  ces 
verbaux,  ni  me  rien  mander  à  cet  égard, 
ou  peut-être  ses  occupations  ne  lui  en  ont 
pas  donné  le  tems. 

Si  vous  jugez  à  propos,  Monsieur  de 
lui  en  parler,  vous  serés  à  même  de  voir 
ce  qu'en  conséquence  il  conviendra  de 
faire,  relativement  au  contenu  en  ladite 
supplique. 

J'ai  etc. 

Ces  minutes  ne  sont  pas  signées  par 
l'Intendant   général    de    Chambéry,    qui, 


i)i:  AiADAAii:  i)i:  waiu.ns  209 

dès  le  3  septembre,  rendait  l'ordonnance 
suivante,  conservc^e  aii\  Archives  dcfpar- 
tementales  de  la  Savoie, —  C,  62,  —  par  la- 
quelle il  prcscfi\ail  la  rédaction  d'un  in- 
ventaire des  meubles  et  effets  dcilaissds  par 
Madame  de  Warens  qui  tombait,  en  sa 
qualité  d'étrangère,  sous  l'application  de 
la  loi  d'aubaine  : 

Du  3'-'"''  7bre  1762 
Ordre  à  M''  Ruffard,  g-rcfficr 

Ayant  été  informé  que  dcm*'"''  Eléonore 
de  Varens  barone  de  LaTour  est  décèdée 
en  cette  ville  ab  intestat  et  étant  du  servi- 
ce d'empêcher  que  les  meubles  et  effets 
qu'elle*  a  délaissé  ne  s'écartent  pas,  nous 
commettons  à  touttes  bonnes  fins  M""* 
Ruffard  greffier  de  cette  intendance  géné- 
rale pour  procéder  à  l'inventaire  d'iceux 
et  pour  en  établir  gardiateur  Claude 
Danet  qui  étoit  au  service  de  ladite  feu 
dem"^^'^  et  qui  occupe  encore  le  logement 
qu'elle  avoit  chargons  ledit  M'^  Ruffard 
de  dresser  verbal  de  ce  que  dessus  pour 


210  APRES    LA    MORT 

nous  être  rapporté  et  en  faire  usage  sui- 
vant que  besoin  sera 

A  Chambéry  le  3  7bre  1762. 

Ruffard  fit  l'inventaire,  qu'il  lui  était 
commandé,  le  jour  même  et  le  lende- 
mainde  Tordonnance  ;  ce  document,  dres- 
sé et  signé  le  i  i  septembre,  n'a  pu  être 
retrouvé  aux  Archives  départementales 
de  la  Savoie.  Après  de  longues  recher- 
ches, le  Surintendant  des  Archives  Pié- 
montaises,  Bollati  di  St  Pierre,  écrivait 
de  Turin,  le  4  mars  1889,  au  sujet  de  ce 
même  inventaire,  à  l'Archiviste  de  la 
Savoie  : 

((  Ni  dans  les  registres  des  Délégations, 
qui  embrassent  la  longue  période  de  1752 
à  1789,  ni  dans  les  procès,  suivis  en  Sa- 
voie, pour  l'application  de  la  loi  d'aubaine 
qui  se  terminent  à  l'année  1778,  ni  dans 
les  documents  delà  Chambre  des  Comptes, 
pour  la  région  savoisienne,  on  n'a  pu 
trouver  aucune  trace  de  l'inventaire,  qui  a 
été  fait    le    3    septembre  1762,  des  meu- 


DE  MAUAMi:  l>i:    WARENS  31  | 

Mes  cl  effets  délaisses,  en  mourant,  par 
la  baronne  Louise-Kldonore  de  La  'I'r)ur 
l\c  W'arens. 

La  seule  pièce,  ayant  trait  à  cet  inven- 
taire, est  un  recours  au  Roi,  d'un  nommé 
Claude  C'rcpinc,  notaire,  propriétaire  de 
le  maison  tenue  à  bail  par  Mme  de  Wa- 
rens,  qui  demande  qu'on  lui  paie  les  ar- 
rérap:es  de  son  loyer,  et  qu'on  lui  rende 
sa  maison  disponible,  en  vendant  les 
meubles  et  effets  qui  a\aicnt  été  inven- 
toriés. 

A  ce  recours  sont  annexés,  en  copie,  le 
décret  de  l'Intendant  général  en  Savoie, 
du  3  septembre  1762,  qui  ordonne  le  ré- 
daction de  l'inventaire  ;  un  autre  décret 
du  même  intendant  général,  en  date  du 
22  juillet  1768,  exigeant  le  transport,  au 
bureau  de  l'Intendance  générale,  de  tous 
les  objets  inventoriés,  et  enfin  un  procès- 
verbal  de  ((  Revêtissement  d'inventaire  » 
du  27  juillet  1768,  qui  fut  fait  à  l'occasion 
de  ce  transfert.  Ce  dernier  présente  quel- 
ques particularités  sur  le  contenu  de  l'in- 
ventaire du  3  septembre  1762.  » 


212  APRES    LA    MORT 

Le  présent  chapitre  contient,  plus  loin, 
le  texte  in-extenso  des  pièces  désignées 
dans  cette  lettre.  Pour  en  finir  incidem- 
ment, le  registre  des  minutes  de  lettres 
de  l'Intendant  général  de  Savoie,  con- 
servé aux  Archives  départementales  de  la 
Savoie.  —  Série  C.  N*^  132,  —  donne  la 
minute,  non  signée,  d'une  autre  lettre  du 
comte  Capris  de  Castellamont,  informant 
le  Procureur  général  du  Sénat  qu'il  a  fait 
apposer  les  scellés  sur  les  meubles  trouvés 
chez  M"'''  de  Warens,  à  son  décès  : 

1 1  septembre  1762. 

M.  Bréal.  —  Ainsi  que  je  vous  Tavois 
précédemment  annoncé,  j'ai  l'honneur  de 
vous  transmettre  cy  inclus.  Monsieur,  les 
verbaux  de  cachettement  des  maisons 
qu'occupoit  dem^^^  Marie  Laurent,  veuve 
de  feu  spectable  Claude  Morel,  en  qualité 
d'usufructuaire,  tant  rière  cette  ville  de 
Chambéry  que  rière  la  parroisse  du  Vi- 
vier. 

Je  joins  en  même  tems  icy  les  verbaux 
somt  (sic)   inventaire   des  effets  délaissés 


i)i:  MADAMi:  i)i:  warkns  213 

par  Madame  Elconorc  Louise  Françoise 
de  La  roui',  en  son  \ivant  cpousc  de  M*" 
le  baron  de  Warens  nali\c  de  Vevey,  can- 
ton de  Berne  en  Suisse. 

Je  dois  à  cet  c«j:ard  vous  prévenir.  Mon- 
sieur, ainsi  que  vous  \c  \erres  par  ledit 
inventaire,  qu'elle  a  laissé  peu  de  meu- 
bles, ils  sont  môme  d'une  petite  valeur  et 
infiniment  au  dessous  des  dettes  qu'elle  a 
laissé. 

Il  est  vrai  qu'elle  avoit  obtenu  de  Sa 
Majesté  une  concession  pour  l'exploitation 
des  minières  de  charbons  de  pierre  et  de 
terre  ricre  la  parroisse  d'Arache  en  Fauci- 
gny  par  patentes  du  3  octobre  7762  (sic) 
mais  j'ai  été  informé  que  tant  elle  que  ses 
trois  associés  l'ont  presque  abandonné  par 
infructuosité  de  travail. 

J'ai  etc. 

Puis,     merveille     des     merveilles,     les 
meubles  et  effets  de  M™^  de  Warens  restè- 
rent, jusqu'en  1768,  sous  la  garde  de  Jean 
Danel,  en  attendant  que  le  roi  de  Sardai- 
gne  mît  fin,  en  1 776,  à  la  situation  imposée 


214  APRLS    LA    MORT 

à  Crépine,  en  ordonnant  de  l'indemniser. 
Rousseau  n'avait  appris  la  mort  de  sa 
pauvre  maman  qu'en  1762,  par  son  ancien 
ami  des  Charmcttes,  M.  de  Conzié  : 

((  Vous  voulez  que  je  vous  parle  de  notre 
digne  amie  la  baronne  de  Warens  :  je  vous 
dirai  qu'elle  est  actuellement  heureuse, 
puisqu'elle  a  quitté  ce  bas  monde,  où  elle 
vivait  accablée  de  maladie,  de  misère.  J'ai 
toujours  respecté  cette  aimable  femme, 
surtout  depuis  l'aveu  confident  qu'elle  me 
fit  des  motifs  qu'elle  avait  de  ne  vouloir 
partager  son  cœur  avec  d'autres  qu'avec 
vous,  mon  cher  Rousseau. 

((  Comme  elle  est  morte  quelques  jours 
après  mon  départ  de  Chambéry,  on  m'a 
informé  que  nos  financiers  royaux,  sous  le 
prétexte  d'aubaine,  avaient  fait  cacheter 
sa  cabane  ;  mais  leur  cupidité  aura  resté 
peu  assouvie,  puisqu'ils  n'auront  trouvé 
chez  elle  que  des  témoignages  de  piété,  et 
des  preuves  de  sa  misérable  situation.  » 

Jean-Jacques  reçut  ces  lignes  à  Môtiers, 
en  octobre  1762,  quelques  mois  avant  que. 


L»i:  .MAbA.ML    DE  WAKIiNS  21  5 

dans  son  cc(curcmcnt,  il  n'abdiquât  à  pcr- 
pdluitt^  son  droit  de  bourgeoisie  et  de  cité 
dans  la  ville  et  république  de  Genève.  Que 
do  souvenirs  se  réveillèrent,  alors,  dans  son 

C(eur,  au  souxcnircic  son  amie  !  «  (>rai- 
^nant  de  contristcr  son  cœur  pai*  le  récit 
de  mes  désastres,  dit-il  au  Livre  XII  des 
Conjessions,  je  ne  lui  avois  point  écrit  de- 
puis mon  arri\  ce  en  Suisse  ;  mais  j'écri- 
vis à  M.  de  Conzié  pour  m'informer  d'elle, 
et  ce  fut  lui  qui  m'apprit  qu'elle  avoit 
cessé  de  soulager  ceux  qui  soulïroient,  et 
de  souffrir  elle-même.  .  .  Allez,  àme  douce 
et  bienfaisante,  auprès  des  Fénelon,  des 
Bernex,  des  Catinat,  et  de  ceux  qui,  dans 
un  état  plus  humble,  ont  ouvert  comme 
eux  leurs  cœurs  à  la  charité  véritable  ; 
allez  goûter  le  fruit  de  la  vôtre,  et  prépa- 
rer à  votre  élève  la  place  qu'il  espère  un 
jour  occuper  près  de  vous  !  Heureuse, 
dans  vos  infortunes,  que  le  ciel  en  les 
terminant  vous  ait  épargné  le  cruel  spec- 
tacle des  siennes  !  )) 

Peut-être   le  cher  souvenir  de   iM""^   de 


2l6  APRÈS    LA   MORT 

Warens  ne  fut-il  pas  étranger  au  projet, 
que  Rousseau  semble  avoir  caressé,  à  cette 
époque,  de  finir  ses  jours  en  Savoie.  Il 
avait  pensé  visiter  M.  de  Conzié,  dans  sa 
paisible  solitude  des  Charmettes,  au  cou- 
rant de  l'été  1763  ;  peu  après,  il  lui  adres- 
sait la  lettre  suivante,  dont  la  copie,  con- 
servée à  la  Bibliothèque  de  Chambéry, 
a  été  publiée  par  Gustave  Vallier,  en 
1883,  dans  le  tome  XXVI  du  Bulletin  de 
r Institut  National  Genevois  : 

A  Motier  le  7  décembre  1763. 

je  voudrois,  mon  cher  Comte,  voire  mul- 
tiplier encore  le  nombre  de  mes  agres- 
seurs, si  chacun  de  leurs  ouvrages  me  va- 
loit  un  témoignage  de  votre  souvenir,  je 
reçois  avec  plaisir  et  reconnaissance  celui 
que  vous  me  donnez  en  m'envoyant  l'é- 
crit du  p.  Gerdil.  quoiqu'en  effet  cet  écrit 
me  paroisse  un  peu  froid  je  le  trouve  assés 
gentil  pour  un  moine,  je  vous  avoue  ce- 
pendant que  je  ne  partage  pas  la  haute 
opinion  qu'il  paroit  avoir  de  sa  logique,  et 
je  trouve  dès  sa  préface  une    division   in- 


DL  mada.ml:  di:  wakens  217 

complcUc.  ('ar  lorsqu'il  dit  que  p(>>ur  me 
justifier  il  faut  prouver  que  je  n'ai  pas  dit 
ce  qu'il  m'impute,  ou  que  ce  qu'il  m'im- 
pute est  bien  dit,  il  oublie  un  troisième 
cas  qui  rend  la  justification  superflue  ; 
c'est  lorsque  l'accusateur  ne  sait  ce  qu'il 
dit.— 

j'avois  chargé  M'  de  Gauffecours  de 
vous  témoigner  mon  regret  de  ne  pouvoir 
vous  aller  voir  cet  été  comme  je  l'avois 
résolu.  Le  commencement  de  l'hiver  m'a 
jette  dans  un  état  si  triste  qu'il  ne  me  per- 
met guères  de  faire  des  projets  pour  l'ave- 
nir, toutefois  si  la  belle  saison  me  rend 
les  forces  que  le  froid  m'ôtc,jc  me  propose 
toujours  d'en  user  pour  vous  aller  voir. 

S'il  arrivoit  que  vous  vous  rapprochas- 
siez du  Chablais  comme  l'année  dernière, 
cela  me  seroitbien  comode,  et  en  ce  cas  je 
vous  prierai  de  m'en  prévenir.  Si  vous 
faisiez  quelqu'autre  voyage  qui  vous 
éloignât  de  Chambéri,  je  vous  prierai  de 
m'en  prévenir  aussi  :  car  ne  pouvant  déter- 
miner d'avance  le  temps  de  mon  voyage 
il  me  seroit  bien  cruel  de  l'avoir  fait  à 


2l8  APRÈS    LA   MORT 

pure  perle  et  crallcr  jusques  là  sans  vous 
y  trouver.  Soyez  persuadé  que  rien  ne 
peut  ralentir  l'ardent  désir  que  j'ai  de 
vous  voir  et  de  vous  embrasser,  il  me 
semble  qu'un  moment  si  doux  me  rendra 
tous  les  temps  heureux  que  je  regrette,  et 
me  fera  oublier  tous  ceux  qui  m'en  ont 
si  tristement  séparé.  Moi  qui  suis  si  dé- 
sabusé de  la  vie  et  qui  ne  forme  plus  de 
projets,  je  ne  puis  renoncer  à  celui  là. 
Après  avoir  tout  comparé  je  ne  trouve 
point  de  meilleur  peuple  que  le  vôtre  ; 
je  voudrois  de  tout  mon  cœur  passer 
dans  son  sein  le  reste  de  mes  jours,  et  me 
mettre  de  cette  manière  à  portée  d'écouter 
au  moins  de  temps  à  autre  le  besoin  que 
mon  cœur  a  de  vous. 

J.  J.  Rousseau. 

Ce  document,  communiqué  à  M.  Bise, 
bibliothécaire,  par  M^^^  Debry  de  Cham- 
béry,  avait  déjà  été  publié  dans  le  Jour- 
nal de  Savoie^  année  1820,  n""  39,  page  9. 

Certainement   Rousseau   n'eût  pas   été 


UK   MADAME    DK  WARENS  2I9 


bien  tranquille,  en  Savoie,  s'il  s'y  lui  ic- 
lirc,  car  le  Registre  copie  des  lettres  de 
l'Intendance  du  Genevois,  années  17^)4- 
1765,  conser\é  au.\  Archives  départemen- 
tales de  la  Ilaulc-Savoie,  contient  la  pièce 

suivante  : 

Du  18  Février  1765 

A  Monsieur  Boûer  à  Genève 
Je  vous  remercie  bien,  Monsieur,  de 
votre  attention  à  me  communiquer  dans 
la  lettre  que  vous  avez  pris  la  peine  de 
m'écrire,  Monsieur,  le  1 5  de  ce  moi^,  la 
déclaration  que  le  Conseil  de  la  Répu- 
blique de  Genève  a  donné  conséquement 
au  livre  de  Rousseau,  la  pièce  est  com- 
plette,  et  je  suis  bien  charmé  d'apprendre 
qu'elle  a  mis  fins  aux  mauvaises  inten- 
tions d'un  méchant  autheur. 
J'ai  l'honneur  ect. 

Les  mêmes  archives  possèdent  la  lettre 
du  sieur  Boûer  de  Genève,  adressée  à 
l'Intendant  du  Genevois  à  Annecy  : 

Monsieur 
Vous   aurés   sans   doute    été   informé, 


220  APRES    LA  MORT 

Monsieur,  des  mauvaises  insinuations  que 
le  livre  de  Rousseau  et  autres  brochures 
ont  voulu  donner  contre  les  Conseils  et 
principalement  contre  le  Petit  Conseil  le- 
quel après  avoir  examiné  avec  attention 
le  parti  qu'il  y  avoit  à  prendre,  crut  de- 
voir porter  au  Conseil  du  T>eux  Cent  le 
4*"  de  ce  mois,  la  démission  de  leurs 
emplois  qui  fut  approuvée  dans  un  pre- 
mier tour  en  deux  cent  le  6^  de  ce  mois  et 
auxquels  se  joignirent  un  grand  nombre 
des  membres  du  Deux  Cent  pour  suivre 
leur  exemple.  Si  les  cytoyens  et  Bourgeois 
ne  venoient  reconnoitre  que  le  Conseil 
étoit  une  assemblée  de  bons  et  fidèles 
magistrats,  les  cytoyens  et  bourgeois  ef- 
fra3^és  avec  raison  d'une  telle  démarche 
vinrent  en  foule  et  au  nombre  de  plus  de 
mille  assurer  M'"^  les  Sindics  qu'ils  hon- 
noroient  le  Conseil  ect. 

Ainsi  le  Conseil  pour  constater  toutte 
son  indignation  contre  le  livre  de  Rous- 
seau et  autres  brochures,  a  donné  hier  la 
déclaration  ci-jointe  comme  est  telle  que 
les  circonstances  peuvent  Texiger.  Je  me 


i)i:  MAi)AMi:  i)i:  wakkns  221 

fais  un  plaisii',  Monsieur,  de  vous  la  com- 
muniquer comme  une  marque  de  mou 
respect  cl  de  mou  attachemeni.  A>aiU 
l'honneur  d'être  avec  beaucoup  de  consi- 
dération, Monsieur, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur 

Joseph  Douer 

Genève  15  février  1765 

Wintzenried,  de  son  côté,  au  début  de 
cette  année  même,  semble  avoir  été,  de 
nouveau,  à  la  recherche  d'une  position 
sociale,  car  il  est  fort  question  de  lui 
dans  une  missive  de  l'intendant  Tarraglio, 
premier  officier  du  bureau  général  des 
finances.  Cette  pièce,  extraite  de  la  cor- 
respondance de  ce  dernier,  conservée  aux 
Archives  départementales  de  la  Haute- 
Savoie,  a  déjà  été  publiée,  en  1878,  par 
Théophile  Dufour,  dans  son  excellente 
étude  :  Jean-Jacques  Rousseau  et  Madame 
de  Warens  ;  jiotcs  sur  leur  séjour  à  Aîinecy, 
((  Cette  lettre,  dit  Dufour,  semble  être 
arrivée  trop  tard,  car,  dès  le   28  janvier 


222  APRES    LA   MORT 

1765,  à  Turin,  on  nommait  trésorier  du 
Faucigny  Joseph-Thérèse  Jacquier  ;  il  est 
probable  que  Tidée  d'un  économe  fut 
abandonnée.   » 

1765  le  9  Février 

Apres  avoir  fait  procéder  à  la  descrip- 
tion, saisie  et  séquestre  des  meubles, 
biens  et  effets  appartenants  à  feu  M"" 
François  Perrin  Sénateur  au  Sénat  de 
Savoie  et  à  M""  Charle  Perrin  substitut 
avocat  fiscal  général  au  même  Sénat,  fils 
et  héritier  de  feu  Noble  Joseph  Perrin 
cautions  du  sieur  Charle  Perrin  leur  frère 
et  ci-devant  Trésorier  de  la  province  de 
Faucigny,  Je  n'ay  pas  manqué  de  faire 
pendant  longtemps  les  recherches  les  plus 
empressées  pour  y  établir  un  économe, 
mais  malgré  les  plus  vives  invitations  et 
sollicitations  faites  et  réitérées  à  plu- 
sieurs, toutes  ces  diligences  ont  été  in- 
fructueuses, personne  n'ayant  voulu  ac- 
cepter cet  œconomat. 

Ne  sachant  plus  ou  me  tourner  j'ay 
jette  les  yeux  sur  le  sieur  De    CiirtUles, 


DC    MADAMK    DH    WARMNS  22} 

que  j'avois  dcpulc  pour  Inspecteur  ai  x 
lra\aii\  clu  Cnjcrf?-),  cl  lui  eu  ayant  fait  la 
proposition,  il  m'a  i'ep(»nclu  cju'il  accep- 
tcroit  cette  commission,  et  qu'il  se  don- 
neroit  tous  les  soins  pour  la  remplir 
exactement,  mais  étant  étranger  et  ne 
possédant  aucuns  biens  il  n'étoit  pas  dans 
le  cas  de  donner  une  caution. 

Le  dit  Sieur  De  Curtillcs  est  Suisse 
d'origine,  il  a  embrasse  la  rclii;ion  catho- 
lique, il  habite  en  Savoye  depuis  environ 
25  ans  ou  il  s'est  marie,  et  n'a  point 
d'enfans  ;  S.  M.  lui  fait  payer  chaque 
année  de  sa  cassete  secrète  la  somme  de 
1300  :  livres  pour  Tayder  à  subsister  et 
c'est  par  ses  ordres  que  de  tems  à  autre 
je  lu}^  ay  donné  de  l'occupation  dans  les 
différentes  inspections  pour  les  répara- 
tions des  chemins,  luy  ayant  toujours 
connu  de  l'activité  et  une  conduite  sans 
le  moindre  reproche. 

Quoique  par  le  tableau  que  je  viens  de 
vous  faire  du  dit  S'  De  Ciirtilles,  j'aye 
lieu  d'être  persuadé  qu'il  s'acquittera  bien 
de  cette  commission  pour  le  mériter  de 


224  APRES    LA   MORT 

plus  en  plus  la  continuation  des  grâces 
de  S.  M. 

Le  défaut  de  caution  m'étant  cependant 
un  obstacle  à  la  lui  donner  je  vous  en 
fais  part,  Monsieur,  pour  m'aviser  les 
déterminations  convenables. 

Quoique  Rousseau  ne  donnât  pas  suite 
à  ses  velléités  de  se  fixer  en  Savoie,  il  ne 
put,  dès  lors,  s'empêcher  de  revivre,  en 
pensée,  les  plus  belles  années  de  sa 
vie.  Le  souvenir  de  M""^  de  Warens,  à 
cette  époque,  ne  le  quitta  plus  ;  dès  le 
mois  de  mars  1766,  Rousseau  se  mit  à 
écrire,  dans  sa  retraite  de  Wootton,  ces 
premiers  livres  des  Confessions,  qui  con- 
tiennent les  pages  les  plus  fraîches  et  les 
plus  ravissantes  de  la  littérature  française. 
j^/^me  j^  Warens  y  occupe  le  centre  du  ta- 
bleau ;  désormais  son  charmant  souvenir 
s'identifiera  complètement  au  chef-d'œu- 
vre de  Jean-Jacques. 

Qui  osera,  jamais,  mettre  en  doute  l'af- 
fection sincère  que  Rousseau  eut  pour  sa 
bienfaitrice  ?   Quelle   femme  saurait   lire. 


DE  MADAME  DE  WAREN3  225 


sans  éinolioii,  entre  les  lij^Mies,  la  cu- 
rieuse lettre  que  le  pauvre  philosophe 
écrivit  de  Grenoble,  le  25  juillet  1768,  à 
trois  heures  du  matin,  à  Thérèse  Le 
Vasscur, qu'il  faisait  appeler  Mademoiselle 
Rcnou.  Ah  !  méprisons  les  hypocrites  in- 
dignations des  rhéteurs  !  Le  cri  du  cœur 
est  là,  en  trois  lignes  :  ((  Moji  principal 
objet  est  bien,  dans  ce  petit  voyage,  d'aller 
sur  la  toivibe  de  celte  tendre  mère  que  vous 
avez  connue,  pleurer  le  malheur  que  f  ai  eu 
de  lui  survivre.   » 

Rousseau  ne  fit  que  passer  à  Cham- 
béry;  le  16  août,  il  correspond  de  Bourgoin, 
avec  M.  le  comte  de  Tonnerre.  Dans  une 
lettre  du  25  juillet, il  appelle  encore  Thérèse 
((chère  sœur.» Dans  sa  missive  du  31  août, 
à  M.  Laliaud,  il  la  nomme  pour  la  pre- 
mière fois  ma  femme  ;  il  y  avait,  alors, 
treize  ans  qu'il  vivait,  dans  une  tendre  et 
pure  fraternité,  avec  celle  qui  fut  l'op- 
probre de  ses  derniers  jours. C'est  bien  en 
juin  1754,  à  42  ans,  qu'il  avait,  à  Cham- 
béry,  réitéré,  vivement  et  vainement,  les 
instances  qu'il  avait  faites,  plusieurs  fois, 


220  APRÈS    LA   MORT 

à  Madame  de  Warens,  dans  ses  lettres, 
de  venir  vivre  paisiblement  avec  lui.  Et, 
cependant,  ce  ne  fut  qu'en  1767,  que  la 
première  lueur  d'une  meilleure  fortune 
brillait  pour  celui  qui,  en  1770,  écrivait 
encore  à  un  jeune  homme  :  ((Je  connois 
l'indigence  et  son  poids. . .   » 

Revenons  à  la  pauvre  succession  de 
Madame  de  Warens.  Alors  que  Jean- 
Jacques  se  préparait  à  faire  un  pèlerinage 
sur  sa  tombe,  l'Intendant  général  de  Sa- 
voie rendait,  le  22  juillet,  une  ordonnance 
ainsi  conçue  : 

Joseph  Capris,  comte  de  Castellamonl, 
Intendant  Général  de  Justice,  Police  et 
Finances  pour  S.  M.  deçà  les  Monts. 

M^  Claude  Crépine  Commissaire  d'Ex- 
tentes  habitant  de  la  présente  Ville  ayant 
fait  diverses  jnstances  aux  fins  que  les 
chambres  de  la  maison  qu'il  possède  rière 
le  faubourg  de  Nezin  parroisse  de  St 
Pierre  de  Lement  qu'il  avoit  loue  a  feue 
dame  Eleonore  de  Vuarens  Baronne  de 
la  Tour  soient  évacuées,  et  debarassées  de 


i)i:  MADA.Mi:  Di:  wakens  227 


tous  les  meubles,  et  effets  qui  s'y  trou- 
\eient  lors  de  son  deee/,  et  \  îi  notre  or- 
donnance du  troisième  septembre  mil  sept 
cent  soixante  deux  portant  commission  a 
M'.  Riiffard  Cireffier  de  cette  intendance 
pour  procédera  jnventaire  d'jccux,  de  mê- 
me que  l'acte  jnvcntorial  qu'il  en  dressât 
et  signé  l'on/e  septembre  susdit  par  le- 
quel le  S'  Jean  a  feu  Estienne  Danel  fut 
établi  gardiateur  de  tous  les  meubles  ef- 
fets jnventaries  avec  promesses  de  les  re- 
présenter toutes  fois,  et  quantes  il  en 
seioit  requis 

En  conséquence  étant  juste  de  debaras- 
scr  les  susd*"'^  chambres  des  effets  susdits 
pour  que  M^  Crépine  puisse  être  a  même 
de  les  louer  a  qui  bon  lu}-  semblera,  Nous 
ordonnons  que  M^  Ruffard,  et  en  cas 
d'empêchement  que  M^  Cabuat  son  subs- 
titut fera  revêtir  le  d^  jnventaire  par  le 
d^  S'.  Jean  Danel  qui  sera  a  ces  fins  ap- 
pelle, et  qu'jceluy  étant  revêtu  tous  les 
meubles,  et  effets  dont  s'agit  seront  trans- 
portés à  notre  Bureau,  ou  ils  resteront 
deposités  jusqu'à  ce  qu'il  soit  autrement 


228  APRES    LA  MORT 

ordonne  cl  que  les  clefs  des  dites  cham- 
bres seront  remises  au  d^  M*"  Crépine 
pour  s'en  servir  ainsy  qu'il  verra  a  faire 
Chambery  le  vingt  deux  juillet  mil  sept 
cent  soixante  huit  signé  par  le  seigneur 
Comte  Capris  de  Castellamont. 

Cette  ordonnance,  conservée  aux  Archi- 
ves d'Etat,  à  Turin,  est  complétée,  au  mô- 
me fonds,  par  l'extrait  suivant  ((  de  Ver- 
bal de  Revetissement  d'Jnventaire  fait  par 
M^  Cabuat  substitut  de  M^  Ruffard  du 
27  juillet  1768  ))  : 

L'an  mil  sept  cent   soixante  huit  et  le 
vingt  sept  du  mois  de  juillet  je  soubsigné. 
Jean  François   Cabuat   Notaire   Collegié 
substitut  de  M^  Ruffard  Greffier   de  Tjn- 
tendance  générale. 

Fais  sçavoir  a  vous  Monsieur  le  Comte 
Capris  de  Castellamont  jntendant  gênerai 
de  justice.  Police,  et  finances  pour  S.  M. 
dans  le  Duché  de  Savoye  qu'ayant  été 
commis  par  votre  ordonnance  du  vingt 
deux  de  ce  mois  aux  fins  de  me  trasporter 
au  faubourg  de  Nezin  paroisse  de  S^  Pier- 


I)K    MAl>AMi:   I)i:  VVAHKNS  229 

rc  de  Lciiiciil,  cl  clans  la  inais(.n  de  ]\l'. 
Claude  Crépine  Corn""  d'Iixtenles,  Jcelle 
cy  devant  occupc^e  par  loue  Dame  Iilconorc 
de  \'uarcns  Haronnc  Oc  la  'r(»ur  pour  y 
procéder  par  rentreniisc  du  S^  Jean 
Danel  son  homme  d'affaii'c  en  revelissc- 
mcnl  de  rjnvenlairc  fait  par  AU.  Ruiïard 
les  trois  et  quatre  septembre  mil  sept  cent 
soixante  deux  des  meubles  et  effets  délais- 
sés dans  la  ditte  maison  par  la  ditte  feue 
Dame  dont  le  d^  Danel  fut  Etably  Gar- 
diateur  sous  l'obligation  de  les  représen- 
ter toutes  fois,  et  quantes  il  en  seroit  re- 
quis aux  peines  de  tous  dépens,  domma- 
ges, jnterets  avec  constitution  de  tous  ses 
biens,  et  le  d^  acte  de  rcvetissement  ache- 
vé, faire  transporter  les  d^^  meubles,  et 
effets  au  Bureau  de  TJntendance,  évacuer 
la  d^  maison,  et  en  remettre  ensuite  les 
eléfs  au  d^  M^  Crépine,  de  laquelle  sus 
d^  commission  désirant  m'acquitter 

A  ces  fins  Tan,  et  jour  que  dessus  je  me 
suis  transporté  avec  le  S'.  Joseph  Marie 
Ruffard,  et  hon^^^  Claude  Guelard  dit 
Panvin   que  j'ay   pris  pour  m'assister  au 


230  APRES    LA   MORT 

d^  acte  au  d'.  faubourg  de  Nezin  et  en  la 
sus  d^  maison  accompagne  du  d^  S^ 
Danel  auquel  j'aurois  lu  le  contenu  en 
Pjnventaire  fait  par  M^  pierre  Ruffard  et 
donné  a  entendre  l'obligation  ou  il  etoit 
de  me  représenter  tous  les  effets  dont  y  est 
fait  mention  article  par  article  de  même 
que  l'existence  des  sceaux  apposés  sur  les 
différents  buffets,  Gardes  Robbes,  et  Cof- 
fres, a  tout  quoy  le  d^  Jean  Danel  m'at  re- 
pondu en  l'assistance  de  qui  dessus  avoir 
vendu  tous  les  effets,  meubles,  décrits 
dans  le  d'  jnventaire  pour  la  somme  de 
cent,  et  vingt  livres  pour  subvenir  a  ses 
besoins  subsistance,  à  tant  moins,  et  a  bon 
compte  de  ses  gages  et  de  l'argent  qu'il  a 
délivré  pour  les  frais  funéraires  de  la  ditte 
Dame  de  Vuarens  suivant  la  notte  qu'il 
m'en  at  remis  ce  jourdhuy  par  luy  signée 
que  j'ay  joint  en  fin  du  présent  pour  y 
faire  corps,  pour  le  surplus  desquels  susd'^ 
droits  il  proteste  très  expressément  ;  mais 
quil  me  representeroit  tous  les  sceaux  ap- 
poses sur  les  Gardes  Robbes,  et  coffres 
dans  leur  entiers  a  l'effet  de  quoy  ayant 


i)i:  MADAMi:  i)i:  waklns  231 

(Uivcrt  la  porte  d'ciUrcc  de  la  d'  maison 
jaiirois  trouve;  dans  la  première  Chambre 
qui  est  une  cuisine  une  grande  table  a  bois 
sapin  a  quatre  pilliers  avec  un  banc  même 
bois  sur  hi  quelle  etoient  dispcrsc^es  dif- 
férentes Drogues  servants  a  dissoudre  des 
minéraux  que  j'ay  fait  jetter  pr)ur  n'être 
d'aucun  usa^c,  et  toutes  évaporées  ;  Nous 
serions  ensuite  entres  dans  la  seconde 
qui  est  Tcndroît  ou  la  d''  Dame  est  dece- 
dcfe  :  j'y  aurc^is  trouve  un  ciel  de  lit  de  ser- 
ge verte  fort  usé  attache  au  plancher,  un 
garde  Robbe  de  sapin  a  une  seule  porte, 
sur  la  serrure  du  quel  j'aurois  reconnu  le 
sceau  du  seigneur  jntendant,n'y  altéré, n'y 
vitic,  lequel  ayant  été  ouvert  jy  auroit 
trouvé  quantité  depapiers  suivant, et  com- 
m'est  porté  par  l'Jnventaire,  et  successive- 
ment nous  serions  entrés  dans  la  troisième 
qu'est  la  Chambre  qu'occupoit  le  d'. 
Danel  jy  aurois  de  même  trouvé  un  Bahu, 
un  coffre  de  noyer  une  petite  cassette  de 
sapin  et  un  petit  Garde  Robbe  du  même 
bois  a  deux  portes  tous  dûement  scellés 
et  cachettes,  et  les  avant  ouverts  sauf  le 


232  APRES    LA    MORT 

Bahu  pour  n'avoir  d'jceluy  la  clef,  il  s'y 
seroit  trouvée  quantité  de  papiers  plies 
dans  des  servietes  lesquels  j'ay  laissé  dans 
les  d"  Garde  Robbe  et  Coffre, et  de  la  nous 
serions  venu  dans  une  quatrième  Chambre 
laquelle  est  plaine  de  diverses  pièces  de 
terre  non  encore  Cuittes  ny  vernissées, 
comme  ecuelles,  plats,  vases  a  fleur  et  au- 
tres semblables  tous  hors  d'usage  pour 
être  la  plus  grande  partie  fusée  pour  y  avoir 
une  goutiere  dans  la  ditte  Chambre  et 
l'autre  partie  fêlée  par  rapport  aux  jntem- 
peries  de  l'air  et  au  transport  que  Ton  en 
a  fait  dez  le  Rez  de  Chaussé  ou  elle  etoit 
appartenant  a  Mons^  le  Comte  de  Roche- 
fort  en  la  ditte  Chambre,  la  quelle  ditte 
terre  j'ay  crû  devoir  laisser  au  dit  endroit 
jusqu'à  nouvel  ordre,  nous  serions  finale- 
ment descendus,  et  ayant  parcouru  un 
Balcon  je  serois  entré  dans  un  petit  cabinet 
dépendant  de  la  d*  maison  et  attigû  a  jcel- 
le  qui  servoit  cy  devant  au  d\  Danel  de 
laboratoire  pour  dissoudre  ses  minéraux 
et  lesciver  les  cendres  des  Orphevres,  ie 
n'y  aurois  trouvé  que  des  pierres  de  mi- 


DE  MADAAtK    1>K    NVAKKNS  333 


ncs  de  clilïcrclUcs  la(,'()n,  cl  des  susdiUcs 
cendres  dcja  lescivécs  que  j'ay  fait  jcUer 
pour  n'elre  d'aucun  usage  pourrissant  et 
chargeant  au  C(»nltaiie  le  sous-picd  du 
d^  plancher  ;  ce  fait  j'aurois  fait  con- 
duire par  un  charriot  au  Bureau  de  Iju- 
lendancc  les  d'\  deux  Gardes  Robbcs, 
la  table,  et  son  banc,  les  trois  coffres  tous 
dûement  fermés  et  le  ciel  de  lit  pour  y  être, 
et  rester  le  tout  deposilé  jusqu'à  ce  qu'au- 
trement soit  ordonné  et  j'ay  cnsuitte  fait 
remettre  par  le  d^  Danel  au  d^  M'.  Cré- 
pine ce  jourdhuy  les  clefs  de  la  d*"  maison, 
et  ce  dernier  m'at  Demandé  acte  du  jour 
de  la  remission  d'jccllcs  et  a  protesté  de  la 
somme  de  huit  cent  huitante  cinq  livres 
six  sols  huit  deniers  qu'il  m'a  déclaré  luy 
être  dues  pour  le  loiicr  de  la  ditte  maison 
a  forme  de  l'assencement  a  moi  exhibé  du 
quinze  avril  mil  sept  cent  soixante  un  qui 
at  commencé  au  premier  juillet  suivant  a 
raison  de  cent  vingt  cinq  livres  par  an, 
m'ayant  en  outre  déclaré  que  sur  la  susd^ 
somme  il  distraisoit  cent-cinquante  une 
livres   cinq    sols  qui   luy   ont    été   payés 


234  APRÈS    LA    MORT 


en  différents  temps  tant  par  la  d*"  feue 
Dame  qu'en  un  Louis,  et  un  Ecu  neuf 
au  dernier  coin  de  france  par  le  d'  Danel 
après  son  decez,  ayant  encore  protesté  des 
dégradations  arrivées  en  sa  d^  maison  et 
de  faire  prendre  acte  d'état  d'jcelles,  com- 
m'encore  de  faire  jetter  les  terres  non 
cuittes  n'y  vernissées  a  la  Rue  pour 
n'être  d'aucune  utilité  et  charger  considé- 
rablement le  plancher  de  la  Chambre  ou 
elles  sont  renfermées  ;  de  tout  quoy  j'ay 
dresse  le  présent  verbal  ayant  le  d^  S*". 
Danel  et  Ruffard  signés  cy  après  et  non  le 
d^  Panvin  pour  être  jUitteré  de  ce  enquis 
ainsy  est  Chambery  les  an,  et  jour  sus- 
dits signe  J.  Danel,  Ruffard  témoin  et 
par  AP  Cabuat  substitut. 

par  Extrait 
signé  Cabuat  subst. 

Ce  document,  ainsi  que  le  précédent  et 
les  trois  qui  vont  suivre,  sont  conservés  à 
Turin,  aux  Archives  d'Etat,  section  II, 
Finances  générales,  chapitre  56,  n°  21. 
Les  papiers  de  Madame  de  Warens,  qui 


m:  MAhA.Mi;  hi;  wakkns  2^5 

élaiciU  renfermes  dans  les  coffres  cl  ar- 
moires, clonl  il  est  question  dans  le  Ver- 
bal de  Cahiiat,  ne  se  trouvent  plus,  de  nos 
jours,  aux  Aichi\es  dcpartcmcntales  de  la 
Savoie  ;  ils  ont  e^te  probablement  rendus 
à  Crépine  avec  les  meubles.  Le  dossier 
concernant  M'""-"  de  Warens, —  que  les  Ar- 
chives de'partcmcntalcs  possèdent  aujour- 
d'hui et  dont  j'ai,  le  premier,  publié  toutes 
les  pièces, — pourrait  bien  \enir  de  ces  ar- 
moires et  a  été  trouvé,  il  y  a  vingt  ans, 
chez  un  bouquiniste  de  Chambéry,  par 
TArchiviste  départemental,  qui  Ta  acheté 
pour  le  compte  du  département  de  la 
Savoie. 

Cependant,  Claude  Crépine  attendait 
toujours  que  l'on  donnât  suite  à  ses  diver- 
ses instances  ;  n'obtenant  pas  de  satisfac- 
tion complète, en  dépit  de  l'ordonnance  que 
l'Intendant  général  avait  rendue  en  1768, 
il  envoya  quatre  ans  après,  le  9  novembre 
1772,  directement  au  Roi,  une  supplique 
dressée  sur  papier  timbré,  laquelle  fut 
transmise  au  bureau  des  Royales  Finan- 
ces à  Turin. 


236  APRÈS    LA   MORT 

AU  ROY 

Sire 

Expose  en  toute  humilité  M^  Claude 
Crépine  No'^  Royal  Corn'"*'  d'extentes  ha- 
bitant a  Chambery. 

Que  Louise  Eleonore  De  La  Tour  Ba- 
ronne de  Vuarens  est  decedée  le  29  Juillet 
1762  au  faubourg  de  Nezin  dud.  Cham- 
bery, occupant  la  plus  grande  partie  de 
la  maison  que  le  supliant  luy  avoit  assen- 
ée par  acte  privé  du  16  Avril  1761  pour 
trois  années  a  commencer  au  premier  juil- 
let suivant  sous  le  loier  annuel  de  Cent 
vingt  cinq  livres  payable  quartier  par 
quartier,  et  toujours  par  avance  :  par  or- 
donnance de  rintendant  gênerai  en  Savoye 
De  Capris  Comte  de  Castellamont  du  y 
7bre  1762  ^l^  pierre  Ruffard  Greffier  fut 
commis  pour  procéder  a  Tlnventaire  des 
meubles  et  effets  par  elle  délaissés  il  y 
donna  commencement  le  même  jour,  et  le 
paracheva  le  lendemain,  et  Jean  Danel 
qui  etoit  au  service  de  la  d^  Baronne  de 
Vuarens  en  fut  établi  gardiateur  ;  le  Sup\ 
dans  la  crainte  que  sa  maison  ne  se  de- 


DE  MADAME    DE  WARKNS  337 


Icriorat,  si  clic  rcsloit  plus  lonj^^lcmps  fer- 
mée, se  pourvut  au  cV.  jnlcnclant  général 
par  rcquclc  prcscntcc  le  y  xbre.  suivant 
p(»ur  quil  luy  plut  ordonner  la  vente  des 
meubles,  et  effets  décrits  dans  le  d'.  jn- 
ventairc  après  que  le  d'.  M'.  Ruffard 
auroit  procédé  a  la  rcconnoissance  de 
scellés  par  luy  apposés,  pour  des  deniers 
en  pro\cnanls  cire  payé  de  la  somme  de 
cent  soixante  une  livre  cinq  sols  restante 
duc  pour  ses  loicrs,  il  ne  pourvut  pas  sur 
cette  requête,  il  l'envoyât  avec  un  Extrait 
du  d^  assencement  dans  le  mois  de  Jan- 
vier de  1764  au  procureur  gênerai  de  Vo- 
tre Majesté  qui  les  luy  envoyât  par  avoir 
son  sentiment,  et  dans  le  courant  du 
mois  de  gbrc.  1765  ;  le  d^  jntcndant  luy 
renvoyât  le  tout,  et  même  la  suplique  que 
le  supliant  avoit  pris  la  liberté  de  présen- 
ter a  Vôtre  Majesté,  par  laquelle  Elle  luy 
exposoit  le  dépérissement  de  sa  maison, 
et  les  dommages  considérables  qu'il  souf- 
froit  et  qui  augmentoient  journellement, 
en  supliant  V.  M.  de  mander  au  dit  in- 
tendant de  faire  encanter  les  d^^  meubles 


238  APRi:S    LA   MORT 

Cl  ciTcls,  pour  de  l'argent  en  provenant 
être  paie  de  ses  loiers,  pour  lesquels  il 
luy  competoit  un  hypoteque  privilégie 
sur  les  d'^  meubles,  et  effets,  et  luy  être 
ensuite  remise  les  clefs  de  sa  d^  maison 
pour  en  prévenir  les  plus  grandes  détério- 
rations. Les  choses  en  sont  restées  au 
même  état  jusqu'au  22  juillet  1768.  que  le 
d^  jntendant  gênerai  sur  les  jnstances  de 
l'exposant,  ordonna  que  le  d^  J\l^  Ruffard 
procederoit  au  Revetissement  du  d^  jn- 
ventaire,  il  y  procédât  le  27.  et  le  même 
jour,  il  remit  les  clefs  de  la  d^  maison 
au  d'  supliant  qui  protesta  de  la  somme 
de  huit  cent  huitante  cinq  livres  six  sols 
huit  deniers  qui  luy  etoient  dues  pour  les 
loiers  sous  la  distraction  de  celle  de  151^ 
5^  qu'il  avoit  reçu  en  différents  temps  et 
encore  des  dégradations  de  la  d^  maison 
qui  n'a  pu  être  louée  jusqu'à  présent  par 
l'impossibilité  dans  laquelle  s'est  trouve 
l'exposant, chargé  d'une  nombreuse  famil- 
le, et  dans  un  âge  très  avancé  qui  ne  luy 
permet  presque  plus  de  travailler,  d'y 
faire  les  réparations   nécessaires  pour  la 


DE  MADAMK    DK  WAHI'.NS  339 


louer,  ce  qu'il  n'a  jamais  cic  en  clal  de 
faire,  d'où  se  sont  ensuivies  de  plus  gran- 
des détériorations  depuis  le  mr)is  de  juil- 
let de  1768.  que  les  d'""  clefs  luy  furent  re- 
mises, Elles  se  font  a  la  vérité  actuelle- 
ment, mais  c'est  un  locataire  qui  a  bien 
voulu  faire  l'axancc  d'une  partie  de  ces 
réparations  pour  en  imputer  le  montant 
sur  le  loicr  annuel,  lesquelles  en  entraî- 
nent d'autres  indispensables  au  compte 
de  l'exposant  qui  a  perdu  son  loier  a  comp- 
ter depuis  le  d^  mois  de  juillet  de  1768 
jusqu'à  présent  pour  plus  de  quatre  ans,  il 
n'en  a  pas  été  paie  jusqu'au  dit  mois  de 
juillet,  il  n'a  reçu  que  151  1.  5  s.  il  luy  est 
deut  a  raison  de  125  I.  par  an  portes  par 
le  d^  assencement,  cette  somme  distrait- 
te,  sept  cent  trente  quatre  livres  un  sol 
huit  deniers  dans  l'espérance  que  S.  M. 
daignera  écouter  favorablement  sa  prière, 
il  se  prosterne  très  humblement,  et  avec 
confiance  aux  pieds  du  Thrône  en  joi- 
gnant un  extrait  du  d^  assencement,  et 
des  d".  ordonnances,  cellui  du  d^  jnven- 
taire  ayant  été  envoyé  par  le  d^  jntendant 
le  II  ybre.  1762. 


240  APRÈS    LA    iMORT 

Aux  fins  qu'il  plaise  a  Votre  Majesté 
par  un  effet  de  ses  grâces,  ayant  égard  aux 
sus  d^^  motifs,  mander  a  son  Jntendant 
General  en  Savoye  de  faire  paier  au  supli- 
ant  chargé  d'une  nombreuse  famille  et 
d'un  âge  très  avancé  la  ditte  somme  de 
734  1.  I  s.  8  d.  pour  les  loiers  de  sa  d^ 
maison,  dont  il  a  été  privé  jusqu'au  22 
juillet  1768.  e  telle  autre  somme  qu'il 
plaira  a  V.  M.  en  dédommagement  des 
détériorations  considérables  arrivées  a  sa 
ditte  maison  depuis  le  decez  de  la  d^. 
Baronne  de  Vuarens  jusqu'au  dit  jour  22 
juillet  1768.  et  des  loiers  qu'il  a  perdu 
pour  quatre  ans  depuis  le  d\  jour  jusqu'à 
présent,  et  il  ne  cessera,  et  sa  famille  de 
redubler  leurs  vœux  au  ciel  pour  la  pre- 
tieuse  conservation  de  Votre  Majesté  et 
de  son  auguste  maison. 

signé  Crépine  —  supliant 
—  id  —  J  Chabert  p'. 

Outre  l'extrait  de  l'ordonnance  du  22 
juillet  1768  et  l'extrait  de  Verbal  de  Ca- 
buat  fait  le  27  juillet  de   la  même   année, 


les  deux  (locunicnts  suivants,  libellas 
comme  les  autres  sur  papier  timbre,  se 
trou \  eut  cousus  à  la  prcfccf dente  suppli- 
que : 

Fxlrjil 
d\isscncenicnl   du    r^   jvn'l  i-jhr. 

L'an  mil  sept  cent  soixante  un  et  le 
quinze  du  mois  d'avril  a  Chambery  au 
faubouri;-  de  Nczin,  je  Claude  Crépine 
Notaire  Royal  C^ollegic  Commissaire 
d'Extentcs  soussigné  ay  par  le  présent  as- 
sencce  a  Dame  Louise  Eleonorc  De  La 
Tour  Baronne  de  Vuarens  le  même  ap- 
partement de  la  maison  a  elle  cy  devant 
assenée  par  le  S'  Flandin  par  assence- 
ment  privé  du  vingt  may  mil  sept  cent 
cinquante  six,  et  outre  ce  deux  petites 
Chambres  qui  sont  attenantes  au  d^  ap- 
partement sittué  a  Nezin  du  coté  du  vent, 
et  c'est  du  tout  avec  leurs  appartenances, 
et  dépendances  conformément  au  précè- 
dent assencement,  avec  l'usage  et  passage 
dans  la  cour  qui  est  au  dessous  des  d^^ 
deus  Chambres  du  coté  du  jardin, se  reser- 


242  aprf:s  la  mort 

vant  le  d^    Crcpinc  rusa<^e  de  la  cour  et 
c'est  pour  le  temps,  et  terme  de  trois  ans 
a  commencer  au  premier  juillet  prochain 
pour  être  paye  de  loiier  des  d^"  apparte- 
ments jusqu'au  dit  temps,  et  c'est  sous  le 
lr)iier  pour  les  choses  cy  dessus  assencés 
de  cent  ving-t  cinq  livres  par  année  paya- 
ble sçavoir  trente  une  livres  et  cinq  sols 
chaque  trois  mois   dont  le  premier  paye- 
ment commençerat  au  premier  juillet  pro- 
chain  et    ainsy    a   continuer  pendant   la 
durée  du  présent  assencement,  et  au  mo- 
yen du  quel   payement,   ie  promets  faire 
jouir  la  ditte  Dame  du  d^  appartement,  et 
Chambres,  et  faute  de  ce  qu'il  me  sera 
permis  d'expulser  la   ditte  Dame  d'jcelui 
de  même  que  des  d*"^  Chambres, et  d'assen- 
cer  le   tout   a   qui  bon  me   semblerat  le 
tout  ainsy  convenu  aux  peines  respectives 
de  tous  dépends  dommages,   jnterets,    a 
l'obligation,  et  constitution  de  nos  biens  ; 
fait  et  passé  au   dit  lieu  en  présence  de 
M""  Louis  Lognoz  procureur  au  sénat  et 
du  S^  Jean  Danel  ageant  de  la  ditte  Dame 
tous  deux  habitants  en  cette  ville  signé  la 


I»L    .MADA.ML    DL    NVAIU.NS  24 ^ 

Baronne  de   X'arcns  l)c  la   1  nur,  (ii\-pinc, 
Loj^noz  prcscnl  et  Jean  DancI  présent. 

par  Mxtrait 
sij^qié  Cabual  susbt 

("oninic  il  est  indiqué,  à  la  lin  de  la 
première  Partie  de  ce  volume,  le  bail 
passé  avec  Crépine  établit  cjue  Mme  de 
Warens  avait  loué,  du  précédent  proprié- 
taire, et  dès  le  20  mai  1756,  le  petit  lor,^c- 
ment  qu'elle  ne  devait  quitter  que  pour 
descendre  dans  la  tombe. 

D'autre  part,  la  suivante  pièce  a  déjà 
été  publiée,  à  la  pa^c  209  de  ce  volume, 
d'après  le  texte  de  la  copie  conservée  à 
Chambéry  ;  voici,  à  présent,  le  passage 
de  ce  document,  tel  qu'il  est  joint  à  la 
requête  de  Crépine  : 

Extrait  de  l Ordonnance  du   Scig^   Capris 
Comte  de  Castellamont  jntendant  General 
en  Savoy e  du  j  jbre.  1^62. 

Joseph  Capris  Comte  de  Castellamont 
jntendant  Générale  de  justice,  Police,  et 
finances  pour  S.  M.  deçà  les  Montes 


244  APRKS    LA   MORT 

Ayant  clc  jnformé  que  demoiselle  Ele- 
onorc  clc  Vuarens  Baronne  De  la  Tour  est 
decedce  dans  cette  ville  ab  jntestat  et 
étant  du  service  d'empêcher  que  les 
meubles,  et  effets  ne  s'écartent  pas  nous 
commettons  a  toutes  bonnes  fins  M' 
Ruffard  Greffier  en  cette  jntendance  géné- 
rale pour  procéder  a  l'Jnventaire  d'Jceux, 
et  pour  établir  gardiateur  Jean  Danel  qui 
etoit  au  service  de  la  ditte  feue  dem'^.  et 
qui  occupe  encore  le  logement  qu'elle 
avoit,  chargeant  le  d^  M^  Ruffard  de 
dresser  Verbal  de  ce  que  dessus  pour 
nous  être  rapporté,  et  en  faire  usage  sui- 
vant que  besoing  sera  a  Chambery  le  trois 
septembre  mil  sept  cent  soixante  deux 
signé  par  le  seigneur  Comte  Capris  de 
Castellamont. 

Sans  trop  tarder,  l'Intendant  général  de 
Savoie,  Blanchot,  envoya  au  Ministère  des 
finances,  à  Turin,  concernant  la  pétition 
du  notaire  Crépine,  le  rapport  suivant, 
extrait  des  Archives  départementales  de 
la   Savoie,  série  c,  n°  138  : 


DE   MADAME  1>L    \\\U\.S^  -i.J5 

lîegisirc  des  l'inanccs 

Du  2  Xbrc  1772 

M.  Dr. ton. 

En  conséquence  de  la  requête  du  sieur 
commissaire  d'cxtcnles  Crépine  que  vous 
aves  pris  la  peine  de  me  communiquer  M*" 
par  votre  lettre  du  1 1  çbre  dernier  j'ai  fait 
rcconnoître  dans  les  registres  de  mon  bu- 
reau la  marche  de  cette  affaire.  La  dame 
de  Varens  étoit  suisse  et  habitoit  en  Savoye 
depuis  plusieurs  années  pour  y  tenter  for- 
tune tant(U  par  Temploit  des  Mines  des 
l\^urneaux,  tantôt  par  des  fabriques  de 
poteries  en  guese  (i)  et  bien  d'autres  en- 
treprises mais  toujours  sans  succès. 

En  1761  elle  abitoit  réellement  dans 
la  maison  du  supliant,  en  vertu  d'écriture 
de  main  privé  du  1 5  avril  de  ladite  année 
portant  obligation  d'en  payer  le  loyer  sur 
le  pied  de  125  1.,  dont  je  me  suis  fait  pré- 
senter l'original  que  j'ai  fait  reconnoître 
par  les  témoins  en  ma  présence,  et  l'ayant 
collationé  avec  la  copie  qui  étoit  jointe  à 

(  I  )  Lisez  gueuse,  nom  vulgaire  donné  à  la  fonte  de  fer. 


246  APr<i:S    LA   MORT 

laditte  requette  elle  s'est  trouvée  exacte- 
ment conforme. 

En  1762,  pendant  qu'elle  donnoit  des 
dispositions  pour  une  poterie  de  terre  la 
mort  vint  la  surprendre.  Feu  M.  le  comte 
Capris,  s'agissant  d'une  dame  Etrangère 
et  d'un  pais  ou  la  loix  d'obène  a  lieu  re- 
lativement à  la  Savoie,  fît  sur  le  champ 
procédera  l'inventaire  cachètement  et  sai- 
sie des  effets  en  établissant  un  gardiateur 
qui  en  fut  chargé  ainsi  qu'il  conste  par  les 
verbaux  et  inventaires  existants  rière  le 
greffier  de  cette  intendance  généralle  (i). 
Successivement  et  ledit  feu  seigneur  in- 
tendant général  en  informa  M.  le  procu- 
reur général  par  sa  lettre  du  7bre  1762 
de  laquelle  cependant  on  ne  trouve  point 
de  copie  en  ce  bureau.  Il  répliqua  par  au- 
tre lettre  du  18  janvier  1764  demandant 
des  ordres  là  dessus,  et  par  autres  lettres 
des  2  et  30  juin  ditte  année  il  insista  pour 
l'autoriser  à  la  vante  des  effets  saisis,  et 
remission  des  clefs  de  la  maison  au  pro- 

(i)  Ces  documents    ne  se  trouvent  plus  aux  Archives    dé- 
partementales de  la  Savoie. 


I)i:    MADA.Mi:    1)1.    WARENS  247 


pricîtaircqiii  la  rcclamoit  mcmc  par  rcquct- 
ic.   On  ne  Irouvc  ici  point  de  rcîponsc  et  il 
résulte  que  M.  l'inlcnclant  général  prit  en 
fin  son  parti  ordonnant  en    ly^H  la  remis- 
sion  dudit  appartement    au    propriétaire 
préalable  revêtement  de  l'inventaire  ce  qui 
fut  exécuté  ainsi  que  par  son  ordonnance 
du  22   juillet  1768  et  verbal   du    27  dudii 
mois  dont    il   ne  (sic)  que  le   gardiateur 
a\()uat  a\'oir  \'cndu    pour  la  valeur  120  1. 
pour  sa  nourriture  à  compte  de  ce  qui  lui 
étoit  du  par  ladite  dame,  le  reste  consistoit 
en  deux  vieux  garde  robes  et  une   vielle 
table  de  sapin  qui  furent  transportés  en  ce 
bureau  où    elles  existent  encore  Le  Gar- 
diateur  n'a  point  donné  de  caution  et  se 
trouve  de  notoriété  publique  tout  à  fait 
misérable.  Les  dits  effets  existans  peuvent 
être  de  la  valeur   tout  au  plus  de  quinze 
ou    20   1.  lesquels,   quoique    exposés    en 
vente    ne   trouvèrent    point    de    miseurs, 
ainsi   que    iM''^  les  secrétaires  du    bureau 
m'assurent. 

Par  ce  détail  vous  sentes,  Monsieur,  que 
feu  M.  le  comte    Capris  étoit  en  règle  et 


248  APRES    LA   MORT 

que  le  supliant  n'est  pas  moins  en  droit 
de  prétendre  son  loyer.  Sa  maison  a  été 
occupé  pendant  l'espace  de  7  ans  d'auto- 
rité publique  et  légitime,  il  a  souvent 
réclamé  ainsi  qu'il  résulte  par  lesdittes 
lettres  et  il  me  paroit  en  concéquence  sauf 
meilleur  avis,  que  le  loier  lui  en  est  dû 
sous  la  déduction  des  120  1.  qu'il  avoue 
dans  sa  raquette  avoir  reçu  de  la  dame 
défunte. 

Mais  je  ne  crois  pas  que  le  loier  lui  soit 
dû  sur  le  pied  de  laditte  écriture  1761  puis- 
que l'obligation  de  la  défunte  obérée  doit 
être  censée  éteinte  de  son  décès. 

Ce  seroit  donc  arbitrio  boni  viri  qu'on 
le  devroit  régler  et  m'étant  secrètement- 
informé  sur  quel  pied  le  propriétaire  l'a 
loué  actuelement  et  à  combien  on  pourroit 
équitablement  fixer  le  louer  il  m'est  ré- 
sulté que  laditte  maison  est  actuellement 
assencée  pour  L.  100  l'année  et  qu'en  cas 
du  décès  de  laditte  dame,  étant  mal  en 
ordre,  exigeant  beaucoup  de  réparation, 
le  propriétaire  auroit  eu  de  la  peine  d'en 
percevoir  plus  80   1.  ou  90   1.   l'année  et 


I)i:    MAI)AMK    IjK    WARIINS  249 

que  d'aillcur  s'agissaiu  cVun  particulier  en 
réputation  d'honncte  homme  très  versé 
dans  la  profession  de  Commissaire  et  dans 

quelques  de S.  M.  pourroit  deigner 

lui  faire  payer  400  1.  outre  la  remission 
en  sa  faveur  desdittes  tables  garderobes 
moiennant  quittance  finale  pour  le  loier 
dont  s'ay:it  jusqu'à  la  vuidangc  et  remis- 
sion des  clefs  de  laditte  maison  en  1768 
ainsi  qu'il  est  dit  plus  haut. 

Ce  rapport  n'amena  pas  de  solution 
définitive  et  traîna,  pendant  plus  de  trois 
ans,  dans  les  cartons  du  Ministère  à  Turin, 
témoin  la  lettre  suivante,  dont  la  teneur 
est  extraite  des  Archives  départementales 
de  la  Savoie,  —  Série  c.  iV  142  : 

Lettres  Jiux  Fin.inces 

Du  27  avril  {ij'jà) 

M'.  Botton 

Je  ne  scaurais  mieux  faire  pour  évacuer 

le  contenu  en  la  supplique  de  M.  Crépine 

qui  me  parvint  dans  votre   lettre   du    10 

janvier  dernier  que  vous  me  rappelés  par 


250  APRKS    LA    MORT 

la  première  des  4  dont  vous  m'avé  honoré 
le  24  de  ce  mois  que  de  vous  mettre  sous 
les  yeux  cy  inclus  un  double  de  celle 
que  M.  Blanchot  vous  écrivit  le  2  Xbre 
1772  laquelle  contient  sa  relation  sur  le 
contenu  en  un  semblable  placet  que  ledit 
notaire  avoit  présenté  pour  lors  sur  le 
même  objet  dont  est  celuy  que  j'ai  Thon- 
neur  de  vous  restituer  cy  joint. 

Enfin,  quatorze  ans  après  la  mort  de 
Madame  de  Warens,  Claude  Crépine  ob- 
tint satisfaction  complète,  ainsi  que  cela 
ressort  des  deux  pièces  suivantes,  extraites 
des  Archives  départementales  de  la  Sa- 
voie, —  Série  c.  n^  343  : 

Du  3  I  mai  1776 

M.  Crépine  —  400  1. 

M.  le  trésorier  général  Mansoz,  Sa 
Majesté  ordonne  que  des  deniers  de  votre 
recette  générale,  vous  payés  au  notaire 
Claude  Crépine,  la  somme  de  400  1.  en 
indamnisation  du  loyer  de  la  maison  qu'il 
possède   dans  le  faubourg   de   Nezin    de 


hr.    MAI) ami:    hl.    WARIINS  J^l 


celle  \illc,  cl  qui  a  clc  rclciuic  cTaulhorilc 
publique  el  léptime,  dès  le  décès  de  la 
dame  baronne  de  X'uarcns  qui  en  étoil 
asccnsaliice,  le  loyer  de  laquelle  maison 
a  été  interrompu  dès  l'année  1762  jusqu'en 
1768,  ainsi  qu'il  nous  l'a  été  mandé  par 
lettre  du  bureau  ij^énéral  des  finances  du 
29  de  ce  mois,  dont  extrait  est  cy  joint,  au 
moyen  duquel,  du  présent  provisionnel  et 
quittance  dudit  sieur  Crépine  il  vous  sera 
fourni  pc^ur  ladite  somme  de  400  1.,  le 
décharge  suffisant,  par  le  bureau  général 
des  finances. 

Sur  la  relation  que  j'ai  eu  Thonneur  de 
faire  au  Roy  de  la  suplique  du  notaire 
Claude  Crépine  de  Chambéry  c]ui  implo- 
roit  le  payement  du  loyer  de  la  maison 
qu'il  possède  dans  le  fauxbourg  de  Xezin 
de  cette  ville  et  qui  a  été  retenue  d'autho- 
rité  publique  et  légitime  dès  le  décès  de 
la  dame  baronne  de  Warrens  qui  en  étoit 
ascensatrice,  arrivé  en  1762,  jusqu'en  1768, 
Sa  Majesté  a  bien  voulu  pourvoir  à  son 
indemnisation  de   la   manière    que    vous 


252  APRES    LA   MORT 

l'avez  propose,  c'est  à  dire  en  lui  accor- 
dant la  somme  de  L.  400,  et  ordonnant 
en  sa  faveur  la  remission  des  meubles  et 
effets  dont  il  est  parlé  dans  la  copie  de 
lettre  dont  vous  avés  accompagné  le  re- 
tour de  ce  recours.  Vous  aurés  donc  la 
complaisance  de  vous  y  conformer  et  de 
lui  faire  passer  quittance  pour  tout  ce  qui 
peut  lui  être  dû  à  cet  égard. 

Turin  le  29  mai  1776. 

signé  Botton  de  Castellamont. 

Le  même  fonds,  —  Série  C.  N"  143,  — 
contient  aussi  la  lettre  suivante,  par  la- 
quelle rjntendant  général  de  Chambéry 
faisait  savoir  au  Ministère  des  finances, 
à  Turin,  qu'il  allait  exécuter  les  ordres, 
qu'il  venait  d'en  recevoir,  concernant  le 
règlement  de  l'indemnité  accordée  par  le 
Roi  au  notaire  Crépine.  Ce  document  met 
fin,  ce  semble,  à  l'histoire  de  la  pauvre 
succession  de  M""^  de  Warens,  à  Cham- 
béry : 


DE  MADAMi:  l)L   WARENS  2$^ 

Lettres  —  Finances 

Du   I  "  juin  I  776 

Suivant  que  vous  me  le  mandes  par 
votre  8"  du  2(>  nia\  je  ferai  pa\er  au  no- 
taire claude  Crépine  de  Chanibdry  les 
.\oo  1.  que  le  Roy  a  (')rdonné  lui  être 
payées  en  indeninisation  du  loyer  de  sa 
maison  au  fauxbourg"  dcNezin  et  qui  a  été 
retenue  dez  le  déeès  de  la  dame  baronne 
de  Vuarens  qui  la  tenoit  en  assensement.  je 
lui  ferai  en  même  tems  remettre  les  meu- 
bles et  effets  qui  y  existoient  lors  de  son 
dit  décès,  je  lui  ferai  passer  quittance  du 
tout  que  je  retiendrai  dans  le  greffe  de 
mon  bureau  et  vous  en  enverrai  à  toutes 
bonnes  lins  un  double  authentique. 

Deux  ans  après,  le  2  juillet,  Jean-Jac- 
ques mourait  à  l'âge  de  66  ans,  d'une 
apoplexie  séreuse.  Un  Savoyard,  le  doc- 
teur Caffe,  a  détruit  irrévocablement  la 
légende  du  suicide,  dans  le  N°  34,  33*^ 
année,  10  décembre  1866,  du  Journal  des 
Connaissances  médicales. 


JEAN-JACQUES    IIOUSSKAU 

ET 

M"'"  DE  WARENS 

A      LA       1'  O  S  S  E      C  O  .M  .M  U  N  E 


JliAN-J ACQUITS    ROUSSEAU 

KT 

M""  DE  WARENS 

A      LA      I    <>  S  S  E      C  O  .M  M  U  N  E 


Paul  Lacroix,  dans  VlntcnucJiaii c  du 
5  février  1864,  a  raconte  le  sacrilège  qui 
fut  commis  pendant  une  nuit  du  mois  de 
mai  18 14  : 

((  Les  ossements  de  \'oltaire  et  de 
Rousseau  furent  extraits  des  cercueils  de 
plomb  où  ils  avaient  été  enfermés  ;  on  les 
réunit  dans  un  sac  de  toile  et  on  les  porta 
dans  un  fiacre  qui  stationnait  derrière 
Téglise  du  Panthéon.  Le  fiacre  s'ébranla 
lentement,  accompagné  de  cinq  ou  six 
personnes,  entre  autres  les  deux  frères  de 
Puymorin.  On  arriva  vers  deux  heures  du 
matin,  par  les  rues  désertes,  à  la  barrière 


258  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 

de  la  gare  vis-à-vis  de  Bercy.  Il  y  avait  là 
un  terrain  entoure  d'une  clôture  en  plan- 
ches, lequel  avait  fait  partie  de  l'ancien 
périmètre  de  la  gare  qui  devait  être  créée 
en  cet  endroit  pour  servir  d'entrepôt  au 
commerce  de  la  Seine,  mais  qui  n'avait 
jamais  existé  qu'en  projet...  Les  alentours 
étaient  déjà  envahis  par  des  cabarets  et 
des  guinguettes. 

Une  ouverture  profonde  était  préparée 
au  milieu  de  ce  terrain  vague  et  aban- 
donné, ou  d'autres  personnages  atten- 
daient l'arrivée  de  l'étrange  convoi  de 
Voltaire  et  de  Rousseau  ;  on  vida  le  sac 
rempli  d'ossements  sur  un  lit  de  chaux 
vive,  puis  on  rejeta  la  terre  par-dessus, 
de  manière  à  combler  la  fosse  sur  laquelle 
piétinèrent  en  silence  les  auteurs  de  cette 
dernière  inhumation...  Ils  remontèrent 
ensuite  en  voiture,  satisfaits  d'avoir  rem- 
pli, selon  eux,  un  devoir  sacré  de  roya- 
liste et  de  chrétien.  ((  Plût  à  Dieu,  disait 
M.  de  Puymorin,  qu'il  eût  été  possible 
d'ensevelir  à  jamais,  avec  les  restes  de  ces 
deux  philosophes   impies   et   révolution- 


LT    iMADA.ML    DL    WARLNS  259 


luiiics,   leurs    duclrincs     pernicieuses    cl 
leurs  dclcslahlcs  ouvra^-es  I    » 

Les  eendres  de  M""^  de  W'arens  de\'aic!U 
avoir  une  destinée  analo^aie. 

Un  ouvraj^e,  publié  à  Londres  vers  la 
lin  du  siècle  dernier  :  '^Proiuciuidc  au  Monl- 
BIjuc  cl  Jiiilonr  du  lac  de  Ge^zt're,  établit,  à 
la  page  17,  que  l'amie  de  Jean-Jacques 
lut  enterrée  au  cimetière  et  non  dans  l'é- 
glise de  Lémenc  :  ((  Je  remonte  le  côté 
opposé  de  la  ville  et  j'arrive  au  cimetière. 
Un  vieux  homme  s'y  reposoit,  un  pied  sur 
une  bêche,  l'autre  près  d'une  tombe  qu'il 
venoit  de  couvrir.  Je  lui  demande  s'il  est 
le  marguillicr  de  la  paroisse.  —  Oui, 
monsieur.  —  Y  a-t-il  longtemps  >  —  Cin- 
quante ans.  — Vous  avez  enterré  Madame 
de  Warens  ?  —  Oui  :  elle  est  là  (en  me 
désignant  du  doigt  le  lieu  où  elle  repose). 
A  la  recommandation  de  plusieurs  per- 
sonnes de  la  ville,  et  de  beaucoup  d'étran- 
gers, je  n*ai  jamais  enterré  au-dessus 
d'elle,  ni  près  d'elle. 


200  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 

((  Je  m'approche  palpitant....  Il  me 
trace  avec  sa  bêche  le  contour  de  l'espace 
qu'elle  occupe  ;  il  est  couvert  de  plantes  ; 
quelques-unes  étoient  en  fleurs.  Je  m'ar- 
rête. . . .  mes  regards  percent  ce  sol  qui  la 
couvre,  je  suis  ému  jusqu'à  suffoquer. 
Bien  des  fois,  j'ai  voulu  remonter  à  la 
source  de  tant  d'intérêt  pour  Madame  de 
Warens,  et  je  n'ai  pu  y  parvenir.  Seroit- 
elle  dans  des  ressemblances  plus  imagi- 
naires que  réelles,  et,  par  là,  plus  vives, 
plus  affectantes  ?  Seroit-ce  aussi  que  l'es- 
quisse, qu'en  a  tracé  Rousseau,  ressemble 
à  ces  coups  de  crayon  ou  de  pinceau  des 
grands  maîtres,  qui  disent  infiniment  par 
la  magie  d'un  talent  infini  ?  » 

La  tombe  de  M""^  de  Warens  subsista 
longtemps.  Beaucoup  de  personnes  se 
souviennent  parfaitement  de  l'avoir  vue. 
Un  érudit,  Félix  Genin,  auxiliaire  aux 
Archives  de  la  ville  de  Lyon,  écrivait  en 
janvier  1 891  :  «  Je  croyais  avoir  dans  le 
temps  pris  note  de  l'inscription  funéraire 
de   M""^  de  Warens.  Je  voulais  vous  la 


HT    MADAMi:    hi:   WARIINS  261 

IransmcUrc  cl  pour  cela  j'ai  fait  le  dc- 
pouillcmciU  c\c  toutes  mes  paperasses, 
carnets,  notes,  etc.  Je  viens  seulement 
d'ache\er  cette  fastidieuse  opération,  en 
vain,  hélas  !  je  n'ai  rien  retrouvé. 

J'arrive  donc,  avec  mes  seuls  souvenirs, 
à  l'objet  de  votre  demande. 

J'ai  vu,  en  lî^ji,  je  crois,  sans  être  sûr 
de  la  date,  la  pierre  tombale  de  M"'*'  de 
Warens,  portant  son  nom,  dans  l'angle 
du  cimetière  de  Lémenc,  à  droite  de  ren- 
trée de  l'église.  Cette  pierre  polie  était 
tout  à  fait  simple  et  sans  ornements. 

Elle  était  presque  couverte  par  une 
haute  végétation  ;  ayant  cédé,  elle  était 
recouverte,  à  un  de  ses  angles  inférieurs, 
celui  de  gauche,  par  de  la  terre.  Elle  était 
entièrement  négligée  et  abandonnée.  Elle 
gisait  à  deux  mètres  environ  du  mur  de 
clôture  du  côté  du  passage  d'entrée  à  l'é- 
glise et  à  un  mètre  seulement  du  mur  de 
l'église. 

Le  bas  de  la  pierre  était  tourné  vers  la 
même  entrée,  l'inscription  en  tête  ;  par 
conséquent,  pour  lire  celle-ci,  il  fallait  y 


202  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 

faire   face   et  tourner  le  dos  au   passage 
donnant  entrée  au  temple. 

Je  ne  puis  me  souvenir  du  texte  de  l'ins- 
cription, seulement  je  suis  très  sûr  d'avoir 
lu  le  nom  :  de  Warens,  qui  était  très  lisi- 
ble et  gravé  en  creux.  Je  me  rappelle 
encore  de  la  tristesse  qui  m'étreignit, 
quand  je  vis  ce  honteux  abandon. 

J'étais  au  collège  de  Chambéry,  tenu  à 
cette  époque  par  les  jésuites.  C'était  le 
surveillant,  qui  nous  menait  à  la  prome- 
nade ,  qui  nous  avait  fait  ouvrir  le  cime- 
tière, lequel  était  tout  entier,  y  compris  la 
chapelle  du  fond,  dans  un  état  de  délabre- 
ment complet.  Je  n'étais  donc  pas  seul,  et 
quand  j'eus  découvert  la  tombe  de  M""^  de 
Warens,  mes  camarades  vinrent  la  visiter 
et  nous  déplorâmes  la  négligence  de  l'ad- 
ministration ecclésiastique.  Nous  connais- 
sions les  Charmettes,  Jean-Jacques  et  ses 
ouvrages,  que  nous  lisions  dans  les  réfu- 
tations que  nous  prodiguaient  les  RR.  PP. 
Nous  n'étions  ignorants  de  rien  ! 

Le  nom  de  mes  condisciples  m'échappe, 
je  ne  puis  me  les  rappeler.  M""^  de  Warens 


DE  A\AI)AMI-:    DK  WAkKNS  2^i^ 


n'a  pas  été  cntcrrdc  dans  l'c^^lisc.  A  l'cpo- 
quc  de  sa  mort,  avait,  je  crois,  paru  l'or- 
donnance qui  prohibait  ce  ^enrc  de  sépul- 
ture. Obser\ati<»n  capitale  :  j'ai  vu  le  sol 
de  l'église  de  Lémenc  d'au  moins  i  m.  y* 
plus  bas  et  je  l'ai  vu  exhaussé,  ce  qui 
exempte  c\c  descendre  sept  ou  huit  mar- 
ches pour  pénétrer  dans  le  temple.  Dans 
ce  travail,  on  ne  peut  guère  supposer 
qu'on  ait  porté  la  pierre  tombale  dans 
un  coin  de  l'église.  Non.  M'"*'  de  Warens 
a  été  enterrée  dans  le  cimetière  et  non 
dans  l'église  de  Lémenc;  pour  moi,  cela 
ne  fait  pas  l'ombre  d'un  doute.  A  l'époque 
où  je  retrouvais  cette  tombe,  il  n'y  avait 
pas  de  monuments  funéraires  dans  le  ci- 
metière de  Lémenc,  mais  seulement  des 
croix  et  des  pierres  ». 

La  tombe  de  M™^  de  Warens  disparut 
dans  la  seconde  moitié  de  ce  siècle,  car  il 
n'est  pas  encore  question  de  sa  destruction 
dans  la  première  édition  du  Guide  en  Sa- 
voie, de  Gabriel  de  Mortillet,  parue  en 
1855.  Par   contre,  il  y  est   dit,  à  la  page 


264  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 

26  de  la  4^  édition  datée  de  1878  :  ((  C'est 
devant  l'église  de  Lémenc  qu'avait  été  en- 
terrée M™^  de  \A''arens,  transportée  ensuite 
au  cimetière  de  la  ville  ».  Le  gardien  de  ce 
dernier  se  souvient  très  bien  d'avoir  reçu 
des  ossements  provenant  du  champ  de  re- 
pos de  Lémenc,  mais  il  y  en  avait  une  cer- 
taine quantité  et  ils  furent  inhumés  dans 
Tune  des  fosses  communes  du  cimetière  de 
la  ville,  sans  que  le  gardien  puisse  préciser 
laquelle  les  reçut,  ni  l'époque  exacte  de  ce 
transfert.  Ce  dernier  eut  certainement  lieu 
avant  1864,  car  les  Archives  de  la  mairie 
de  Chambéry  ne  contiennent,  à  son  sujet, 
aucun  document  depuis  cette  année,  où 
elles  furent  anéanties  par  l'incendie  du  12 
au  13  février,  pendant  le  séjour  provisoire 
des  bureaux  de  l'hôtel  de  ville  dans  les 
locaux  du  Théâtre.  D'autre  part,  le  vicaire 
général  du  diocèse  de  Chambéry,  M.  l'abbé 
Quay-Thevenon,  a  bien  voulu  se  donner 
la  peine  de  dépouiller  les  archives  parois- 
siales de  Lémenc,  mais  l'obligeant  ecclé- 
siastique n'a  pas  retrouvé  la  trace  écrite 
du  transfert   de  la  dépouille  de  M""^  de 


\)E    MAbA.Mi:  bi:    WARENS  2Ù$ 

Warcns.  Jules  \\i\ ,  dans  ses  Lclhcs  inc- 
Jilcs  de  yi/'"'  de  Warens,  dit  bien  que  : 
((  sa  tombe  fut  creusée  au  pied  d'un  vieux 
el  immense  tilleul,  voisin  d'une  porte  eo- 
chère  qui  s'ouvrait  sur  le  chemin  public». 
Le  tilleul  n'existant  plus,  la  sépulture  a 
dû  subir,  évidemment,  le  sort  de  l'arbre. 
L'histoire  devra  donc  se  contenter  de  la 
tradition  orale,  qui  est  indéniable,  dans 
les  termes  consignés  à  la  page  26  de  la  4'' 
édition  du  Guide  en  Savoie  de  Gabriel  de 
Mortillet.  L'ensemble  des  recherches,  con- 
densées dans  ce  chapitre,  a  retardé  d'une 
année  la  publication  du  présent  volume, 
destiné  à  paraître  en  1890. 


CETTE  l>UnLICATION 

c  o  A\  r  r .  1   r  f.    k  n'    (;>  i  j  a  t  r  i:    v  oui  .m  i:  s   : 

Lj  Co)ivcisi()}i  .ic  SV/'"^  de  Warens, 

Les  Tcfisces  Je  S\/'""  de  Warens, 

Une  poignée   de    documents    inédits 

concernant  f\/'""  de  W.irens, 

Les  dernières  aiuiées  de  SVf'"*"  c/c  Wctrens, 

Commencée  en  1^86, 

Terminée  en  1891, 

a  été  faite 

par 

cAlbert    VilETZGER, 
publiciste  français, 
né  le   31    mars   1853,    ^   Mulhouse 
(Haut-Rhin), 

et  imprimée   par 
C.'P.  P^IÉNARD,  de  CJuvnhéry . 


A    PROPOS 

DES    PROCÉDÉS    LITTÉRAIRES 

DE   M.  FRANÇOIS   MUGNIER, 

Conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Chambéry. 


*:m^CM:lB:M:^-^<^ 


A    l'Kol'OS 

DES    IMUJCLDl'S   Linï-KAIRES 

Di:    M.    FRANÇOIS    MUGNIER 

Conseiller  i\  la  Cuur  d'api^cl  de  Chamb<îr} . 


La  Tiiblio graphie  nouvelle,  cditcc  par 
Gaume  et  C'%  de  Paris,  disait,  dans  son 
numéro  de  mars  1889,  en  rendant  compte 
du  volume  :  Une  poignée  de  documents 
tnédîls  concernant  S^/'^*^  de  ^Varens  (7726- 

((  Le  titre  de  cet  ouvrage  n'est  point 
menteur  ;  il  consiste  surtout  en  docu- 
ments trouves  à  Londres,  aux  archives 
d'Etat  à  Turin  et  à  l'ancien  Tabellion  de 
Chambéry,  avec  la  photographie  du  por- 
trait de  la  baronne,  conservé  au  musée 
Arlaud,  de  Lausanne,  et  le  fac-similé  de 
son  billet  du    10  février  1754,  où  elle  se 


272  PROCEDES    LITTERAIRES 

plaint  à  Jean-Jacques  de  Tavoir  aban- 
donnée :  «  Vous  vérifie  bien  En  Moy  le 
((  chapitre  que  je  vien  de  Lire  dans  limi- 
((  tations  de  jesuschris  ou  il  est  dit  que 
((  la  ou  nous  métons  nos  plus  fermes 
((  Esperence,  est  ce  quy  nous  menque- 
«  ras,   totalement....  )),  etc. 

«  M.  Albert  Metzger,  tout  en  plaignant 
M"'^  de  Warens,  s'attache  à  défendre 
Rousseau  contre  cette  accusation,  en  fai- 
sant porter  tout  le  poids  des  malheurs  de 
la  protectrice  du  philosophe  sur  Wint- 
zenried  et  ses  autres  acolytes. 

((  En  manière  de  conclusion,  dit-il,  le 
((  dernier  mot  restera  à  la  pitié,  et  à 
((  Jean-Jacques,  qui  allait  dater  de  Cham- 
((  béry,  le  12  juin  1757,  la  dédicace  de 
((  son  discours  sur  l'origine  et  les  fon- 
((  déments  de  l'inégalité  parmi  les  hom- 
((  mes  ))  et  qui,  d'après  ce  qu'il  raconte 
au  livre  VIII  de  ses  Co7ifessions,  fit 
inutilement  son  possible  pour  pouvoir 
emmener  la  baronne  ((  vivre  paisiblement 
«  avec  lui.  )) 

((  Qu'on  pense  ce  qu'on  voudra  de  cette 


DE    M.    FRANÇOIS    MUGNIER  273 


conclusion,  de  Rousseau  cl  de  la  rcsolu- 
lion  de  la  baronne,  on  ne  peut  refuser  à 
M.  Albert  Metzger  d'èlrc  un  de  ces  cher- 
cheurs patients  et  zélés  de  nos  académies 
de  province,  qui  ramassent  péniblement 
et  amoureuscnient  les  matériaux  utilisés 
ensuite  par  des  écrivains  plus  hardis, 
ambitieux  du  titre  d'historiens  et  dont  le 
mérite  n'est  pas  la  reconnaissance  pour 
les  travailleurs  modestes  dont  ils  ont 
pillé  les  trésors.   ))  V.    II. 

La  ^ibUogi\iphic  nouvelle  \oy:\\\.  loin. 

A  la  publication  de  mon  premier  vo- 
lume, La  Conversion  de  S\I""^  de  Vi\irens, 
M.  le  conseiller  François  Mugnier  m'é- 
crivait, le  22  novembre  1886,  en  qualité 
de  président  de  la  Société  savoisienne 
d'histoire  et  d'archéologie  :  ((  La  Société 
m'a  chargé  de  vous  adresser  ses  vifs  re- 
merciements pour  l'hommage  que  vous 
avez  bien  voulu  lui  faire  de  votre  ou- 
vrage. )) 


274  PROCEDES    LITTERAIRES 

Deux  ans  plus  tard,  je  publiais  Les 
T^ensées  de  (M"'''  de  Warens,  puis,  Une 
poigjiée  de  documents  inédits  concernant 
M""^  de  Warens,  et  ces  deux  volumes 
avaient  l'honneur  d'être  analysés,  à  leur 
apparition,  dans  les  comptes  rendus  des 
séances  de  l'Académie  de  Savoie,  —  ainsi 
que  dans  le  fascicule  i^',  deuxième  année, 
du  Bulletin  des  Travaux  de  TUniversité  de 
Lyon,  1889,  sous  la  signature  de  M. 
Fontaine,  depuis  doyen  de  la  Faculté  des 
lettres  de  la  deuxième   ville    de   France. 

Enfin,  le  Grand  Dictionnaire  universel 
de  Pierre  Larousse,  dans  le  2^  supplément, 
fascicule  51,  page  2001,  consacrait  l'arti- 
cle suivant  à  mes  recherches  : 

((  Warens  (une poignée  de  documents  iné- 
dits sur  M^^  de),  par  M.  Albert  Metzger 
(1888,  in- 16).  Les  fervents  amis  de  Jean- 
Jacques  Rousseau  et  de  celle  qui  fut  son 
éducatrice  en  amour  trouveront  dans  ce 
volume,  que  complètent  deux  autres  pu- 
blications du  même  érudit,  la  Conversion 
de  il/^«  de   Warens   (1886,   in-i6)   et  les 


DE    M.    rUANÇOIS    MÎJGNIF.fl  275 


Pcnsi'cs  Je  M""  Je  W'jicns  {[HHS,  in-i6  ), 
une  notable  quantité  de  renseignements 
précis,  curieux,  et  de  documents  restés  jus- 
qu'à nos  jours  enfouis  dans  les  archives 
de  Chambéry  et  de  Lausanne.  La  plupart 
ne  se  rapportent  pas  précisément  à  l'épi- 
sode le  plus  célèbre  de  la  vie  de  M"**"  de 
Warens ,  c'est-à-dlrc  à  sa  liaison  avec 
Rousseau,  mais  on  est  bien  aise  de  con- 
naître par  le  menu  tous  les  détails  de  l'exis- 
tencc  d'une  femme  qui  eut  sur  Rousseau, 
et  par  suite  sur  le  wiii'^  siècle,  une  si  grande 
influence.  Les  circ(Mistances  qui  ont  ac- 
compagné sa  conversion  sont  connues  ; 
on  lira  toutefois  avec  intérêt,  dans  la  Con- 
version de  M^^^^  de  Warens,  le  détail  de  ses 
démêlés  avec  son  mari,  le  baron  de  Wa- 
rens, auquel,  en  l'abandonnant,  elle  avait 
fait  cession  complète  de  ses  biens  et  qui 
néanmoins  crut  devoir,  dans  une  longue 
lettre  reproduite  in  extenso  par  .M.Albert 
iletzger,  relever  tous  les  griefs  qu'il  croyait 
avoir  contre  elle.  Les  documents  décou- 
verts et  mis  en  œuvre  par  M.  Metzger  sont 
surtout  des  actes  notariés  ;   ils  nous  per- 


276  PROCKDÉS    LITTÉRAIRES 

mettent  de  suivre  M""*"  de  Warens  dans 
toutes  ses  résidences,  tant  aux  Charmet- 
tes  qu'avant  qu'elle  ne  vînt  s'y  établir  et 
après  qu'elles  les  eût  quittées  ;  on  a  aussi 
sous  les  yeux  divers  actes  d'association 
qu'elle  signa,  lorsque,  après  le  départ  de 
Jean-Jacques,  elle  prit  pour  amant  ce  Ro- 
dolphe Wintzenried,  ancien  perruquier  qui 
se  faisait  appeler  le  chevalier  de  Courtil- 
les,  et  qui  la  mêla  à  toutes  sortes  d'affaires 
industrielles  où  elle  trouva  sa  ruine.  C'est 
durant  cette  période  que  Jean-Jacques  re- 
fusa à  la  fin  de  lui  venir  en  aide,  voyant 
que  ce  qu'il  faisait  pour  elle  ne  profitait 
qu'à  des  fripons,  et  M.  Metzger  reproduit 
en  fac-similé  un  billet  navrant  de  M™^  de 
Warens  qui  reproche  à  son  ancien  amant 
ce  qu'elle  appelle  son  ingratitude  ;  elle  eut 
bien  plus  à  se  plaindre  encore  de  Wint- 
zenried, qui  l'abandonna  pour  se  marier 
et  l'on  a  la  lettre  dans  laquelle  la  pauvre 
femme  lui  donne  des  conseils  à  suivre  s'il 
veut  être  heureux  en  ménage. 

Une  partie    du  volume  intitulé  Pensées 
de  M^^  de  Warens  a  trait  à  l'iconographie 


l)K    iM.     l'RANÇOl?.    .H(   «.Nil.K  277 

de  ccUc  femme  aimable,  rcsicc  si  sédui- 
sante malgré  ses  faiblesses,  r)u  peul-êlrc 
à  cause  de  ses  faiblesses.  M.  A.  Mclzger 
établit  que,  de  tous  les  portraits  que  l'on 
connail  d'elle,  deux  seulement  sont  authen- 
tiques, celui  du  nuiscc  de  Lausanne,  atti'i- 
buc  à  I.ai-i'illière,  cl  un  autre,  celui-là  bien 
certainement  de  Lar<^dllière  et  si^^qié  de  lui, 
qui  se  trcuivc  à  Boston,  dans  la  collection 
particulière  de  sir  Samuel  Hammond- 
Russel.  Le  premier  ne  donne  de  M""^  de 
Warens  cju'unc  ide'c  insignifiante  ;  aussi 
trouvait-on  c^ue  Jean-Jacques  avait  dû 
beaucoup  embellir  sa  «  maman  »  en  disant 
d'elle  :  ((  Elle  avait  un  air  caressant  et 
tendre,  un  regard  très  doux,  un  sourire 
angélique  ,  des  cheveux  cendrés  d'une 
beauté  peu  commune  et  auxquels  elle  don- 
nait un  tour  négligé  qui  la  rendait  très 
piquante.  Il  était  impossible  de  voir  une 
plus  belle  tête,  un  plus  beau  sein,  de  plus 
belles  mains  et  de  plus  beaux  bras.  »  Le 
Largillière  de  Boston,  où  elle  est  repré- 
sentée les  bras  nus,  vêtue  d'une  robe  bleue 
bordée  d'une  bande  de  soie  feuille  morte. 


2-j^  PROCÉDKS    LITTÉRAIRES 

dccollctcc  en  pointe  et  laissant  voir,  sous 
quelques  bouillons  de  dentelle,  une  poi- 
trine éblouissante  ,  approche  beaucoup 
plus  du  portrait  tracé  à  la  plume  par  J.-J. 
Rousseau.  » 

Or,  le  3  décembre  1890,  iM.  François 
Mugnier,  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de 
Chambéry,  a  fait  paraître  à  Paris,  chez 
Calmann  Lévy,  un  volume  intitulé  :  Ma- 
dame de  Warens  et  J.-J.  Rousseau,  dans 
lequel  il  met  en  œuvre,  comme  c'était  son 
droit,  les  documents  inédits  publiés  dans 
mes  trois  ouvrages,  mais  sans  me  citer 
une  seule  fois,  si  ce  n'est  à  la  page  125, 
pour  m'y  imputer  (il  semble)  la  publi- 
cation d'un  texte  erroné,  et  à  la  page  307 
pour  3- citer  ïji  extenso  un  document  dont 
je  lui  avais  communiqué  l'original,  et 
pour  s'abstenir  soigneusement  d'indiquer 
que  j'avais,  dès  1888,  publié  cette  pièce  à 
la  page  256  de  mon  volume,  Les  T^ensées 
de  £\/™*=  de  Wareîts.  De  la  citation  cons- 
ciencieuse de  tous  les  autres  auteurs  con- 
sultés et  mêmes  de  ses  ouvracres,  il  résulte 


i 


I>i:    M.     I  KANÇOIS    MUGMIIR  379 

•.juc  r«»missi(^n  de  M.  Mugnicr  est  vr)lon- 
laiic  et  constitue  un  procédé  littéraire 
dont  j'ai  sii^iuilé  la  niaiserie,  par  ma  lettre 
tlu  1  i  décembre  icS^o,  à  l'éditeur  Calmann 
Lévy,  ^,  rue  Auher  à  Pari^. 

Pour  conclure,  \oici  l'article  que  l'une 
des  meilleures  plumes  de  Savoie,  M. 
Claudius  Hc^uvier,  a  consacré,  dans  le 
Courrier  Jcs  cAlpcs  du  18  décembre  iSc/), 
à  l'ouvrage  de  M.  François  Mugnicr  et  à 
ses  procédés  littéraires  : 

BIBLIOGRAPHIE    SAVOYARDE 


Madaaie  de  A\"are\s  et  J.-J.   Rousseau, 
étude  Jiistorique  et  critique,  par  Fra?içois 
Mugnier,  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de 
Chambéry. 

((  Depuis  longtemps  on  a  cessé  de  regar- 
der Madame  de  Warens  par  les  yeux  de 
Jean-Jacques.  Etre  sensible ,  chez  qui 
Tinstinct  moral  n'était  pas  éveillé,  Rous- 
seau avait  peint  sa  bienfaitrice  —  si  mal- 
faisante pour  lui  —  sous  les  couleurs  que 


280  PROCÉDÉS    LITTÉRAIRES 

lui  fournissait  son  imagination  exaltée  par 
le  souvenir  des  années  joyeuses.  Il  ne  la 
pouvait  juger.  Il  n'était  pas  préparé  à  ce 
rôle.  Quand  il  écrivit  ses  Confessions,  au 
déclin  de  sa  vie  inquiète,  pleine  de  honte 
ou  de  démence,  il  était  ému  en  revoyant 
par  la  pensée  les  coins  de  Savoie  où  il 
avait  cru  être  heureux.  Dans  ce  cadre 
brillait  une  figure  dont  il  n'avait  jamais 
compris  les  difformités  et  dont  il  ne  se 
rappelait  que  les  grâces.  Le  portrait  qu'il 
en  fit  resta  dans  la  galerie  littéraire  avec 
les  traits  apprêtés  et  les  teintes  fausses 
arrangées  par  l'artiste. 

Mais  les  érudits  ont  braqué  sur  le  ta- 
bleau la  lumière  de  leur  lanterne  sourde. 
A  cette  clarté  impitoyable,  le  personnage 
de  convention  s'est  évanoui.  La  bonne 
maman  reste  en  définitive  peu  sympathi- 
que et  moins  estimable  encore.  Le  gros 
livre  que  lui  consacre  M.  Mugnier  ne  ser- 
vira pas  à  sa  réhabilitation. 

Mauvaise  épouse ,  convertie  suspecte, 
intrigante  consommée,  un  peu  espionne, 
insoucieuse  de  l'honneur  de    son   foyer, 


DE    A\.    I  KANÇOIS    MUONIEK  28 1 

louriîiciilcc  du  dcsir  de  paiailic,  s'a|^iiaiil 
sans  cesse,  entreprenant  mille  affaires, 
])()ursui\  aiil  le  plaisir  et  la  fortune,  telle 
appâtait  la  dame  \aud(jisc  qui,  après  avoir 
vécu  environ  trenlc-ciiiq  ans  en  Savoie, 
fut  ensevelie  le  ^o  juillet  1762  dans  le  ci- 
metière de  Ne/in,  à  Chambèry. 

u  Le  dossier  de  Madame  de  Warens.  » 
Ce  titre  conviendrait  à  r()uvrati:c  récem- 
ment paru  ;  dossier  complet  où  tout  ce 
qui  contribue  à  former  l'opinion  d'un  juge 
est  réuni  et  classé.  M.  Mugnier  se  propo- 
sait de  suivre  son  héroïne  à  toutes  les  éta- 
pes de  sa  vie  en  Savoie  et  d'éclairer  par 
surcroît  les  trentes  premières  années  de 
Rousseau.  On  reconnaît  à  la  lecture  de 
son  livre  qu'il  n'a  rien  négligé  pour  attein- 
dre ce  but.  Il  a  fouillé  toutes  les  sources 
d'informations  et  quoiqu'il  s'étudie,  sans 
doute  afin  de  ménager  l'attention  de  ses 
lecteurs,  à  citer  rarement  les  auteurs  qui 
lui  ont  frayé  la  voie,  il  laisse  voir  que  nul 
document  inédit  ou  banal  ne  lui  a  échappé. 

Document  banal  !   l'expression  est   ou- 


2^2  PROCl':bF':S    LITTÉRAIRES 

trée.  Le  livre  de  M.  Mugnier  perd  peut- 
être  dans  beaucoup  de  ses  parties  l\ittrait 
de  la  nouveauté  aux  yeux  des  ériidils  qui 
connaissent  les  travaux  minutieux  de 
M.  Albert  Metzger.  A  Chambéry^  7iotam- 
ment,  les  trois  volumes,  publiés  par  cet 
écrivain  sur  Madame  de  Warens,  avaient 
déjà  montré  beaucoup  de  choses  que  notre 
compatriote  rapporte  pour  la  seconde  fois. 
On  ne  saurait  faire  un  grief  de  ces  répéti- 
tions. C'est,  dit  le  poète,  imiter  quelqu'un 
que  de  planter  des  choux.  Le  tout  est  de 
ne  pas  les  planter  dans  le  champ  d'autrui. 
Un  critique  littéraire,  qui  n'aurait  pas 
notre  parti-pris  d'admiration  et  qui  serait 
mieux  autorisé,  trouverait  dans  Touvrage 
qui  vient  de  paraître  matière  à  reproches 
plus  sérieux.  Il  regretterait  que  M.  Mu- 
gnier n'eût  pas  répandu  sur  son  écrit  plus 
d'agrément.  La  composition  lui  semble- 
rait peut-être  sèche,  le  style  lourd.  En 
vo3^ant  Madame  de  Warens  et  Rousseau 
étudiés  dans  ce  gros  volume  sans  qu'un 
éclair  d'artiste,  une  vue  de  philosophe,  un 
jugement  d'historien  coupe  la   narration. 


hi    M.   I  r<ANv<>is  AiïJONii:u         a8^ 

(5clairc  le  ckHail  cl  dlèvc  l'cspril,  il  pourrait 
prendre  de  l'humeur.  I-c  mot  de  Zuliella 
i\  jean-Jaeques  lui  rcmrnitcrait  à  la  mé- 
m(')ire  et  il  serait  tenté  d'appliquer  à  l'au- 
teur le  conseil  de  la  Vénitienne  :  a  Lascia 
le  donne  e  studia  la  matematiea  ». 

Franchement  cette  sévérité  serait  injuste. 
KUe  blesserait  un  homme  très  laborieux 
qui  a  chez  les  archéologues  de  notre  pays 
un  renom  de  vrai  savant.  » 

Et,  là-dessus,  tirons  réchcllc.  — 

Ai.iŒRT  METZGER,  * 
.//.'  Cercle  de  l.i  iJhrjin'e  Je  Pjn's. 


"^^ 


TABLE  DES  MATIERES 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Les  dcriiicrcs  années  de  M'"^  de  Warcns  : 

I     —   i7Sl-i7  5^N Pages        I   à    u^ 

II.  —  1756-176J, —   125  à  2')i 

Après  la  morl  de  M"'"'  de  \Varens, .        J05 
Rousseau  et  M"^^^  de  W'arens  à  la 

fosse  commune, 257 

A  propos  des  procédés  liUéraires  de 
M.  François  Mugnier, 271 

Fac-siniilc  de  Li  lettre  du  j  avril  ij^G. 
Fac-similé  de  Ij  mappe  du  cadastre  de  ij^g. 


714  K? 


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La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Éckéonc* 


The  Library 

University  of  Ottawa 

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RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

NOTES    ET    DOCUMENTS    INÉDITS 

publics  par  Albert  METZGER 
et   revisés  par    Joseph   VAESEN 


Lyon  en  1794. 

Rixe  entre  volontaires  et  soldats  de  l'armée  réiolutionnaire.  — 
Condamnation  à  mort  de  l'évéque  constitutionnel  Lamourette. 
—  Arrêté  sur  la  sépulture  des  victimes  du  siège.  —  Querelle 
entre  les  Jacobins  de  Lyon  et  le  Conseil  de  la  commune  de 
Grenoble.  —  Célébration  de  la  fcte  de  l'Egalité.  —  Exécution 
de  Jean  Ripet.  —  Fête  deJ.-J.  Rousseau.  —  'Brigandages  des 
machurés  dans  les  campagnes. 

Un  beau  volume,  tiré  à  900  exemplaires  sur  hollande,  orné  des 
portraits  de  CoUot-d'Ilerbois  et  de  Fouché    ....         5  fr. 

Lyon  en  1795. 

Poursuites  contre  les  Fareinistes.  —  Réaction  thermidorienne-  — 
Arrestation  de  Dorfeuille.  —  Massacre  des  Jacobins.  —  Fête 
aux  Brotteaux  en  mémoire  des  victimes  de  la  Terreur.  — 
Rapport  dej.  Chénier  à  la  Convention.  —  Désarmement  de  la 
Garde  nationale.  —  Conspiration  jacobine.  —  Banquet  des 
vétérans  du  siège.  —  Guerre  de  chansons. 

Un  beau  volume,  tiré  à  300  exemplaires  sur  hollande,  orné  d'une 
vue  de  l'ancienne  place  Beilecour  et  du  monument  élevé  aux 
victimes  du  siège 5  fr. 

Lyon  sous  le  Directoire 

Le  Consulat  et  l'Empire. 

Interdiction  des  Collets  Verts.  — Journée  du  10  mai  ijçô.  — 
Acceptation  de  la  Constitution  de  l'an  VIII.  —  Délégation  de 
la  Garde  nationale  au  sacre  de  l'Empereur.  —  Passages  à  Lyon 
de  Pie  VU,  de  Napojèon  l",  de  Joséphine.  —  Conspiration 
jacobine,  en  1806,  pour  renverser  l'Empire.  —  L'enseignement 
primaire  en  i8oy .  —  Déjense  de  Lyon  par  Augereau,  en  18 14. 

Un  beau  volume  tiré  à  ^00  exemplaires  sur  hollande,  orné  des 
portraits  de  Camille  Jordan,  de  Pie  VII  et  d'Augereau,       5  fr. 

CENTENAIRE  DE   1789. 

A  la  veille  de  la  Révolution. 

Lyon  de  1778  à  1788. 

Suppression  des  Célestins.  —  Malvin  de  Montazet  essaie  de  modi- 
fier la  liturgie  dans  le  sens  janséniste.  —  Sévère  condamnation 
des  premières  associations  d'ouvriers.  —  Création  d'un  Institut 
de  bienfaisance.  —  Fondation  de  la  Condition  des  soies.  — 
i)ucis,  Thomas,  Henri  de  Prusse  à  Lyon.  —  Reorganisation  du 
Consulat.  —  Création  de  l'Assemblée  provinciale  de  la  généra- 
lité de  Lyon.  —  Indices  précurseurs  de  la  Révolution. 

Un  beau  volume,  tiré  à  300  exemplaires  Fur  hollande,  orné  des 
portraits  de  Malvin  de  Montazet  et  de  Chinard.     .     .    .     5  fr. 

CHAMBÉRY    —    LIBRAIRIE   PERRIN  —   CHAMBÉRY